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La nuit tombait. Parmi les derniers masques, le seul qu'il me fut possible de voir bien distinctement fut un gros homme en soutane, qui passait son temps à plonger un tuyau de plume dans un baril de moutarde, puis souf flant dans ce chalumeau, il formait des bulles qu'il lançait gravement dans le vague de l'air. Quelques enfants couraient après ces amusettes, dont de vieilles femmes tâchaient de diriger le vol avec leurs éventails. Mais le grand nombre n'y attachait aucune importance, et plusieurs même, à leur arrivée, les anéantissaient avec des chiquenaudes. Ce personnage s'appelait le Grand mou-. tardier.

Une foule de masques succéda à ces divers groupes; mais comme l'obscurité qui m'empêchait de voir leur pantomime ne m'empêchait pas d'entendre leurs propos, et qu'il n'y avait plus guère de plaisir à en espérer, je regagnai ma retraite tout en réfléchissant à ce que j'avais vu, et il me sembla que les diverses scènes que je viens de raconter pourraient bien ne pas appartenir exclusivement au carnaval, ou bien que le carnaval quelque part avait quelquefois duré toute l'année.

NONANTE-CINQ MAUVAIS SUJETS.

Des bords de la Méditerranée, cette phrase a retenti dans toute la France. Elle est aujourd'hui dans toutes

les bouches; elle a fait une fortune égale presque à celle du mot empoigner. Cela tient-il à la même cause? Un officier de gendarmerie qui dit à ses gendarmes, Empoignez-moi cet homme, parle très correctement; mais a-t-il parlé correctement l'avocat qui a dit que sur cent bienfaiteurs des Grecs, on comptait nonante-cing mauvais sujets, etc.; ce qui met les bons sujets de cette catégorie en rapport avec la catégorie entière dans la proportion de cinq sur cent?

Il n'y a pas de faute de grammaire dans le passage cité, nous dira-t-on; vous le signalez donc à tort comme incorrect. Signalons-le donc comme incongru. Gagnerat-on quelque chose à cela? Une incongruité n'est-elle pas aussi une faute de français ?

dans le passage cité,

Pour savoir s'il ne s'en trouve pas tâchons de bien apprécier la valeur des mots dont il se compose, à commencer par le mot sujet.

Sujet prend plusieurs acceptions. Dans un état despotique, on est sujet du prince, qui n'est sujet de quoi que ce soit, mais qui est sujet à être culbuté ou par son peu. ple, ou par sa cour, ou par sa propre garde, comme il est arrivé à Pierre II, à Paul Ier, à Sélim III et à tant d'autres, quand il ne ménage pas ses sujets.

Dans cette dernière acception, sujet a le sens d'exposé à; dans la première, il a celui de soumis, ou de dépendant. Dans un état despotique, sujet est synonyme d'esclave. Il a une signification plus noble dans une monarchie constitutionnelle; là le prince est sujet lui-même.

Là le roi n'est qu'un homme avec un titre auguste,
Premier sujet des lois, et forcé d'être juste.

VOLTAIRE. D. Pèdre.

Est-ce dans ce dernier sens que sujet est employé par l'orateur marseillais? Mauvais sujets alors équivaudrait à sujets désobéissants, sujets rebelles. Mais des chrétiens peuvent-ils être accusés de désobéir au roi très chrétien, en prenant intérêt à des chrétiens massacrés par les ennemis de quiconque est chrétien? Telle ne peut être la pensée de M. le substitut.

Sujet se dit aussi pour individu, personne; et dans ce sens il est presque toujours accompagné d'un adjectif qui détermine soit les qualités, soit les défauts de la personne dont il s'agit; un brillant sujet, un pauvre sujet, un bon, un mauvais sujet, un piètre sujet.

C'est dans ce sens que l'orateur marseillais a évidemment employé ce mot. Mais sait-il bien quelle valeur lui donne l'épithète qu'il y joint? Sait-il que mauvais sujet ne se dit que d'un homme sans principes, sans mœurs, sans probité? Sait-il que c'est le synonyme de vaurien, de garnement?

Un tas d'hommes perdus de dettes et de crimes,
Que pressent de mes lois les ordres légitimes,

Et qui, désespérant de les plus éviter,

Si tout n'est renversé, ne peuvent subsister.

Cinna.

Voilà comment les mauvais sujets sont définis dans la langue de Corneille, qui ne nous semble pas être celle

du parquet de Marseille. Mais eût-il substitué dans son discours ces vers mêmes à l'expression mauvais sujet, expression trop familière pour être prononcée dans toute autre audience que celle d'un commissaire de police, l'orateur marseillais aurait encore parlé d'une manière peu congrue. Les amis des Grecs, qu'il injurie en masse, ne voient-ils pas à leur tête le roi de Prusse, le roi de Bavière, et lé pape lui-même, car nous ne pouvons supposer qu'on ait calomnié Sa Sainteté en annonçant qu'elle prend en pitié les malheurs des chrétiens d'Orient? Mais peut-être l'orateur marseillais les comprend-il dans l'exception de cinq pour cent.

Quant à nonante, ce n'est pas une expression incongrue; mais ce n'est plus une expression française. Ce mot suranné est inintelligible pour quiconque, ne sachant pas le latin, n'est pas familiarisé avec les langues du midi de l'Europe, ou avec les jargons du midi de la France. S'en servir, c'est faire ce que ferait un homme qui endosserait les habits de son trisaïeul; c'est endosser un ridicule. Or, on s'expose à se faire montrer au doigt, à se faire rire au nez, même en province, quand on se montre en public avec le costume de M. de Sottenville ou de M. de Pourceaugnac, en tout autre temps qu'en

carnaval.

DES ORDRES DE CHEVALERIE EN GÉNÉRAL,

.

ET PATICULIÈREMENT

DE L'ORDRE DE SAINT-MICHEL.

Les ordres de chevalerie peuvent se diviser en trois classes ordres militaires et religieux; ordres exclusivement militaires; ordres à la fois militaires et civils.

Les ordres de la première classe étaient dans leur origine des institutions monastiques. Leur fondation date généralement de l'époque des croisades. Des religieux encuirassés se liaient indépendamment des vœux de pauvreté et de chasteté, par des vœux qui les astreignaient à des obligations particulières et à un service spécial. Les Templiers s'étaient consacrés à la défense du temple par un vœu semblable, qu'ils ont fini par ne pas mieux garder que ceux de pauvreté et de chasteté. Les chevaliers de Malte, qui, pauvres et chastes comme on sait, s'appelaient dans l'origine hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, se vouaient, dans la terre sainte, au service des chrétiens malades ou voyageurs : cette manière d'honorer Dieu dans l'humanité est sans contredit la meilleure de toutes.

La bonté divine en jugea probablement ainsi à voir la destinée si différente des templiers et des hospitaliers. Les frères templiers, malgré leur bravoure, finirent misérablement, victimes de la justice d'un roi et de la charité

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