Images de page
PDF
ePub

ans, est refusée à Britannicus, à Cinna, à Mahomet. Ne serait-ce pas établir l'ordre que de changer l'ordre établi? Ce n'est pas en cette circonstance qu'il n'importe guère

Que Pascal soit devant, ou Pascal soit derrière.

-Cela importe plus qu'on ne pense, dit vivement un des membres les plus sensés du comité; à cette proposition d'ordre se rattache une question de morale: il est à propos, je crois, de l'examiner avant de passer outre. Je la pose: Faut-il faire rire le public avant de le faire pleurer, faut-il le faire pleurer avant de le faire

rire?

Si vous commencez par faire rire votre spectateur, il n'est pas sûr que vous finissiez par le faire pleurer. L'hilarité est une affection que le parterre ne perd pas facilement. Cela est si vrai, qu'il s'y livre souvent au moment même où nous faisons tous nos efforts pour lui inspirer l'affection opposée; témoin notre bon camarade ***, qui n'égaie jamais tant le parterre que quand il s'efforce de l'attrister. Rien de plus facile, au contraire, que de faire passer le spectateur de la tristesse à la gaieté. Les impressions douloureuses de la tragédie fatiguent à la longue; c'est un plaisir dont on a bientôt besoin de se délasser. Jamais les Français n'ont été plus avides de fêtes et d'amusements qu'après le règne de la terreur. Jamais le gai Monrose et l'enjoué Batiste ne sont plus applaudis que lorsqu'ils succèdent à Talma

et à Duchesnois. Je vote pour le maintien de l'ordre établi.

Cette manière d'envisager la question fit dévier la discussion, et donna lieu à une quantité de questions incidentes dans l'assemblée des comédiens; car il y a des comédiens qui raisonnent. Quelle est l'influence des pièces tristes ou gaies sur le caractère d'une nation? Les hommes gagnent-ils plus à pleurer tout une soirée à la tragédie, qu'à rire tout une soirée à la comédie? Ces genres exclusifs ne sont-ils pas essentiellement faux? Le mélange de la tristesse et de la gaieté n'est-il pas dans la marche habituelle des choses? Ne devrait-il pas régner sur le théâtre comme dans la nature? Il n'y a que le drame de vrai, disait l'un: plus de tragédies, plus de comédies; à bas Racine, à bas Molière, vive Shakespeare! criait l'autre.

Il ne s'agissait plus, comme on voit, de savoir si on devait rire avant de pleurer, ou pleurer avant de rire, mais rire ou pleurer tout à la fois.

Le sociétaire qui avait posé la question y voulait ramener l'assemblée, mais en vain. L'heure du dîner était sonnée. Le ventre, qui exerce plus d'une influence dans cette société-là, fit ajourner la délibération. Entre mille bonnes raisons, il observa qu'une question qui touchait de si près la sensibilité ne devait être discutée que dans une séance spéciale; que tous les cœurs sensibles, qui avaient droit de voter, n'étaient pas présents; que la question était surtout de la compétence de mademoi

selle V***, et qu'il était de toute justice de ne rien décider avant le retour de cette actrice sentimentale qui, pour le quart d'heure, lamente à Bruxelles la comédie et la tragédie à la grande satisfaction des concitoyens du Mankenpiss qui pleure moins qu'elle.

La discussion, en conséquence, sera reprise au premier jour. Nous tiendrons le public au courant de la prochaine délibération.

DES LARMES.

On appelle ainsi ces gouttes d'eau limpide et un peu salée que certaines affections ou physiques ou morales font couler des yeux de l'homme.

Les larmes sont quelquefois âcres jusqu'à l'amertume; telles étaient celles que saint Pierre versa au chant du coq; à la troisième fois qu'il entendit le chant de cet oiseau, il pleura amèrement, flevit amare, dit le texte sacré, et il y avait lieu : il venait de renier le meilleur des maîtres. Judas, qui l'avait trahi, ne pleura pas, lui: les larmes n'appartiennent qu'au repentir.

A quoi tient cette sapidité des larmes? De quelle nature est la substance qui les assaisonne? Est-elle la même dans les larmes des petits enfants et des grandes perdans les larmes des dames et des messieurs, dans celles des gentilshommes et des roturiers? Si c'est

un sel, quelle en est la base? Avec quel acide cette base se combine-t-elle? Est-ce un sulfate, un muriate, un phosphite, ou un carbonate?

Il serait possible qu'en dernière analyse les larmes d'une petite-maîtresse et celles d'une servante donnassent le même résultat, et qu'on ne pût en extraire défi nitivement que ce muriate vulgairement appelé sel de cuisine. Sous certains rapports, rien ne ressemble tant à une femme qu'une femme : il est désolant d'être obligé d'en convenir.

Quelque galant chimiste devrait bien s'occuper de cet objet. Qu'il ne néglige pas surtout de mettre ce rapport en couplets, sur un air connu, et de le faire imprimer sur papier couleur de rose.

Il y a des yeux qui pleurent plus abondamment que les autres. A quoi cela tient-il? Est-ce à ce que l'opération qui produit les larmes se fait en eux avec plus de facilité? Est-ce à ce que le sac lacrymal contient chez eux une plus grande quantité de larmes toutes prêtes, et qu'ils n'ont pour pleurer qu'un robinet à tourner?

Voilà encore des questions faites pour occuper l'attention des savants de boudoirs. MM. les rédacteurs de la

Gazette de Santé n'y pourraient-ils pas consacrer quelques articles? Jamais matière n'eût été plus digne d'être édulcorée par leurs madrigaux.

L'auteur d'Atala semble croire aux larmes toutes faites. L'on s'est étonné, dit-il, de la quantité de larmes

que contiennent les yeux des rois. Mais son opinion estelle ici de poids? Ce prosateur doit-il obtenir autant d'autorité en physiologie qu'en poésie? N'est-il pas d'ailleurs contredit très positivement en cette opinion l'abbé Morellet, qui, en fait de larmes, en fait de larmes, conclut pour l'égalité la plus absolue?

par

C'est une grande puissance que celle des larmes; il n'y en a pas de plus communicative.

Là-dessus il se mit à braire.
Priam, prince très débonnaire,
Sitôt qu'il le vit braire ainsi,

Se mit bien fort à braire aussi.
Quelques Troyens voyant leur maître
Braire autant et plus que ce traître,
Afin de faire bien leur cour,

Se mirent à braire à leur tour.

Énéide, liv. II. SCARRON.

Il est si difficile de ne pas pleurer en voyant pleurer! Aussi que d'efforts les avocats, les amants, les poëtes, les acteurs, les prédicateurs et tant d'autres comédiens ne se donnent-ils pas pour faire pleurer le monde!

Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleurie z.

BOILEAU.

Les larmes obtiennent ce qu'on refuse aux raisonnements. Parler de sa douleur n'est rien; la prouver c'est tout. Les larmes de la famille de Citron produisent sur le cœur de M. Perrin Dandin une émotion que

n'avait

« PrécédentContinuer »