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de gouvernement dont le résultat ne pouvait être que le mécontentement des populations et une provocation au désordre.

Bien que les dangers dont la Sardaigne était menacée, par suite d'un tel état de choses, fussent devenus plus graves et plus imminents, la conduite du gouvernement du roi a toujours été réglée par un esprit de convenance et de réserve que tous les hommes de bonne foi ne sauraient se refuser de reconnaître.

Si le gouvernement de S. M. repoussa hautement les prétentions de l'Autriche, qui exigeait des modifications aux institutions du pays, il n'a pas pris une attitude hostile à son égard, lorsque le cabinet de Vienne a cru devoir saisir un prétexte jugé futile par presque tous les hommes d'Etat de l'Europe pour rompre avec éclat les relations diplomatiques avec la Sardaigne.

La Sardaigne s'est bornée à rappeler de temps en temps aux gouvernements avec lesquels elle entretient des rapports d'amitié, les tristes prévisions que les faits vérifiaient chaque jour, et à rappeler leur sollicitude sur les conditions de la Péninsule.

Elle n'a jamais caché les préoccupations et la sympathie que lui inspire l'état de la plupart des provinces italiennes. Mais lorsqu'elle a cru devoir les manifester publiquement, elle l'a fait avec autant de mesure que de convenance.

Par son exemple, par sa conduite dans la dernière guerre et dans le congrès de Paris, par la manifestation de son intérêt et de sa commisération envers les populations italiennes, la Sardaigne s'est efforcée de ramener l'espoir, la patience et le calme au milieu du désespoir, de l'impatience et de l'agitation. Elle s'est abstenue avec le plus grand soin de jouer un rôle provocateur quelconque, et si le droit public a été méconnu en Italie, ce n'est certes pas la Sardaigne qui pourra être accusée de la moindre infraction aux traités existants.

Cet esprit de modération, dont tous les actes du gouvernement du roi ont été empreints jusqu'ici, a été apprécié par tous les hommes impartiaux et par l'opinion publique en Europe.

Mais à présent les mesures militaires extraordinaires que le cabinet de Vienne vient de prendre, et qui sont évidemment dirigées contre la Sardaigne, dont les forces militaires sont relativement bien faibles si on les compare à celles de l'Autriche, forcent le gouvernement du roi, sans sortir de cette réserve, à se prémunir contre un danger qui peut devenir imminent. Ces mesures, l'Europe les connaît. Je crois toutefois devoir les rappeler rapidement.

Dans les premiers jours de janvier, avant que le roi eût prononcé le discours d'ouverture de la nouvelle session législative, le cabinet de Vienne annonça dans son journal officiel l'envoi d'un corps d'armée de 30 000 hommes en Italie; ce corps, ajouté aux trois autres qui y sont établis, d'une manière permanente, devait porter l'armée autrichienne à un chiffre hors de proportion avec ce que peut exiger le maintien de l'ordre et de la tranquillité intérieure.

En même temps que ces troupes étaient expédiées en Lombardie et dans la Vénétie avec une rapidité extraordinaire, on a vu arriver des bataillons de frontière, qui ne sortent de leur contrée qu'en cas de guerre.

Les garnisons de Bologne et d'Ancône ont été renforcées. Mais ce qui est plus grave, l'Autriche a concentré sur nos frontières des forces considérables; elle a réuni, entre l'Adda et le Tessin, et surtout entre Crémone, Plaisance et Pavie, un véritable corps d'opération qui, certes, ne pouvait être destiné à maintenir dans l'obéissance ces villes d'une importance tout à fait secondaire.

Pendant quelques jours la rive gauche du Tessin a présenté l'aspect d'un pays où la guerre va éclater.

Les villages ont été occupés par des corps détachés, partout on a préparé des logements et on a pris des mesures pour former des magasins. Des vedettes ont été placées jusque sur le pont de Buffalora, qui marque la limite des deux pays

Je ne parle pas des propos menaçants tenus publiquement à Milan et dans d'autres villes par la plupart des officiers autrichiens, sans excepter ceux revêtus des grades éminents, car je sais qu'on ne doit pas toujours rendre responsables les gouvernements du langage de leurs agents.

Mais je crois devoir faire remarquer la réception faite, à Venise, aux troupes venant de Vienne, à l'ostentation avec laquelle on a fait à Plaisance de vastes préparatifs en occupant des forts construits au mépris des traités, qu'on paraissait négliger depuis quelque temps.

En présence de dispositions aussi menaçantes pour nous, le pays s'est ému Confiant dans le patriotisme du roi et de son gouvernement, il demeure calme, mais il demande que l'on songe à le mettre en mesure de faire face aux éventualités qu'un tel déploiement de forces de la part de l'Autriche peut fa.re présager.

C'est dans ce but que le ministre s'est décidé à appeler en Piémont les garnisons établies en Sardaigne et au delà des Alpes, et à demander aux chambres la faculté de contracter un emprunt.

Cette dernière demande, qui sera, je le pense, adoptée, en prouvant à la nation que le gouvernement a la conscience de ce que la sécurité et l'honneur du pays lui imposent, maintiendra la tranquillité dans les esprits, et nous permettra d'attendre avec calme les éventualités futures.

J'espère que vous n'aurez pas de difficulté à convaincre les hommes politiques avec lesquels vous êtes en rapport que les mesures sus-indiquées dans un but exclusivement défensif, loin de renfermer une menace pour la tranquillité de l'Europe, auraient pour résultat de calmer l'agitation en Italie, et de rassurer les esprits en faisant naître la confiance que le Piémont, fort de son bon droit et aidé par les alliés que la justice de sa cause peut seule lui procurer, est prêt à combattre tout élément de désordre dans la Péninsule, de quelque part qu'il vienne, de l'Autriche ou de la révolution.

Je vous charge de tenir le même langage au ministre des affaires étrangères; et, en vous priant de me faire part des jugements qui seront portés dans ce pays sur les mesures dont il est question, je vous offre l'assurance de ma considération très-distinguée. CAVOUR.

5 février 1859.

Dépêche confidentielle adressée par le comte de Buol aux représentants de l'Autriche près les cours confédérées,

« Vienne, 5 février.

L'inquiétude sérieuse qui pèse sur la situation politique de l'Europe, depuis le commencement de cette année, s'est aussi fait sentir profondément dans

toutes les parties de l'Allemagne. A la surprise des gouvernements et des peuples qui désirent la paix, et dont les efforts tendent vers des buts et des résultats si nombreux et si importants auxquels la paix est nécessaire, la confiance générale dans l'avenir s'est trouvée ébranlée d'une manière regrettable. Il n'existe entre les puissances aucun différend qui puisse expliquer cet ébranlement; mais moins il est possible de ramener à des causes légitimes les inquiétudes qui se sont produites, moins les inquiétudes paraissent vouloir céder à une appréciation favorable de l'état des choses.

Si l'on doit déplorer vivement ce sentiment d'incertitude qui se propage de toutes parts, on ne saurait méconnaître le bon effet qu'ont déjà produit l'unanimité et la résolution avec lesquelles, en présence des éventualités de guerre que l'on croit possible, l'opinion publique de l'Allemagne s'est prononcée pour une coopération énergique.

Ce fait, que nul ne saurait nier, est un point lumineux et satisfaisant dans le sombre tableau de la situation du jour.

Le langage des hommes d'Etat allemands, ainsi que celui de la presse, a contribué dans une large part à répandre cette impression que l'Allemagne, comme puissance collective, se tiendrait pour menacée si, par une attaque injuste contre ses possessions en Italie, l'Autriche se voyait appelée à prendre les armes contre une des plus grandes puissances militaires de l'Europe.

Les convictions de l'Allemagne entière se sont unies pour protester énergiquement contre le retour des temps de la confédération du Rhin. Avec une unanimité qui commande le respect, on a déclaré que si une violation du droit européen menaçait une puissance allemande, quand même ce serait d'abord dans ses territoires extra-allemands, tous ses confédérés feraient cause commune avec elle afin de maintenir la paix par la force morale d'une aussi puissante union, et, dans le cas où, contre toute attente, cela ne suffirait pas, de protéger en commun la possession menacée d'un membre de la confédération et la sainteté des traités, et de sauvegarder aussi l'honneur, la dignité, la sécurité et la puissance de l'Allemagne unie.

Dans ces circonstances un assez bon nombre de cabinets allemands nous ont exprimé le vœu d'examiner de plus près la question de savoir par quelles résolutions précises et dans quelle forme une action solidaire, en cas d'attaque. contre l'Autriche, pourrait être suffisamment assurée en temps utile. On nous a demandé de divers côtés comment nous envisagions la situation, et notamment jusqu'à quel point il serait opportun de pousser l'organe constitutionnel de la confédération germanique à se prononcer ou de préparer les résolutions qu'il devrait prendre dans un cas donné. Cela nous engage à communiquer avec confiance à nos confédérés ce que nous croyons être réclamé par la situation du moment.

Ce qui caractérise cette situation, c'est l'amélioration des symptômes politiques qui indiquent que les dangers de guerre sont moins imminents, mais c'est aussi l'absence de toute garantie qu'à un moment et sous un prétexte quelconque l'explosion d'une guerre en Italie ne viendra pas de nouveau et plus sérieusement encore menacer la paix de l'Europe.

Fidèle à ses sentiments de modération et à son amour de la paix, le gouvernement impérial fera tout son possible pour prévenir des complications ultérieures; mais nous ne pouvons pas nous dissimuler que tant que la politique de la Sardaigne conservera son caractère actuel d'hostilité contre les traités, tant qu'elle comptera sur la révolution et sur la guerre, la guerre se présente

comme une conséquence possible de notre ferme résolution de défendre contre toute atteinte les droits que les traités donnent à l'Autriche en Italie. Nous devons certes attacher une grande importance à ce que l'Europe soit bien convaincue que l'Allemagne étroitement unie ne souffrira pas une pareille attaque contre nos droits.

Nous n'en concluons pas, il est vrai, que le moment convenable soit déjà venu pour délibérer à Francfort et faire prendre des résolutions bien déterminées par la confédération germanique.

Il y a ici lieu de tenir grand compte de l'effet probable que cela produirait, tant à l'étranger qu'au sein même de la confédération; aussi nous croyons-nous obligés pour le moment de pencher plutôt vers l'opinion, que l'établissement exprès de la communauté de l'Allemagne avec l'Autriche en cas de guerre ne devrait pas revêtir les formes obligatoires de la Constitution fédérale, tant que l'éventualité pour laquelle cette communauté est indiquée ne se présente pas d'une manière nette et précise.

Toutefois, nous n'avons pas besoin d'assurer d'avance que les opinions que nos confédérés pourraient faire valoir sur ce point important seront prises en sérieuse considération, et que nous serons tous disposés à y avoir égard.

Par contre, il nous paraît, dès à présent, tout à fait désirable que les gouvernements de l'Allemagne échangent entre eux, comme membres d'un grand ensemble, les convictions dont ils sont animés en présence des dangers évidents de l'avenir, et que, par une ferme entente, ils se préparent à tenir, en temps utile, un langage identique, approprié aux circonstances, et efficace, soit visà-vis de la Sardaigne, soit vis-à-vis de la France, soit vis-à-vis de ces deux Etats ensemble.

Nous recevons avec un vif intérêt et une chaleureuse reconnaissance l'assurance que cette manière de voir est partagée par nos alliés, et qu'en particulier le gouvernement près lequel vous avez l'honneur d'être accrédité est disposé à coopérer pour sa part à ce qu'une entière certitude soit établie en fait (der Sache nach) pour une action commune de l'Autriche et de l'Allemagne ; résultat dont le succès serait assuré surtout par le choix du moment opportun et des formes les plus convenables.

Vous êtes autorisé à faire de la présente dépêche l'objet d'une communication confidentielle à

Agréez, etc.

Signé: Buol.

42 février 4859.

Circulaire du baron de Schleinitz aux agents diplomatiques de la Prusse accrédités près les cours d'Allemagne.

Berlin, 12 février.

Si, en présence de la tension croissante qui a signalé la situation politique depuis le commencement de la présente année, le gouvernement du roi ne s'est pas expliqué jusqu'ici sur ses vues et son but vis-à-vis de ses représentants à l'étranger et surtout de ses envoyés près les cours allemandes, le motif de ce silence se trouve dans la nature particulière de la situation actuelle.

Les dangers par lesquels on croit menacée à plusieurs égards la paix européenne, ne peuvent être rapportés à un point de départ positif et déterminé. Les événements en Orient, tant en Servie que dans les principautés, n'ont jusqu'ici nulle part pris un caractère qui justifie la crainte que les difficultés existantes ne puissent se résoudre par la voie régulière des négociations diplomatiques.

Il en est de même des affaires italiennes. La situation intérieure d'une partie des États italiens peut, aux yeux de quelques puissances, être telle que ces puissances se croient obligées d'exprimer aux gouvernements de ces États leur conviction de la nécessité d'abandonner les principes d'administration suivis jusqu'ici. On pourra notamment juger de diverses manières la question de savoir si les possessions de la papauté réclament encore la protection de garnisons étrangères contre des mouvements intérieurs, ou bien, si les dangers de ces derniers ne se laisseraient pas écarter d'une manière plus sûre par l'adoption d'un autre système d'administration. Mais, quelle que soit la valeur que l'on attribue à ces questions, elles ne présentent dans aucun cas un caractère de nature à justifier la supposition que la paix européenne puisse être sérieusement menacée. Dans l'opinion du gouvernement du roi, on doit donc chercher les difficultés de la situation actuelle et les dangers d'un conflit, moins dans l'impossibilité de résoudre les questions particulières qu'il s'agit de décider, que dans les dispositions qui se sont produites dans le cours des dernières années entre quelques cabinets, surtout entre les cours de Vienne et de Paris, et qui, surtout depuis ces dernières semaines, se sont accrues de manière à créer des inquiétudes sérieuses.

En présence de cette grave situation, nous n'avons pas hésité un seul instant à reconnaître les devoirs que nous impose notre position. Pénétrés du désir de conserver leur force aux traités, sa validité à l'état de choses existant, et, par cela même, la paix à l'Europe, tous nos efforts ont tendu à signaler, tant à Vienne qu'à Paris, les dangers incalculables d'un conflit, et, des deux côtés, nous avons fait les représentations les plus pressantes dans le sens de la paix et de la modération.

Cependant, nous ne nous sommes pas fait illusion, en même temps, sur les conditions sous lesquelles une pareille action pourra espérer d'obtenir des résultats satisfaisants. Puisque notre intention était d'agir dans le sens indiqué de tout notre pouvoir sur les deux cabinets qui se trouvent en dissidence, nous avons aussi dû conserver la liberté de notre position des deux côtés. Comme Etat fédéral, nous ne nous déroberons jamais à l'accomplissement des devoirs que nous imposent les lois fondamentales de la Confédération; mais quant à aller au delà et à prendre des engagements qui dépasseraient ces devoirs, nous ne saurions pour cela reconnaître un motif suffisant dans la situation politique actuelle, et une pareille démarche, dans notre opinion, ne saurait non plus favoriser l'accomplissement de la tâche que nous nous sommes imposée, quant au moment actuel, comme puissance européenne.

Le revirement qui, d'après les indices les plus récents, semble se préparer dans la situation actuelle, est de nature à nous raffermir dans le maintien de la position que nous avons prise jusqu'ici.

Si, comme cela paraît se présenter, on peut prévoir l'ouverture de négociations concernant les affaires italiennes, nous trouverons dans la liberté soigneusement conservée de notre position, le moyen le plus efficace de faire écouter nos conseils et d'assurer un appui énergique à nos représentations.

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