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J'ai souffert sous leur joug cent mépris différens!
Ils régnoient sur mon ame en superbes tyrans ;
Et je me suis cherché, lassé de tant de peines,
Des vainqueurs plus humains, et de moins rudes
chaînes.

(Montrant Henriette.)

Je les ai rencontrés, Madame, dans ces yeux,
Et leurs traits à jamais me seront précieux!
D'un regard pitoyable ils ont séché mes larmes,
Et n'ont pas dédaigné le rebut de vos charmes.
De si rares bontés m'ont si bien su toucher
Qu'il n'est rien qui me puisse à mes fers arracher;
Et j'ose maintenant vous conjurer, Madame,
De ne vouloir tenter nul effort sur ma flamme;

De ne point essayer à rappeler un cœur

Résolu de mourir dans cette douce ardeur !

ARMANDE.

Hé qui vous dit, Monsieur, que l'on ait cette envie,
Et que de vous, enfin, si fort on se soucie?
Je vous trouve plaisant de vous le figurer,
Et bien impertinent de me le déclarer!

HIN RI EТТЕ.

Eh! doucement, ma sœur! Où donc est la morale
Qui sait si bien régir la partie animale,

Et retenir la bride aux efforts du courroux ?

ARMANDE.

Mais vous, qui m'en parlez, où la pratiquez-vous, De répondre à l'amour que l'on vous fait paroître, Sans le congé de ceux qui vous ont donné l'être? Sachez que le devoir vous soumet à leurs loix,

Qu'il ne vous est permis d'aimer que par leur choix,
Qu'ils ont sur votre cœur l'autorité suprême,
Et qu'il est criminel d'en disposer vous-même.

HENRIETTE.

Je rends grace aux bontés que vous me faites voir De m'enseigner si bien les choses du devoir.

Mon cœur sur vos leçons veut régler sa conduite; Et, pour vous faire voir, ma sœur, que j'en profite... (A Clitandre. )

Clitandre, prenez soin d'appuyer votre amour
De l'agrément de ceux dont j'ai reçu le jour.
Faites-vous sur mes vœux un pouvoir légitime,
Et me donnez moyen de vous aimer sans crime.

CLITAN DRE.

J'y vais de tous mes soins travailler hautement;
Et j'attendois de vous ce doux consentement!

ARMANDE, à Henriette.

Vous triomphez, ma sœur, et faites une mine
A vous imaginer que cela me chagrine!

HENRIETTE.

Moi, ma sœur? point du tout. Je sais que sur vos sens
Les droits de la raison sont toujours tout-puissans;
Et que par les leçons qu'on prend dans la sagesse,
Vous êtes au-dessus d'une telle foiblesse.
Loin de vous soupçonner d'aucun chagrin, je croi
Qu'ici vous daignerez vous employer pour moi,
Appuyer sa demande; et, de votre suffrage,
Presser l'heureux moment de notre mariage.
Je vous en sollicite; et, pour y travailler....

ARMANDE, l'interrompant.

Votre petit esprit se mêle de railler?

Et d'un cœur qu'on vous jette, on vous voit toute

fiere !

HENRIETTE.

Tout jetté qu'est ce cœur, il ne vous déplaît guere ;
Et si vos yeux sur moi le pouvoient ramasser,
Ils prendroient aisément le soin de se baisser!
ARMANDE.

A répondre à cela je ne daigne descendre;
Et ce sont sots discours, qu'il ne faut pas entendre.
HENRIETTE.

C'est fort bien fait à vous; et vous nous faites voir
Des modérations qu'on ne peut concevoir!

Armande sort. )

SCENE I I I.

CLITANDRE, HENRIETTE.

HENRIETTE.

VOTRE sincere aveu ne l'a pas peu surprise!

CLITANDRE.

Elle mérite assez une telle franchise;

Et toutes les hauteurs de sa folle fierté

Sont dignes, tout au moins, de ma sincérité.
Mais, puisqu'il m'est permis, je vais à votre pere,
Madame....

HENRIETTE

HENRIETTE, l'interrompant.

Le plus sûr est de gagner ma mere.

Mon pere est d'une humeur à consentir à tout;
Mais il met peu de poids aux choses qu'il résout.
Il a reçu du Ciel certainc bonté d'ame

Qui le soumet d'abord à ce que veut sa femme.
C'est elle qui gouverne; et, d'un ton absolu,
Elle dicte pour loi ce qu'elle a résolu.

Je voudrois bien vous voir, pour elle et pour ma tante,
Une ame, je l'avoue, un peu plus complaisante;
Un esprit, qui, flattant les visions du leur,
Vous pût de leur estime attirer la chaleur.

CLITANDRE.

Mon cœur n'a jamais pu, tant il est né sincere,
Même, dans votre sœur, flatter leur caractere ;
Et les femmes docteurs ne sont point de mon goût.
Je consens qu'une femme ait des clartés de tout;
Mais je ne lui veux point la passion choquante.
De se rendre savante, afin d'être savante,

Et j'aime que souvent aux questions qu'on fait,
Elle sache ignorer les choses qu'elle sait.

De son étude enfin je veux qu'elle se cache,

Et qu'elle ait du savoir, sans vouloir qu'on le sache,
Sans citer les Auteurs, sans dire de grands mots,
Et clouer de l'esprit à ses moindres propos.
Je respecte beaucoup Madame votre mere ;
Mais je ne puis du tout approuver sa chimere,
Et me rendre l'écho des choses qu'elle dit,
Aux encens qu'elle donne à son héros d'esprit.

B

Son Monsieur Trissotin me chagrine, m'assomine;
Et j'enrage de voir qu'elle estime un tel homme,
Qu'elle nous mette au rang des grands et beaux esprits
Un benêt dont par-tout on siffle les écrits
Un pédant dont on voit la plume libérale
D'officieux papiers fournir toute la halle!
HENRIETTE.

Ses écrits, ses discours, tout m'en semble ennuyeux,
Et je me trouve assez votre goût et vos yeux.
Mais, comme sur ma mere il a grande puissance,
Vous devez vous forcer à quelque complaisance.
Un amant fait sa cour où s'attache son cœur:
Il veut de tout le monde y gagner la faveur;
Et, pour n'avoir personne à sa flamme contraire,
Jusqu'au chien du logis il s'efforce de plaire.

CLITANDRE.

Oui, vous avez raison; mais Monsieur Trissotin
M'inspire, au fond de l'ame, un dominant chagrin.
Je ne puis consentir, pour gagner ses suffrages,
A me déshonorer en prisant ses ouvrages.
C'est par eux qu'à mes yeux il a d'abord paru,
Et je le connoissois avant que l'avoir vu.
Je vis, dans le fatras des écrits qu'il nous donne,
Ce qu'étale en tous lieux sa pédante personne,
La constante hauteur de sa présomption,
Cette intrépidité de bonne opinion,

Cet indolent état de confiance extrême,

Qui le rend, en tout tems, si content de soi-même,
Qui fait qu'à son mérite incessamment il rit,
Qu'il se sait si bon gré de tout ce qu'il écrit s

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