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aux instantes prières du maître, qui écrivit de sa propre main. « J'espère que le chan»gement d'air, et la diversité des objets, » lui fera plus de bien que la résidence et » l'application, dans sa solitude ».

Vous avez donc enfin M. de Grignan; je souhaite que vous l'ayez traité comme un étranger: j'ai trouvé fort bon que vous en ayez raccourci votre lettre. Il est vrai qu'il fait des merveilles pour le service de Sa Majesté je le dis, quand l'occasion s'en présente: j'en cause souvent avec d'Hacqueville. Il a si bien remis le calme dans l'Hôtel de Grammont, qu'on n'entend plus rien du tout; mais c'est à son habileté qu'un tel silence est dû ; il est certain qu'il y a eu de quoi réjouir le public. Ce que vous me répondez sur les folies que je vous mande, vaut bien mieux que ce que je dis. Je ne trouve rien de plus plaisant, que de ne pas dire un mot à M. de la Garde, d'une chose à quoi vous pensez tous en même tems: mandez-moi donc quand il faudra que j'écrive. Je remercie M. de Grignan des bontés qu'il a euês pour le Chevalier de Sévigné, qu'il a vu à Toulon, c'est mon filleul; il m'a écrit une lettre toute transportée de reconnoissance. Si M. de Grignan trouve l'occasion d'écrire, ou de parler pour lui, j'en serai ravie. Il

s'ennuie fort d'être subalterne; j'ai ouï dire qu'il étoit brave garçon, el qu'il méritoit bien un vaisseau: si c'est l'avis de M. de Grignan, vous devez l'en faire souvenir.

Au reste, M. de Coulanges s'en va bientôt à Lyon ; il compte revenir avant la Toussaint, justement dans le tems que vous viendrez. Je vous conseille de prendre des mesures avec lui; il conduira gaîment votre barque, et vous serez trop aise de l'avoir. Je trouve que le Pichon est fort joli : vous lui faites un bien extrême de vous amuser à sa petite raison naissante; cette application à le cultiver lui vaudra beaucoup. Je vous prie de lui pardonner tout ce qu'il avouera naïvement, mais jamais une menterie.

Quand vous lirez l'Histoire des Visirs, je vous conseille de ne pas demeurer à ces tétes coupées sur la table; ne quittez point le livre à cet endroit, allez jusqu'au fils (1); et si vous trouvez un plus honnête homme parmi ceux qui sont baptisés, vous vous en prendrez à moi.

Vous croyez, ma fille, que je suis gauche, et embarrassée de mes mains; point

(1) Achmet Coprogli, Pacha, fat nommé GrandVisir après la mort de Mahomet Coprogli son père. Les vies du père et du fils sont intéressantes.

du tout, il n'y paroît point; cette légère incommodité n'est que pour moi, et ne paroît nullement aux autres. Ainsi je res← semble comme deux gouttes d'eau à votre bellissima, hormis que j'ai la taille bien mieux qu'auparavant. Vous êtes, en vérité, trop aimable et trop bonne d'être si occupée de ma santé. Ne soyez point en peine de Livry, je m'y gouvernerai très-sagement, et je reviendrai avant les brouillards, pourvu que ce soit pour vous attendre. J'attends de Parère (1) cette petite affaire pour les lods de Buron, s'il faut dire que vous l'achetez, nous apprendrons à mentir de notre grand Diana (2).

Voici une petite histoire que vous pouvez croire, comme si vous l'aviez entendue. Le Roi disoit un de ces matins : «< En vérité, » je crois que nous ne pourrons pas secou >> rir Philisbourg; mais enfin, je n'en serai » pas moins Roi de France ». M. de Montausier (5),

(1) Premier Commis de M. de Pompone.

(2) C'étoit un Clerc régulier de Palerme en Sicile, et le même dont il est souvent parlé dans les petites Lettres pour avoir favorisé dans ses écrits les opinions relâchées en fait de morale.

(3) Personne n'ignore que M. de Montausier étoit l'homme de la Cour le plus véridique,

Qui pour le Pape ne diroit

Une chose qu'il ne croiroit..

lui dit : « Il est vrai, Sire, que vous seriez >> encore fort bien Roi de France, quand >> on vous auroit repris Metz, Toul et Ver» dun, et la Comté, et plusieurs autres >> Provinces dont vos prédécesseurs se sont >> bien passés ». Chacun se mit à serrer les lèvres; et le Roi dit de très-bonne grâce: « Je vous entends bien, M. de Montausier, >> c'est-à-dire, que vous croyez que mes af>> faires vont mal : mais je trouve très-bon » ce que vous dites, car je sais quel cœur >> vous avez pour moi ». Cela est très-vrai, et je trouve que tous les deux firent parfaitement bien leur personnage.

Le Baron (M. de Sévigné) se porte trèsbien. Le Chevalier de Nogent, qui est venu apporter la nouvelle de la prise d'Aire, l'a nommé au Roi comme un de ceux qui font paroître beaucoup de bonne volonté. M. le Duc est fort gai, il chasse, il va à Chantilly, à Liancourt; enfin, ils sont tous ravis de pouvoir faire leurs vendanges. M. de Nevers n'a aucune inquiétude de sa femme, parce qu'elle est d'un air naïf et modeste ; il la regarde comme sa fille; et si elle faisoit la moindre coquetterie, il seroit le premier à s'en apercevoir et à la gronder elle. est

grosse et bien languissante. Ma nièce de Coligny est accouchée d'un fils; elle dit que ce lui sera une contenance que d'avoir à élever ce petit garçon. Pauline est donc la favorite de M. le Comte, et notre sour Colette (1) ne respire que le saint habit.

(1) La fille aînée de M. de Grignan, de son premier mariage.

LETTRE 444.

A la même.

à Paris, vendredi 7 Août 1676.

JE I' m'en vais demain à Livry, ma très-chère, j'en ai besoin, ou du moins je le crois. Je ne vous en écrirai pas moins, et notre commerce n'en sera point du tout interrompu. J'ai vu des gens qui sont revenus de la Cour; ils sont persuadés que la vision de Théobon est entièrement ridicule, et que jamais la souveraine puissance de Quanto n'a été si bien établie. Elle se sent au-dessus de toutes choses, et ne craint non plus ses petites morveuses de nièces (1) que si elles étoient charbonnées. Comme elle a bien de l'esprit, elle paroît entièrement délivrée de la crainte d'enfer

(1) Madame de Nevers et Mademoiselle de Thianges, depuis Duchesse de Sforce.

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