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si bien ce que je pense, que je ne dois plus vous rien dire. Le Frater est toujours ici, attendant les attestations qui lui feront avoir son congé. Il clopine; il fait des remèdes ; et quoiqu'on nous menace de toutes les sévérités de l'ancienne discipline, nous vivons en paix, dans l'espérance que nous ne serons point pendus. Nous causons et nous lisons: le compère, qui sent que je suis ici pour l'amour de lui, me fait des excuses de la pluie, et n'oublie rien pour me divertir; il y réussit à merveilles.

Monsieur De Sévigné.

La fille du Seigneur Alcantor n'épousera donc point le Seigneur Sganarelle, qui n'a que cinquante-cinq ou cinquante-six ans (1): j'en suis fâché, tout étoit dit, tous les frais. étoient faits. Je crois que la difficulté de la consommation a été le plus grand obstacle; le Chevalier de la Gloire (2) ne s'en trouvera pas plus mal; cela me console. Ma mère est ici pour l'amour de moi; je suis un pauvre criminel, que l'on menace tous les jours de la Bastille ou d'être cassé. J'espère pourtant que tout s'apaisera par le retour prochain de

(1) Voyez la Scène II du Mariage forcé, Comédie de

Molière.

(2) Le Chevalier de Grignan.

toutes les troupes. L'état où je suis pourroit tout seul produire cet effet; mais ce n'est plus la mode. Je fais donc tout ce que je puis pour consoler ma mère, et du vilain tems, et d'avoir quitté Paris mais elle ne veut pas m'entendre quand je lui parle là - dessus. Elle revient toujours sur les soins que j'ai pris d'elle dans sa maladie; et, à ce que je puis juger par ses discours, elle est fort fachée que mon rhumatisme ne soit pas universel, et que je n'aie pas la fièvre continue, afin de pouvoir me témoigner toute sa tendresse et toute l'étendue de sa reconnoissance. Elle seroit tout à fait contente, si elle m'avoit seulement vu en état de me faire confesser; mais, par malheur, ce n'est pas pour cette fois : il faut qu'elle se réduise à me voir clopiner, comme clopinoit jadis M. de la Rochefoucauld, qui va présentement comme un Basque. Nous espérons vous voir bientôt; ne nous trompez pas, et ne faites point l'impertinente; on dit que vous l'êtes beaucoup sur ce chapitre. Adieu, ma belle petite sœur ; je vous embrasse mille fois du meilleur de mon cœur.

LETTRE 470.

A la même.

A Livry, vendredi 30 Octobre 1676.

JE reçois avec tendresse, ma chère enfant, ce que vous me dites pour fortifier mon cœur et mon esprit contre les amertumes de la vie, à quoi je ne puis m'accoutumer: rien n'est plus raisonnable ni plus chrétien ; et de quelque façon que vous le preniez, c'est toujours avoir soin de ma rate, car la sagesse que vous m'enseignez ne me seroit pas moins salutaire que la joie. Je finis ce discours, non pas que je n'eusse beaucoup de choses à dire, si je voulois vous parler de mes sentimens, mais parce que ce n'est pas la matière d'une lettre.

On dit des merveilles de notre bon Pape*,

* Benoît Odescalchi, Innocent XI, élu le 21 Septembre. Comme il étoit fils d'un banquier, Pasquin dit: Invenerunt hominem sedentem in telonio. C'étoit (dit Voltaire) un homme vertueux, un Pontife sage, peu théologien, Prince courageux, ferme et magnifique. Il fut long-tems en querelle avec Louis XIV. On raconte de lui une naïveté qui prouve seulement qu'il n'étoit pas grand latiniste. Son secrétaire lui lisoit des bulles qu'il avoit rédigées, et les lui expliquoit en italien. Le Pape pleurant de joie, s'écria: Che cosa diranno di noi nella posterità, quando vedranno cosi bella latinità nostra.

et cela retombe en louanges sur le Cardinal de Retz. Pour M. de Paris (de Harlay), ce sont d'autres merveilles, il a emporté contre les Commissaires qui avoient la conscience plus délicate que lui, que le Roi pût mettre des Abbesses à plusieurs Couvens de filles, sur-tout aux Cordelières ; et cela commence à s'exécuter avec un bruit et un scandale épouvantable. Les quatre Commissaires qui se signalèrent contre lui, sont Messieurs Pussort, Boucherat, Pommereuil et Fieubet. On a pris six filles à Chelles pour être Abbesses deçà et delà: la d'Oradour n'en est pas, dont elle est tout-à-fait mortifiée, car elle a extrêmement l'esprit et la vocation de la petite cour orageuse des Abbayes.

J'ai toujours vu avec chagrin le peu de séjour que M. de Grignan a fait dans son château; sa dépense ni ses occupations n'ont point eu d'intervalle. Je trouve la Provence si sujette à des événemens, et la présence de M. son Gouverneur m'y paroît si nécessaire, que je tremble toujours pour son congé. Je ne vous parlerai plus de votre départ; vous dites qu'il dépend de Dieu et de moi: pour de ma volonté et de mes décisions, vous n'en pouvez pas douter; il est donc question maintenant de la volonté de Dieu,

et de la vôtre ma fille, ne lui donnez pas la torture, suivez librement votre cœur, et même votre raison. Les reproches me sont sensibles; il faut qu'ils me le soient beaucoup, puisque j'y ferai céder, s'il le faut, mes plus chers intérêts. Vous êtes raisonnable, vous m'aimez; vous voyez mieux que moi ce que vous voulez, et ce que vous pouvez, et les choses dont vous êtes blessée : c'est à vous à décider librement; je suis assurée que M. de Grignan et M. l'Archevêque consentiront à tout ce que vous voudrez. Adieu ma très-chère, je ne suis pas bien en train de vous parler d'autre chose. Nous sommes toujours dans cette forêt. Nous lisons Saint Augustin, et nous sommes convertis sur la prédestination et sur la persé

vérance.

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Monsieur DE SÉVIGNÉ.

Il s'en faut encore de quelque chose que nous ne soyons convertis ; c'est que nous trouvons les raisons des semi-Pélagiens fort bonnes et fort sensibles, et celles de Saint Paul et de Saint Augustin fort subtiles et dignes de l'Abbé Têtu. Nous serions trèscontens de la Religion, si ces deux Saints n'avoient jamais écrit ; nous avons toujours ce petit embarras. Adieu, ma belle petite

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