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s'est ni amusé, ni détourné : il avoit Gourville, qui n'a pas souvent du tems à donner: il se promenoit par toutes ses terres, comme un fleuve qui apporte la graisse et la fertilité. Quant à M. de la Rochefoucauld, il alloit, comme un enfant, revoir Verteil et les lieux où il a chassé avec tant de plaisir ; je ne dis pas où il a été amoureux, car je ne crois pas que ce qui s'appelle amoureux, il l'ait jamais été, Il revient plus doucement que son fils, et passe en Touraine chez Madame de Valentiné et chez l'Abbé d'Effiat. Il a été dans une extrême peine de Madame de Coulanges, qui revient assurément de la plus grande maladie qu'on puisse avoir : la fièvre ni les redoublemens ne l'ont point encore quittée; mais parce que toute la violence et la rêverie en sont dehors, elle peut se yanter d'être dans le bon chemin de la convalescence. Madame de la Fayette est à Saint-Maur ; je n'y ai été qu'une fois : elle a son mal de côté qui l'a empêchée d'aller chez Madame de Coulanges, dont elle étoit fort inquiétée; et d'aller voir Langlade qui a pensé mourir à Frêne du même mal que Madame de Coulanges, et a eu de plus qu'elle l'extrême-onction. Enfin, elle a été soulagée de tous les côtés, sans avoir quitté sa place,

Je disois l'autre jour à Madame de Cou

langes, que Beaujeu avoit eu sur elle l'extrême-onction, et qu'on lui avoit crié : Jesus Maria; elle me répondit avec une voix de l'autre monde: Hé, que ne me le crioit-on ? je le méritois autant qu'elle. Que dites-vous de cette ambition? Ecrivez au petit Coulanges, il a été digne, de compassion; il perdoit tout en perdant sa femme. Ce fut une chose fort touchante quand elle fit écrire à M. du Gué (1) pour lui recommander M. de Coulanges, et cela par conscience et par justice, reconnoissant de l'avoir ruiné, et demandant à M. et à Madame du Gué cette marque de leur amitié comme la dernière: elle leur demandoit pardon, et leur béné diction en même- tems. Je vous assure que ce fut une scène fort triste. Vous écrirez donc à ce pauvre petit homme, qui est parfaitement content de mon amitié : en vérité, c'est dans ces occasions qu'il faut la témoigner.

Votre petit Allemand paroît extrêmement adroit au bon Abbé, il est beau comme un ange, et doux, et honnête comme une pucelle. Il va répéter son Allemand chez M. de Strasbourg. Je l'ai fort exhorté à se rendre digne: mais je vous défie de deviner (1) Père de Madame de Coulanges, Intendant de Lyon.

son nom; quoi que vous puissiez dire, je vous dirai toujours, c'est autrement; c'est qu'il s'appelle Autrement. N'est-ce pas là un nom bien propre à ouvrir l'esprit à des pointilleries continuelles?

Madame Cornuel étoit l'autre jour chez B.....dont elle étoit maltraitée; elle attendoit à lui parler dans une anti-chambre qui étoit pleine de laquais. Il vient une espèce d'honnête homme qui lui dit qu'elle étoit inal dans ce lieu-là: Hélas! dit-elle, j'y suis fort bien, je ne les crains point, tant qu'ils sont laquais. Voilà ce qui a fait éclater de rire M. de Pompone, de ces rires que vous connoissez; je crois que vous le trouverez fort plaisant aussi.

M. le Cardinal m'écrit, du lendemain, qu'il a fait un Pape, et m'assure qu'il n'a aucun scrupule. Vous savez comme il a évité le sacrilége du faux serment; les autres doivent y trouver un grand goût, puisqu'il n'est pas même nécessaire. Il me mande que le Pape est encore plus saint d'effet que de nom; qu'il vous a écrit de Lyon en passant, et qu'il ne vous verra point en repassant, par la même raison des galères, dont il est très-fâché; de sorte qu'il se trouvera dans peu de jours chez lui, comme si de rien n'étoit. Ce voyage lui a fait bien de l'honneur,

car il ne se peut rien ajouter à la conduite' qu'il a tenue. On croît même que, par le bon choix du souverain Pontife, il a remis dans le conclave le St.-Esprit, qui en étoit exilé depuis tant d'années. Après cet exemple il n'y a point d'exilé qui ne doive espérer. Vous voilà donc dans la solitude; c'est présentement que vous devez craindre les esprits: je m'en vais parier que vous n'êtes plus que cent personnes dans votre château. Je suis persuadée de toute l'aimabilité de la belle Rochebonne; mais la constance de Corbinelli est abîmée de tant de philosophie, et il est si terriblement attaché à la justesse des raisonnemens, que je ne vous réponds plus de lui. Il dit que le Père le Bossu ne répond pas bien à vos questions; qu'il auroit tort de vouloir vous instruire, et que vous en savez plus qu'eux tõus : vous en manderez votre avis.

Je vous ai mandé l'histoire de Brisacier (1); on n'en peut rien dire jusqu'à ce que le courrier de Pologne soit revenu. Il est cependant hors de Paris et de la Cour: il assiége la ville, et demeure chez ses amis aux environs : il étoit l'autre jour à Clichy: Madame du Plessis vint le voir de Frêne

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(1) Cette même histoire est contée assez au long dans les Mémoires de l'Abbé de Choisy.

pour faire les lamentations de la rupture de son marché. Brisacier lui dit qu'assurément il n'étoit point rompu, et qu'on verroit, au retour du courrier, s'il étoit aussi fou qu'on le disoit. S'il est protégé de la Reine de Pologne, ou du Roi, nous en jugerons comme vous faites.

M. de Bussy est arrivé comme j'écrivois cette lettre; je lui ai fait voir votre souvenir. Il vous dira lui-même combien il en est content. Il m'a lu des Mémoires les plus agréables du monde ; ils ne seront pas imprimés, quoiqu'ils le méritassent bien mieux que beaucoup d'autres choses.

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On vient nous dire que Brisacier et sa mère, qui étoient ici près à Gagny, ont été enlevés; ce seroit un mauvais préjugé pour le Duché. Cette nouvelle est un peu crue : comme elle est présentement à Paris, d'Hacqueville ne manquera pas de vous l'apprendre.

Je reçois, ma fille, votre lettre du 30; mais quoi ! vous n'aviez pas reçu la mienne du 21? elle étoit toute propre à vous instruire je décidois sur votre départ, et je vous conjurois par pure tendresse de ne point le différer; c'est ce que je vous demande encore par les mêmes raisons : vous suivrez ce conseil, si vous avez pour moi

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