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infini, dit l'Ecclésiaste. Rien de plus vrai; mais sachons d'abord ce que c'est qu'un sot.

Le mot stultus, dont sot semble dériver, était, chez les Latins, l'opposé du mot sapiens, sage, sensé :

Brutus erát stulti sapiens imitator.

OVID.

Brutus très sagement imitait la folie.

Stultus signifiait aussi fou, stupide, bête. Il n'a en français aucune de ces significations.

Le sot diffère, ce me semble, du fou et du stupide en ce qu'il n'est pas privé de la faculté de raisonner qui manque au premier, et de celle de penser qui manque au second. Le fou n'est pas privé d'idées, mais elles se succèdent dans sa tête en une telle abondance et avec une telle rapidité, qu'il n'a ni le temps de les coordonner, ni celui de les comparer, ce qui constitue la faculté de raisonner. Quant au stupide, à peine a-t-il des idées. Le sot, au contraire, n'est privé ni de la faculté de penser, ni de celle de raisonner; mais ou ses pensées sont fausses, ou de pensées justes il tire de fausses conséquences. Ce n'est pas le défaut d'idées, mais le défaut de jugement qui constitue le sot. Tel est l'homme dont je ne sais qui disait : « Il ne quitte pas un bon mot qu'il n'en ait fait une sottise. »

Il résulte de cela que le fou, qui ne raisonne pas, et la bête, qui ne pense pas, sont moins importuns en ce monde que le sot, qui malheureusement s'y rencontre

plus souvent qu'eux. Chamfort demandait combien il fallait de sots pour faire un public.

Le sot, par cela même qu'il ne procède pas dans les règles de la raison, peut déconcerter un homme raisonnable. A l'escrime, un mauvais tireur peut toucher un maître en fait d'armes. Turenne, en parlant des généraux qu'il avait eus à combattre, disait qu'un sot l'avait quelquefois plus embarrassé qu'un habile homme.

Les Latins donnaient aussi au sot le nom de fatuus, dont nous avons fait fat, et qui, chez nous, désigne un genre particulier de sots. Il est mal de donner ce nom au prochain, comme nous le faisons tous les jours. Non seulement c'est manquer aux lois de la politesse, mais c'est manquer à la loi de Dieu, et s'exposer à de graves peines dans l'autre monde, si l'on ne reçoit pas dans celui-ci un coup d'épée ou des coups de bâton. Si, en appelant son frère raca, on est coupable devant le conseil, reus in concilio, en l'appelant fat ou sot, on est punissable de la géhenne du feu, reus gehennæ ignis. Voyez saint Matthieu.

Si cette loi s'exécute à la rigueur, que d'hommes de lettres en enfer! car il y a bien peu d'hommes de lettres qui, en vers ou en prose, n'aient gratifié quelque rival de cette épithète. Que d'honnêtes gens damnés aussi à l'occasion de M. de Marcassus! Mais, soit dit entre nous, la peine est-elle bien ici en proportion avec le délit? Quelle leçon de politesse que celle qui doit durer toute une éternité!

Sottise, état, qualité du sot ou de ce qui est sot. Exemple: La sottise du parterre fait le succès des mauvais ouvrages; la sottise des auteurs donne seule de l'importance aux mauvais critiques.

Sottise, action d'un sot:

Nous tromper dans nos entreprises,
C'est à quoi nous sommes sujets.
Le matin je fais des projets,

Et le long du jour des sottises.

Un jeune dissipateur se maria pour arranger ses affaires. J'espère, lui dit sa femme en revenant de la municipalité, que dorénavant vous serez plus sage. - A dater de ce moment, je ne ferai plus de sottises, répondit galamment le marié.

L'Arétin, qui, au seizième siècle, s'était attribué sur les rois réels la même juridiction qu'exerça de nos jours un folliculaire sur nos rois postiches, rendait CharlesQuint et François Ier tributaires de sa plume, comme notre zoïle rendit tributaires de la sienne Orosmane et Zaïre, qui se laissent encore rançonner par de plus vils pirates. L'Arétin était si redouté de ces rois, qu'ils ne tentaient pas une entreprise sans s'être assurés de sa faveur, sans avoir acheté ses éloges ou son silence, suivant qu'ils avaient intérêt à délier ou à enchaîner sa langue : ce à quoi ils ne réussissaient pas toujours; car c'était peu que le cadeau fût mesuré à l'importance du service, s'il ne l'était à l'avidité de ce libelliste. Charles-Quint, à son re

tour d'Afrique, lui envoya une chaîne d'or du poids de cent ducats, pour l'engager à ne pas parler de cette malheureuse expédition. « Voilà, dit le cynique en soupesant la chaîne, un bien petit présent pour une si grande sottise.»

Sottises, propos, discours d'un sot. Ce que la bonne compagnie appelle injures, grossièretés, le peuple et les enfants l'appellent sottises : On m'a dit des sottises. Les enfants ont raison : les trois quarts des injures ne sont pas autre chose.

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Nous donnons trop facilement le nom de sottises à des vérités dites par nos inférieurs.

Tous les discours sont des sottises

Partant d'un homme sans éclat;

Ce serait paroles exquises

Si c'était un grand qui parlât.

Amphitryon.

Cette sévérité avec laquelle on juge les petits, Duclos la reproduisait souvent dans les jugements qu'il portait sur les grands. « Tous nos grands seigneurs sont ici, ditil un jour en entrant à l'académie; est-ce qu'il y aurait quelque sottise à faire? »

Pour compléter cet article, disons que sot est employé dans quelques auteurs pour désigner ces maris qui se trouvent dans une situation assez sotte, non par effet de leurs sottises, mais par celui des sottises d'autrui. Employé dans cette acception, ce mot ne serait pas com

il

pris aujourd'hui ; or, comme le mot qu'il suppléait est tombé aussi en désuétude pour la bonne compagnie, s'ensuit que, dans ce siècle de pudeur, une condition qui est encore dans les mœurs n'a plus de nom dans la langue.

Le synonyme de sot est indécent partout ailleurs qu'à la scène. On ne le prononce plus qu'en public.

Conclusion: Stultorum infinitus est numerus, les sots sont ici-bas en majorité.

AVALER.

Ce mot s'écrivait autrefois avaller, orthographe plus conforme à son étymologie. Avaler est composé de ad (à), et vallis (vallée ou val ); il indique une direction de haut en bas. Les gens de rivière, pour indiquer qu'on descend le fleuve, disent à val, par opposition à amont, qui indique qu'on le remonte, et se compose de ad (à) et mont, montagne.

D'avaler vient ravaler, abaisser, avilir:

Qu'à des pensers si bas mon âme se ravale;

Que je tienne Pauline à mon sort inégale.

Polyeucte.

S'il faut que vos bontés veuillent me consoler,
Et jusqu'à mon néant daignent se ravaler.

Tartufe.

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