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Avaler, transmettre par le gosier une substance à l'estomac. Avaler un verre de vin, des petits pâtés, une médecine.

« Dans l'île de Tohu-Bohu, ne trouvâmes de quoi frire. Bringuenarille le Grand-Géant avoit toutes ses poëles, poëlons, chaudrons, lèchefrites et marmites du pays Avallée,» dit Rabelais. Ce Bringuenarille, qui avalait tout, fut ministre en son pays. Néanmoins on peut en rire dans le nôtre sans' crainte d'être compromis pour fait d'allusion. Nous n'avons pas de géant dans nos administrations.

Sous le ministère de l'abbé Terray, qui était si fécond en ressources financières, à l'époque même où il grevait les rentes de ses trois vingtièmes, un garde-du-corps, par suite d'un pari, avala un écu. La pièce s'étant arrêtée au passage, le malheureux était en grand danger, et l'on ne savait trop que tenter pour le tirer d'affaire. Comme on parlait devant Louis XV de l'embarras où se trouvaient les chirurgiens : «Ce n'est pas à eux qu'il faut s'adresser, dit le duc d'Ayen. - Et à qui donc ? reprit le roi. Sire, à votre ministre des finances. Que votre majesté le charge de cette opération; il mettra d'abord sur cet écu un premier vingtième, puis un second, puis un troisième, et, de vingtième en vingtième, il le réduira, comme il a fait des nôtres, à si peu de chose, qu'il pourra passer par les voies ordinaires. »

Avaler entre dans plusieurs locutions proverbiales.

Avaler le morceau, avaler le goujon, avaler la pilule, avaler des couleuvres, avaler le calice.

Chacun de ces proverbes a un sens particulier. Essayons de les préciser.

Avaler le morceau, par allusion à l'effort que l'on fait pour avaler une bouchée qui passe difficilement; se déterminer à faire ou à permettre une chose qui vous répugne. Exemple : l'acquittement du Courrier et du Constitutionnel a été, pour des gens d'une certaine robe, un morceau difficile à avaler.

Avaler le goujon, se laisser attraper, se laisser prendre à un conte ou à une supercherie, comme, dans Crispin rival, M. et madame Oronte, quand ils prêtent foi à toutes les fables que leur font deux fripons de valets, et surtout à celui de ces deux étangs où l'on pêche chaque année pour deux mille francs de goujons.

Disons à cette occasion que les acteurs ont tort, quand ils ajoutent à ce propos le dialogue suivant : CRISPIN. Aimez-vous le goujon, monsieur Oronte ? ORONTE. Si je l'aime? à la fureur! CRISPIN. Eh bien! nous vous en ferons avaler. Ceux des acteurs qui prennent cette licence nous permettront de leur dire qu'en cela ils font une double faute, et qu'ils offensent à la fois le sens commun et la bienséance: 1° parcequ'un fourbe ne dit pas à quelqu'un qu'il veut attraper, Je vous attrape; 2° parceque l'acteur ne doit pas substituer son esprit à celui de l'auteur. L'acteur ne doit pas oublier qu'il n'est que l'organe de

l'auteur, et que les auteurs n'ont pas toujours moins d'esprit que les acteurs, fait dont ceux-ci ne paraissent pas toujours persuadés, même quand ils jouent Molière.

Avaler la pilule, se laisser séduire par les belles apparences dont on a revêtu une affaire désagréable avec un artifice pareil à celui des apothicaires, qui dorent ou argentent leurs pilules pour en déguiser la couleur et le goût.

Quand le divin amant d'Alcmène s'amuse à changer en honneur l'injure qu'il fait à Amphitryon,

Le seigneur Jupiter sait dorer la pilule,

dit Sosie: c'est parler très judicieusement. Il est des gens qui ne se laissent pas affrioler à ces dehors dorés : M. de Montespan, par exemple, ne put jamais se résoudre à avaler la pilule que lui dorait un roi. Ce miracle s'est renouvelé cent ans après. Mais que de maris ont été moins scrupuleux sur cet article! Ces miracles-là ne se voient deux fois dans un siècle.

pas

Molière disait : « Le mépris est une pilule qu'on peut avaler, mais qu'on ne peut pas mâcher. »

Une comédie larmoyante, une tragédie romanesque ou romantique, un vaudeville mêlé de sermons, un sermon mêlé de vaudevilles, sont de ces pilules qu'on avale sans les goûter.

Avaler des couleuvres, endurer, sans sourciller, de longs déplaisirs, de longs outrages. Talent d'homme de cour, talent d'homme d'état. Voulez-vous savoir com

ment on avale des couleuvres? étudiez, après une révolution, la figure que fait au milieu d'une nouvelle cour un transfuge de l'ancienne; ou bien, dans un pays où le gouvernement est représentatif, contemplez la figure que fait un ministre sur son banc pendant qu'on épluche le budget de son département, ou qu'on rejette une loi par lui proposée, étude qu'on peut faire sans aller à Londres. Avaler le calice. On donne quelquefois à ce proverbe l'acception du précédent : on a tort. L'un caractérise un effort de dissimulation, l'autre un effort de résignation. Socrate, et Jésus lui-même, ont donné l'exemple de cet effort de vertu. Le lâche avale des couleuvres, le juste avale le calice. La Chalotais l'avala jadis; mais ce n'est pas cela qu'avalent aujourd'hui ses calomniateurs.

EXHUMATION

DE MOLIÈRE ET DE LA FONTAINE.

Les morts, par le temps qui court, ne sont guère plus tranquilles que les vivants; ils semblent aussi n'être logés qu'à bail, et ce bail, qui pour Marat et Mirabeau n'a pas été de trois, six, neuf, pour Molière et La Fontaine est à peine emphyteotique.

Tranquilles pendant un siècle au cimetière de SaintJoseph, transformé au bout de ce temps en marché, ils en sortent pour aller prendre place au Muséum des mo

numents français, dont ils n'étaient pas la moindre ri chesse.

Le nouvel asile que leur offrit là M. Alex. Lenoir était du moins plus décent que celui qu'ils quittaient, quoique, après tout, ce fût un beau monument que cette simple pierre qui recouvrait le corps de Molière, et que le feu entretenu pour les pauvres, aux frais de sa veuve, pendant le rigoureux hiver de 1673, avait dégradée. C'est dans un jardin charmant, dans un véritable élysée, que l'ami des arts leur avait préparé un tombeau entre ceux d'Héloïse et de Dagobert. Quelque plaisir que l'on prenne à dormir, quand on a gagné au change, on se console d'avoir changé de lit. O mihi tum quam molliter ossa quiescant! Oh! combien nos os reposeront doucement ici! s'écrièrent ces deux grands hommes en se rendormant pour la seconde fois après la vie.

Vaine espérance! au bout de vingt ans, nouvelle importunité! les voilà encore tirés de leur repos pour être transportés au cimetière de Mont-Louis, cimetière établi dans les jardins qui ont jadis appartenus au T. R. P. La Chaise, frère de la compagnie de Jésus, et confesseur du rol.

Pour arriver là, notre bon La Fontaine a pris le plus long, comme il faisait quelquefois quand il allait à l'académie. Il n'a pas fait non plus ce voyage tout d'une traite. Chemin faisant, il est entré à Saint-Germain-desPrés, où on lui a chanté un beau de profundis en fauxbourdon, en considération sans doute de ce qu'il avait

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