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encore; écrivez-le-moi en vers et en prose; répétez-le-moi pour la trentième fois : que tous les échos me redisent cette charmante nouvelle si j'avois une musique comme M. de Grignan, ce seroit-là mon opéra. Il est vrai que je suis ravie de penser au miracle que Dieu a fait pour vous: j'en veux un peu à la prudence humaine; je me souviens de quelques tours qu'elle a faits, et qui sont dignes de risée: la voilà bien décriée pour jamais. Comprenez-vous bien la joie que j'aurai, si je vous revois avec cet aimable visage qui me plaît, un embonpoint raisonnable, une gaîté qui vient quasi toujours de la bonne disposition? Quand j'aurai autant de plaisir à vous regarder, que j'ai eu de douleur sensible : quand je vous, verrai comme vous devez être, étant jeune, et non pas usée, consumée, dépérie, échauffée, épuisée, desséchée enfin, quand je n'aurai que les chagrins courans de la vie, si je puis jamais avoir cette consolation, je pourrai me vanter d'avoir senti le bien et le mal en perfection. Cependant votre exemple coupe -la gorge, à droite et à gauche : le Duc de Sully dit à sa femme : « Vous êtes malade, » venez à Sully: voyez Mme. de Grignan ; le

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repos de sa maison l'a rétablie, sans qu'elle » ait fait aucun remède ». Mais la Duchesse

n'approuve point cette ordonnance, et préfère celle de Vesou, qui lui ordonne d'abord deux saignées, deux petites médecines, et vingt jours de bain : j'avoue que je ne comprends guère cette autre extrémité dans le tems où nous sommes, et pour un lieu comme Sully, jusqu'à la Toussaint. Je la vis hier: elle vous fait mille amitiés.

Je suis fâchée que vous m'ayez écrit tant de lignes pour me persuader que vous ne devez point faire de remèdes, puisque vous vous portez bien. Je suis de votre avis: peutêtre que le lait vous est contraire; suivez votre expérience : le repos et le tems vous sont favorables: laissez-leur, j'y consens, l'honneur tout entier de votre guérison. Plût à Dieu que ce même raisonnement pût servir pour moi comme pour vous ! je n'irois pas à Vichi: mais je ne trouve pas que vous vouliez m'en dispenser; la précaution vous paroît une nécessité; et comme on ne voit pas bien si elle est inutile, ou non, je ne dérangerai rien à mes résolutions: en sorte qu'après avoir passé encore huit jours à Livry, et donné quelques jours à Paris pour attraper le seize, je prends le chemin d'Epoisses. C'est nous qui faisons marier les filles à la robe: sans notre malheur, Mes sieurs de la robe ne se marieroient point; on

nous a déjà répondu en deux occasions, qu'on ne vouloit point de nous, parce que nous étions dans l'épée : il faudra suivre votre conseil; et au lieu de quitter la robe pour l'épée, il faudra quitter l'épée pour la robe. Mon fils est bien embarrassé ; il ne peut s'appuyer sur ce talon: mais la longueur de cette blessure, qui se joint à la parfaite santé de toutes les autres parties de son corps, et à l'usage qu'il en fait, rendent son séjour équivoque à ceux qui ne sont au monde que pour parler. On a toute la rai son de son côté, et cependant on est à plaindre. Je trouve la réputation des hommes bien plus délicate et blonde que celle des femmes. Les apologies continuelles ne font pas un grand profit de sorte que sans pouvoir monter à cheval, on veut que mon fils soit à l'armée. Je crie toujours qu'on fasse voir son talon à M. Félix (1). M. Félix n'a pas le loisir et le tems passe.

D...* entra hier à la Bastille, pour avoir, chez Madame la Comtesse de Soissons, leve

(1) Premier Chirurgien du Roi.

* Ce D.... paroît être Deffiat, qui étoit attaché à MONSIEUR. La présence du Chevalier de Grammont indiqueroit que L... est M. de Louvigny son neveu. Madame de Sévigné étoit aimée de l'un et de l'autre. Mais ce ne sont que des conjectures

la canne sur L...., et l'avoir touché, dit-on, quoique légèrement: le Comte de Grammont se mit entre deux; les menaces furent vives. L.... dit à D.... qu'il étoit un lâche, et que dans un autre lieu, il n'auroit pas fait tant de bruit. Madame la Comtesse alla demander justice au Roi contre l'insolence commise dans sa maison. Le Roi lui dit qu'elle .devroit se l'être faite à elle-même. Le Cardinal de Bonzi lui fit des excuses pour D....; elle dit que c'étoit l'affaire du Roi ; que si elle eût été chez elle, elle l'eût fait jeter par les fenêtres. D.... est à la Bastille on va faire des complimens; je voudrois bien aller chez la L...., et faire compliment à D........ : si vous ne voulez pas, je n'en ferai point du tout. La dispute étoit sur huit cents louis que doit L.... et qu'il veut que D.... prenne sur MONSIEUR. Vous me les paierez: je n'en ferai rien, et le reste. On est si avide de nouvelles, qu'on a pris cette guenille, et qu'on ne parle d'autre chose.

Madame de la Fayette est toujours mal: nous trouvons pourtant qu'elle remonte le Rhône tout doucement, et avec peine; ce n'est pas le chemin de Grignan; votre remède ne sera pas suivi. Je n'ai rien à dire de Pauline que ce que je vous en ai déjà mandé : je l'aime d'ici; elle est jolie comme

un ange; divertissez-vous-en; il y a de cerya taines philosophies qui sont en pure perte, et dont personne ne nous sait gré. Il est vrai qu'en quittant Grignan, il faut la mettre en dépôt comme vous dites; mais que ce ne soit donc qu'un dépôt, et cela étant, Madame votre belle-soeur est meilleure que nos sœurs de Sainte-Marie), car elles ne rendent pas aisément. La pauvre petite qui est à Aix, est-elle bien ? j'y pense fort souvent, et à ce petit Marquis, dont il me semble que l'esprit se perd, sans précepteur: mais le moyen d'en envoyer un de si loin? il faut que vous le choisissiez vous-même. La Mousse m'a écrit de Lyon; il ira vous voir à Grignan : cela est bon, et conviendra fort à votre enfant : cette pensée m'a fait plaisir.

Il est revenu un Gentilhomme de Commercy, depuis Corbinelli, qui m'a fait peur de la santé du Cardinal; ce n'est plus une vie, c'est une langueur : j'aime et honore cette Eminence d'une manière à me faire un tourment de cette pensée; le tems ne prend rien sur mes sentimens là-dessus ; mais il n'a fait jusqu'ici qu'augmenter la tendresse et la sensibilité que j'ai pour vous; je vous assure qu'il ne travaille que côté-là mais vous êtes cruelle aussi d'y

de ce

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