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ont adopté aussi l'emploi du nous ? Je serais tenté de le croire. Car les apôtres auxquels ils succèdent ne s'en servaient pas dans leur correspondance avec les premiers fidèles. Saint Paul, dans ses épîtres, parle toujours au singulier, à moins qu'il ne soit assisté de quelques disciples, tels que Sylvain et Timothée.

L'emploi du nous, introduit originairement par l'orgueil, est aujourd'hui recommandé par la modestie, et le moi est proscrit par deux grandes autorités, par un moraliste et un chansonnier, par Pascal et Boufflers, comme portant un caractère insoutenable de présomption et de personnalité.

Cela est-il bien juste? Serait-il absolument impossible de démontrer que le moi, qui ne caractérise pas moins la franchise que l'égoïsme, est peut-être aussi souvent que le nous l'expression de la modestie?

Laissons de côté les circonstances où le nous est adopté par l'usage, où le nous entre de droit dans les formules, comme certains personnages gothiques dans certaines cérémonies où ils figurent sans qu'on y fasse attention. Le nous n'indique là ni modestie ni orgueil. Mais est-ce par modestie que tant de gens l'emploient l'emploient en énonçant une opinion ou une volonté particulière, à laquelle ils prêtent ainsi l'autorité de plusieurs? Non sans doute, pas plus que ce n'est par courage qu'ils cherchent à couvrir la nullité de leur moi de l'importance de ce nous, derrière lequel ils se réfugient comme un poltron derrière une ligne de grenadiers.

Quand je vois le membre d'une association quelconque se servir du nous dans un écrit qu'il ne signe pas, soit en attaquant des idées reçues, soit en soutenant des paradoxes, soit en dénigrant des hommes estimés, soit en prônant des hommes discrédités, je crois qu'il cherche moins à se dérober à l'honneur d'avoir émis des vérités nouvelles, qu'à faire retomber sur la coterie sous la raison de laquelle il correspond la responsabilité de ses hérésies; le nous est là où il n'oserait mettre le moi.

Ce nous-là ne couvre-t-il pas ce moi contre lequel Blaise Pascal montre tant d'humeur; ce moi qu'il hait « comme injuste en soi, en ce qu'il se fait centre de tout, et « comme incommode aux autres, en ce qu'il veut les as« servir? » ( Pascal, art. 9, pens. 23.)

Ce nous-là, pronom du lâche comme de l'égoïste, équivaut au mot on, mot d'usage tout aussi commode, mot sous la protection duquel tant de braves s'embusquent aussi, mot si bien qualifié par le proverbe, ON

est un sot.

LA LUNE.

Cet astre exerce assez d'influence sur notre globe sublunaire, pour que nous lui prêtions un moment d'attention.

Satellite lumineux, entraîné à la suite d'une obscure planète, la lune ne ressemble-t-elle pas un peu à ces

laquais ou à ces courtisans qui sont plus brillants que leur maître? Que gagne-t-elle à suivre si fidèlement la marche de la terre? D'où naît la puissance qui l'attire et la puissance qui la retient? Mais ce n'est pas sous les rapports physiques que nous voulons nous occuper d'elle. Laissons ces questions à résoudre aux astronomes, qui comprennent mieux quelquefois ce qui se passe là haut que ce qui se fait ici-bas.

Est-ce aux influences de la lune que l'on doit attribuer les variations des marées et les aberrations de certaines têtes dans lesquelles les phases de la raison semblent se régler sur les siennes? C'est encore aux physiciens à nous l'apprendre.

Vouloir atteindre si haut, ce serait, pour nous autres ignorants, vouloir prendre la lune avec les dents; prétention presque aussi extravagante que celle de faire rebrousser un peuple vers la barbarie, ou un fleuve vers

sa source.

Occupons-nous seulement des rapports de la lune avec la morale et de l'importance qu'elle peut avoir dans le langage.

La lune est souvent mêlée dans nos propos. Elle figure dans plusieurs proverbes non moins accrédités que celui que nous avons cité plus haut. Quelle peut être l'origine de ces proverbes, dont j'entends quelquefois mieux le sens que la lettre?

Je conçois bien qu'on rie d'un homme qui, comme Gargantua, quand il était petit, garde la lune des loups.

C'est se donner de la peine presque aussi mal à propos que ces bonnes gens qu'on voit prendre aujourd'hui la défense de Voltaire et de Jean-Jacques, qui n'ont rien à craindre non plus de la gueule des bêtes. Mais pourquoi dit-on d'un financier du ruisseau qui, ayant acheté des rentes à prime, décampe sans avoir payé la différence, Il a fait un trou à la lune? Si chaque banqueroute avait été signalée par un effet pareil depuis trois semaines seulement, le disque de la lune ressemblerait à une écumoire.

Aboyer à la lune, je conçois le sens de ce proverbe: quand la Quotidienne glapit après un philosophe, quand la vieille Gazette jappe après un philanthrope, quand le Drapeau blanc hurle après un libéral, comme ces mâtins qui, du fond de leur niche, se déchaînent contre tout ce qui luit au milieu des ténèbres, ils injurient l'éclat qui les blesse ; ils aboient à la lune. Mais pourquoi dit-on poltron comme la lune? Si la lune se cache quelquefois, du moins n'a-t-elle jamais reculé : le soleil n'en peut pas dire autant.

Inconstant comme la lune, est une comparaison très juste. A combien de portraits et dans combien de cas ne pourrait-elle pas servir d'inscription! Cela me rappelle un apologue de je ne sais qui, et que j'ai lu je ne sais où, apologue que je me garderais bien de citer dans tous les pays.

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La lune priait sa mère de lui faire un manteau à sa
Comment en viendrais-je à bout, quand tu

taille.

changes de taille toutes les semaines?» lui répondit sa

mère.

On ne saurait, j'en conviens, faire application de cet apologue à tous les peuples. Les Chinois et les Welches, par exemple, sont un peu plus constants que la lune. Les premiers ne changent pas d'habitudes une fois en mille ans, et les seconds n'en changent guère qu'une fois tous les quinze jours.

En parlant de la lune, demie et moitié ne sont pas la même chose. La demi-lune est cette fortification à l'attaque de laquelle le marquis de Mascarille reçut cette furieuse plaie que Madelon Gorgibus ne lui permet pas de montrer. La moitié de la lune est cet ornement dont le grand Turc se coiffe en réalité, et que l'on voit idéalement sur la tête de nombre de gens qui ne sont pas des Turcs.

On appelle figurément et par extension, comme dit l'académie française, pleine lune, une face si joufflue, que l'on n'y voit ni le nez ni les yeux; pleine lune n'est pas toujours synonyme de visage.

Autre observation : la lune, dans ses différentes phases, regarde tantôt à droite, tantôt à gauche, et finit par disparaître après s'être montrée tant soit peu bouffie dans sa plénitude; sa marche ne ressemble-t-elle pas à celle de certains hommes d'état qui ont aussi leur croissant, leur plein et leur déclin? Après avoir souri tour à tour au côté droit et au côté gauche, et offert quelques jours la face rayonnante d'une pleine lune, ils

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