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mon cabinet n'aurait le droit de se choquer du désordre de ma toilette.

J'attends au reste quelque plaisir de l'effet que le spectacle de la capitale et la connaissance progressive de la société produiront sur mon pupille. M. Galand ne m'a pas trompé en m'annonçant que cet enfant de la nature était doué d'un sens droit et d'un esprit délié; j'ai déjà eu occasion de le reconnaître. Il raisonne juste et s'exprime avec simplicité. J'ignore de quelle peuplade il sort; mais je le crois plutôt Huron que Natchès, et de la famille de l'Ingénu que de celle de Chactas.

DU DEUIL.

Ce mot est dérivé du latin cordolium, affliction de cœur, d'où les Italiens ont tiré doglia, peine, chagrin.

Vois cette mère en deuil,

Qui, visitant d'un fils la lugubre demeure,
S'assied, croise les bras, baisse la tête et pleure.

DELILLE.

Deuil se dit de la douleur et de l'appareil de la douleur, de la réunion des personnes qui suivent la pompe funèbre, des vêtements et des insignes qui les distinguent, et de l'ordonnance de la cérémonie.

Les couleurs du deuil ont varié suivant les peuples et suivant les temps.

Dans l'antiquité, les Égyptiens portaient le deuil en jaune et les Éthiopiens en gris. A Rome, à Sparte, les femmes le portaient en blanc, mais les femmes seulement. Dans le moyen âge, et jusqu'à la fin du quinzième siècle, le blanc était aussi la couleur du deuil pour les femmes, en Castille. En Chine et à Siam, le blanc est encore la couleur funèbre. En Turquie c'est le bleu et le violet; en France, et chez la plupart des nations européennes, le noir a prévalu ; c'était aussi la couleur du deuil chez les Grecs et chez les Romains, des mœurs desquels participent celles des peuples les plus civilisés.

Ces différences ne sont pas l'effet du caprice. Chaque peuple, chaque siècle attachait une idée particulière à la couleur qu'il choisissait pour interprète de ses douloureux sentiments. Les uns voyaient dans le jaune, couleur de la feuille qui se flétrit, l'image de la décomposition des corps; les autres, dans le bleu, l'image de la céleste demeure que doit habiter l'âme du juste; le gris rappelait à ceux-ci la terre d'où chacun sort et où chacun doit rentrer; le violet, couleur sombre, qui néanmoins participe du bleu, exprimait pour ceux-là l'espérance et la douleur; le blanc, pour les Chinois, qui honorent dans les âmes de leurs ancêtres des génies protecteurs, était un symbole de pureté et d'immortalité. Chez les Grecs et chez les Romains, pour qui mourir était descendre dans la nuit éternelle,

Loca nocte silentia latè.

VIRG.

le noir rappelait cette idée lugubre. De toutes les couleurs c'est sans doute celle qui convient le mieux au deuil. L'aspect d'une couleur quelconque réveillera sans doute un triste souvenir si on l'y a rattaché; mais le sentiment qu'elle réveille, le noir l'inspire. Le noir par sa nature est le deuil lui-même.

Les Orientaux coupaient leurs cheveux en signe de deuil. C'était aussi l'usage des Grecs. Le premier acte de piété filiale par lequel Oreste signale son retour dans Argos, est de couper ses cheveux sur le tombeau d'Agamemnon. Les Romains, au contraire, laissaient croître leur barbe et leurs cheveux. La différence de ces usages ne tient-elle pas à ce que chaque peuple cherche à indiquer son deuil par les pratiques les plus opposées à ses habitudes? Or les Grecs portaient la chevelure et la barbe longues; les Romains, au contraire, tenaient leurs cheveux très courts, et la plupart se rasaient.

Chez les Juifs les démonstrations du deuil étaient encore plus éclatantes. A la mort de leurs parents, non seulement ils s'arrachaient les cheveux, mais ils déchiraient leurs habits, et se revêtaient de sacs ou de cilices, vêtements d'étoffes rudes et grossières, de couleur brune ou noire. De plus, quand ils rompaient le jeûne obligatoire en cette occasion, ils prenaient leurs repas sur la terre, sur laquelle ils prenaient aussi leur sommeil. Enfin ils marchaient pieds nus, ne se chauffaient point, ne soignaient ni leur barbe ni leurs ongles, et s'interdisaient l'usage du bain. Chez les Juifs, qui ne voyaient

dans le malheur que la punition du crime, le deuil avait le caractère de la pénitence.

«

La nature n'aurait pu supporter long-temps de pareilles austérités; aussi, par cela même que la coutume les exagérait, étaient-elles abrégées par la loi. Le deuil, chez les Juifs, durait sept jours. Luctus mortui septem dies, dit l'Ecclésiastique (c. xxII, v. 13.). Et trouvant encore ce temps trop long, il conseille de l'abréger. «Faites, dit-il, le deuil selon le mérite du défunt, pendant un jour ou deux, pour vous mettre à l'abri de la médisance. Fac luctum secundum meritum ejus uno die vel duobus, propter detractionem. » Cela suffit, à son sens. « Car, ajoute-t-il, la tristesse hâte la mort, et l'affliction du cœur éteint l'énergie et affaiblit la raison. A tristitia enim festinat mors, et tristitia cordis flectit cervicem (c. XXXVIII).» « Pleurez modérément un mort, dit-il encore, car il a trouvé le repos. Modicum plora super mortuum, quoniam requievit (c. XXII.). »

Les deuils de Saül, de Judith et d'Hérode-le-Grand, ne furent que de sept jours, ceux de Moïse et d'Aaron furent de trente. C'était pour les Juifs la plus longue durée du deuil. « Elle doit suffire, dit Flavien Josèphe dans ses Antiquités judaïques, aux plus sages dans la perte de leurs parents les plus proches et de leurs amis les plus chers. >>

Les Romains n'en jugeaient pas ainsi : leur deuil se prolongeait jusqu'à dix mois. Pendant ce temps, une veuve ne pouvait pas se remarier sans se faire noter d'in

famie. Ils ne prenaient pas le deuil d'un enfant mort au-dessous de trois ans; mais pour ceux qui mouraient entre trois et dix ans, ils le portaient autant de mois que l'enfant avait d'années. La durée du deuil a quelquefois été abrégée à Rome par la politique du sénat. Après la bataille de Cannes, il fut réduit à trente jours. La république devait être impatiente de voir disparaître ce témoignage de tant de douleurs particulières qui rappelaient un si grand malheur public.

Lycurgue fixa la durée du deuil à onze jours, et cela, dit Plutarque, parcequ'il ne souffrait rien d'inutile et d'oiseux.

Le deuil, à Rome, après la mort d'un empereur, était plus court encore. Sept jours après sa mort, son apothéose se faisait au champ de Mars; il eût été impie après cela de s'affliger d'un évènement qui le portait des dieux.

au rang

Chez les modernes, la durée du deuil est plus longue même que chez les Romains. Quoiqu'il ait été abrégé en France, le deuil d'épouse y dure encore treize mois. C'est bien court pour une Artémise; pour certaine matrone, c'est bien long. Mais à Paris comme à Éphèse les veuves trouvent des complaisantes; et, là aussi, les consolateurs, voire les goujats, ne sont pas toujours loin des tombeaux. N'a-t-on pas vu tout récemment le treillageur Dolivon succéder à un époux dont son art embellissait la sépulture? Ce travail, qui s'exécutait sous les yeux de l'inconsolable veuve, n'était pas encore

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