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M. de Grignan pour ne pas m'y exposer: de trois maîtresses, il n'en a pas une; et je ferai si bien que j'en aurai de toutes les espèces, en sorte que toutes ne soient pas sujettes à faire des voyages. Au reste, ce seroit une chose curieuse que je vous dusse mon mariage; il ne vous manque plus que cela, pour être une sœur bien différente des autres, et il n'y a que cette suite qui puisse répondre à tout ce que vous avez fait jusqu'ici sur mon sujet. Quoi qu'il puisse arriver, je vous assure que ma reconnoissance et ma tendresse seront toujours les mêmes pour vous, ma belle petite sœur.

Madame de SÉVIGNÉ.

La Mouche est à la Cour, c'est une fatigue; mais que faire? M. de Schomberg (1) est toujours vers la Meuse, avec son train, c'est-à-dire, tout seul téte à téte. Madame de Coulanges disoit l'autre jour qu'il falloit donner à M. de Coulanges l'intendance de cette armée. Quand je verrai la Maréchale (de Schomberg), je lui dirai des douceurs

(1) Le Maréchal de Schomberg étoit demeuré presque seul avec l'état-major de son armée, laquelle se trouvoit réduite à rien par les différens détachemens qui en avoient été faits pour grossir l'armée du Maréchal de Créqui.

pour

pour vous. M. le Prince est dans son apothéose de Chantilly; il vaut mieux là que tous vos héros d'Homère. Vous nous les ridiculisez extrêmement : nous trouvons, comme vous dites, qu'il y a de la feuille qui chante à tout ce mélange des Dieux et des hommes; cependant, il faut respecter le Père le Bossu. Madame de la Fayette commence à prendre des bouillons, sans en étre malade; c'est ce qui faisoit craindre le desséchement.

LETTRE 500.

A la même.

à Livry, lundi 26 Juillet 1677. MONSIEUR de Sévigné apprendra donc de M. de Grignan la nécessité d'avoir plu sieurs maîtresses, par les inconvéniens qui arrivent de n'en avoir que deux ou trois : mais il faut que M. de Grignan apprenne de M. de Sévigné les douleurs de la séparation, quand il arrive que quelqu'une s'en va par la diligence. On reçoit un billet du jour du départ, qui embarrasse beaucoup, parce qu'il est fort tendre; cela trouble la gaîté et la liberté dont on prétend jouir. On reçoit encore un autre billet de la première couchée, dont on est enragé. Comment diable?

TOME V.

X

cela continuera-t-il de cette force? On ine conte cette douleur; on met sa seule espérance au voyage que le mari doit faire, croyant que cette grande régularité en sera interrompue : sans cela, on ne pourroit soutenir un commerce de trois fois la semaine. On tire les réponses et les tendresses à force de rêver; la lettre est signée, comme je disois, avant que la feuille qui chante soit pleine la source est entièrement sèche. On pâme de rire avec moi du style, de l'orthographe : voici quelques traits que vous reconnoîtrez.

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Je pars enfin ; quel voyage! pour qui suis-je dans un état si violent? Je lui répondrois bien, pour un ingrat. J'ai reçu un billet de ma sœur aussi tendre

de

que vous vriez m'en écrire; elle a l'esprit adouci par mon départ, J'ai été tout le jour triste, réveuse, le cœur pressé, des soupirs, une langueur, une inquiétude dont je ne suis pas la maitresse.

Il me semble que c'est une chose toute désassortie de porter dans cette diligence, que tous les diables emportent, une langueur amoureuse, un amour languissant. Le moyen d'imaginer qu'un état si propre à faire passer le jour dans un bois sombre, assise au bord d'une fontaine, ou bien au

pied d'un hêtre, puisse s'accommoder du mouvement immodéré de cette voiture? Il me paroît que la colère, la fureur, la jalousie, la vengeance, seroient bien plus convenables à cette manière d'aller.

Mais enfin, j'ai la confiance de croire que vous pensez à moi. Hélas! si vous saviez l'état où je suis, vous me trouveriez un grand mérite pour vous, et vous me traiteriez, selon mon mérite. Je commence déjà à souhaiter de retourner sur mes pas : je vous défie de croire que ce ne soit pas pour vous. Je ne sentirai guère la joie, ni le repos d'arriver. Ayez au moins quelque attention à la vie que je vais faire. Adieu, si vous m'aimez, vous n'aimez pas une ingrate.

Voilà en l'air ce que j'ai attrapé, et voilà à quel style votre frère est condamné de répondre trois fois la semaine : ma fille, cela est cruel, je vous assure. Voyez quelle gageure ces pauvres gens se sont engagés de soutenir; c'est un martyre, ils me font pitié le pauvre garçon y succomberoit, sans la consolation qu'il trouve en moi. Vous perdez bien, ma chère enfant, de n'être pas à portée de cette confidence. J'écris ceci hors d'oeuvre, pour vous divertir, en vous donnant une idée de cet aimable commerce.

LETTRE 501.

A la même.

à Paris, mercredi matin 28 Juillet 1677.

Je suis à Paris pour ce chien de papillon : je n'ai pas encore mis entièrement le pied dessus, c'est-à-dire, touché cette belle somme que vous savez. Sije ne m'étois agréablement amusée, depuis dimanche, à dire adieu à ces Messieurs qui s'en vont à Grignan, je me seróis fort bien désespérée. Je devois m'en retourner hier; je ne m'en irai que vendredi: on ne sauroit vous expliquer l'horreur de la chicane. Je soupai hier chez la marquise d'Huxelles, où j'embrassai, pour la sixième fois, la Garde et l'Abbé de Grignan, et au lieu de leur dire : « Messieurs, je suis bien » fâchée de votre départ, je leur dis: Mes>> sieurs, que vous êtes heureux ! que je suis »aise que vous partiez ! allez, allez voir ma >> fille; vous lui donnerez de la joie, vous » la verrez en santé; elle est gaie : plût à >> Dieu que je fusse de la partie »>! Hélas! il's'en faut bien que la Providence ne fasse cet arrangement. Mais enfin, ma très-chère, je suis assurée de votre santé : Montgobert ne me trompe pas; dites-le-moi cependant

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