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LETTRE 492.

A la même.

à Paris, vendredi matin 2 Juillet 1677. Ja m'en vais à Livry à la messe. Corbinelli doit arriver aujourd'hui ou demain ; je me fais un plaisir de l'attendre sur le grand chemin de Châlons, et de le tirer du carrosse au bout de l'avenue, pour l'amener passer un jour avec nous nous causerons beaucoup; je vous en rendrai compte. Je reviendrai dimanche; car une petite affaire que je crois toujours tenir, m'empêche de pouvoir encore m'établir à Livry : vraiment c'est bien ce papillon dont je parlois à mon fils, sur quoi on croit mettre le pied, êt qui s'envole toujours. Je ne vois que des oppositions à toutes mes volontés, grandes et petites il faut regarder plus haut pour ne pas s'impatienter. Je laisse un laquais pour m'apporter vos lettres : ah, ma fille ! c'est bien moi qui ne passe les autres jours que pour attraper celui-là; et la moralité que vous m'avez écrite, est toujours à propos, quand on voit comme tout échappe.

Io est revenue à Versailles, dès que MoNSIEUR y est revenu : cette nouvelle n'y fait

aucun bruit. Quanto et son ami sont plus long-tems et plus vivement ensemble qu'ils n'ont jamais été : l'empressement des premières années s'y retrouve, et toutes les contraintes sont bannies, afin de mettre une bride sur le cou, qui persuade que jamais on n'a vu d'empire plus établi. J'ai vu des gens qui croient, qu'au lieu d'aller au Bouchet, quand MONSIEUR est à Paris, et de revenir à la Cour, quand il y revient, on feroit mieux, au contraire, d'être à Paris avec MONSIEUR, et de s'en aller à la cainpagne, quand il revient à Versailles *.

Madame de Coulanges ne va plus à Lyon; sa sœur y va. Voilà la bonne Marbeuf qui vient me dire adieu; elle vous fait mille et mille amitiés. Mon fils va souvent dans l'île; on lui fait fort bonne mine. Si vous étiez heureuse de votre côté, tout cela se rencontreroit fort juste. Adieu, ma très-chère enfant j'attends, avec grande impatience, des nouvelles de votre santé et de tout ce qui se passe à Griguan. Le petit me tient au cœur. Croyez nos conseils sur la timidité de l'aîné; si vous le tracassez, vous le déconcerterez au point qu'il n'en reviendra jamais : cela

t;

* Il s'agit de Madame de Ludre, attachée à la maison de MONSIEUR, comme Dame de MADAME, Ot qui sembloit suivre toujours le Roi,

est d'une grande conséquence. M. le Duc me pria hier de vous faire ses complimens, et de vous dire que c'est par son ordre que vous avez trouvé les chemins si maudits; mais qu'à votre retour, vous les trouverez couverts de fleurs. Ma chère enfant, je suis à vous, et je vous aime d'une tendresse qui n'est pas commune; vous y répondez d'une manière à ne pas me guérir, Si vous aimez ma santé, songez à la vôtre, et observez ce que vous fait l'air de Grignan; si ce n'est pas du mieux, c'est du mal.

LETTRE 493.

A la même.

à Livry, samedi 3 Juillet 1677.“

HELAS, que je suis fâchée de votre pauvre

petit enfant (1)! il est impossible que cela ne touche. Ce n'est pas, comme vous savez, que j'aie compté sur sa vie. Je le trouvois, sur la peinture qu'on m'en avoit faite, sans aucune espérance: mais enfin, c'est une perte pour vous, en voilà trois. Dieu vous conserve le seul que vous avez ; il me paroît un fort honnête homme ; j'aimerois mieux son bon sens et sa droite raison, que toute la vivacité de ceux qu'on admire (1) L'enfant né en Février 1676 à huit mois.

à cet âge, et qui sont des sots à vingt ans. Soyez contente du vôtre, ma fille, et menez-le doucement, comme un cheval qui a la bouche délicate, et souvenez-vous de ce que je vous ai dit sur sa timidité; ce conseil vient de gens plus habiles que moi; mais l'on sent qu'il est fort bon. Pour Pauline, j'ai une petite chose à vous dire; c'est que vous me la représentez d'une façon qu'elle pourroit bien être aussi belle que vous: voilà justement comme vous étiez; Dieu vous préserve d'une si parfaite ressemblance, d'un cœur fait comme le mien ! enfin je vois que vous l'aimez, qu'elle est aimable, et qu'elle vous divertit. Je voudrois bien pouvoir l'embrasser, et reconnoître ce chien de visage que j'ai vu quelque part.

et

Je suis ici depuis hier matin. J'avois dessein d'attendre Corbinelli au passage, et de le prendre au bout de l'avenue, pour causer avec lui jusqu'à demain. Nous avons pris toutes les précautions, nous avons envoyé à Claie, et il se trouve qu'il avoit passé une demi-heure auparavant. Je vais demain le voir à Paris, et je vous manderai des nouvelles de son voyage; car je n'acheverai cette lettre que mercredi. Ah, ma très-chère, que je vous souhaiterois des nuits comme on les ici ! quel air doux ́et

gracieux quelle fraîcheur ! quelle tranquillité! quel silence! je voudrois pouvoir vous envoyer de tout cela, et que votre bise fût confondue. Vous me dites que je suis en peine de votre maigreur, je vous l'avoue; c'est qu'elle parle et dit votre mauvaise santé. Votre tempérament, c'est d'ètre grasse; si ce n'est, comme vous dites, que Dieu vous punisse d'avoir voulu détruire une si belle santé et une machine si bien composée en effet, c'est une rage que de pareils attentats, et Dieu est juste quand il les punit. Vous voulez me persuader la dureté de votre cœur, pour me rassurer sur la perte de votre petit; je ne sais, mon enfant, où vous prenez cette dureté ; je ne la trouve que pour vous: mais pour moi, et pour tout ce que vous devez aimer, vous n'êtes que trop sensible; c'est votre plus grand mal, vous en êtes dévorée et consumée : eh! ma fille, prenez sur nous, et donnez-le au soin de votre personne; comp tez-vous pour quelque chose, et nous vous serons obligés de toutes les marques d'amitié que vous nous donnerez par ce côté-là. Je suis étonnée que le petit Marquis et sa sœur n'aient point été fâchés du petit frère : cherchons un peu où ils auroient pris ce cœur tranquille; ce n'est pas chez vous assurément.

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