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point sur le talon, il est si difficile de le plaindre en le voyant, que c'est de cela qu'il faut le plaindre. Je trouve que c'est une chose fâcheuse d'avoir à se justifier sur certains chapitres.

Madame de Villars m'écrit mille choses de vous: je vous enverrai ses lettres un de ces jours; elles vous divertiront. Madame d'Heudicourt est entièrement dans la gloire de Niquée; elle y oublie qu'elle est prête d'accoucher. La Princesse d'Elbeuf est fort aimable, Mademoiselle de Thianges fort belle, et très-appliquée à faire sa cour. Madame de Montespan étoit l'autre jour toute couverte de diamans; on ne pouvoit soutenir l'éclat d'une si brillante divinité. L'attachement paroît plus fort qu'il n'a jamais été; ils en sont aux regards : il ne s'est jamais vu d'amour reprendre terre comme celui-là. Madame de la Fayette remonte toujours le Rhône tout doucement; et moi, ma fille, je vous aime avec la même inclination que ce fleuve va de Lyon à la mer: cela est un peu poétique, mais cela est vrai.

LETTRE 504.

A la même.

à Livry, mardi en attendant mercredi 4 Août 1677.

JE vins ici samedi matin, comme je vous l'avois mandé. La comédie (1) du vendredi nous réjouit beaucoup : nous trouvâmes que c'étoit la représentation de tout le monde; chacun a ses visions plus ou moins marquées. Une des miennes présentement, c'est de ne me point encore accoutumer à cette jolie Abbaye, de l'admirer toujours comme si je ne l'avois jamais vue, et de trouver que vous m'êtes bien obligée de la quitter pour aller à Vichi. Ce sont de ces obligations que je reproche au bon Abbé, quand j'ai écrit deux ou trois lettres en Bretagne pour mes affaires. (1) Les Visionnaires de Desmaretz.

* C'étoit un très-mauvais ouvrage dont le succès fut prodigieux, jusque-là que Louis XIV en avoit appris et joué un rôle principal. Cependant Molière n'y voyoit qu'un beau sujet manqué. Au lieu des fous chimériques et sans modèles que jouoit Desmaretz, il auroit voulu ( dit-on) dépeindre plusieurs fous de société, de ceux qu'on n'enferme pas, et qui ne s'en feroient pas moins leur procès les uns aux autres, comme s'ils étoient moins fous, pour avoir des folies différentes. ... Mais une pareille pièce voudroit un parterre où les intéressés fussent au moins en minorité.

Vous ne me parlez point de votre santé, c'est pourtant un petit article que je ne trouve pas à négliger: tant que vous serez maigre, vous ne serez point guérie; et soit par le sang échauffé et subtilisé, soit par la poitrine, vous devez toujours craindre le desséchement. Je souhaite donc qu'on ait un peu de peine à vous lacer, pourvu que la crainte d'engraisser ne vous jette pas dans la pénitence, comme l'année dernière, car il faut songer à tout: mais cette crainte ne peut pas entrer deux fois dans une tête raisonnable. Au reste, vous avez des lunettes meilleures que celles de l'Abbé; vous voyez assurément tout le manége que je fais quand j'attends vos lettres; je tourne autour du Petit-Pont; je sors de l'humeur de ma fille, et je regarde par l'humeur de ma mère, si mon laquais ne vient point, et puis je remonte et reviens mettre mon nez au bout de l'allée qui donne sur le Petit-Pont; et à force de faire ce chemin, je vois venir cette chère lettre, je la reçois, et la lis avec tous les sentimens que vous devinez; car vous avez des lunettes pour tout. J'attends ce soir la seconde, et j'y ferai réponse demain. Le bon Abbé est étonné que les voyages d'Aix et de Marseille, et le paiement des gardes, vous aient jeté dans une si excessive dépense:

vous dites que votre château est une grande, ressource, j'en suis d'accord; mais j'aimerois mieux y demeurer par choix, que d'y être forcée par la nécessité. Vous savez ce que dit l'Abbé d'Effiat; il a épousé sa maîtresse; il aimoit Véret quand il n'étoit pas obligé d'y demeurer; il ne peut plus y durer, parce qu'il n'ose en sortir. Enfin, ma fille, je vous conseille de suivre toutes vos bonnes résolutions de règle et d'économie : cela ne rajuste pas une maison, mais cela rend la vie moins sèche et moins ennuyeuse.

Je n'ai point vu Mesdemoiselles de Lislebonne; je crois qu'elles ne sont point si jolies que la soeur de votre Princesse (Madame de Vaudémont). Elle est toujours à Chaillot; sa mère est grosse et honteuse, comme si elle l'avoit dérobé. Je vous ai remerciée, ma trèsbelle, de tout ce que vous faites d'admirable pour mes anciennes amies. Vous aurez vu combien Madame de Lavardin a senti votre honnêteté. Madame de Marbeuf qui est ici vous fait mille complimens; elle est enchantée de ce joli petit lieu; elle dit qu'il ne ressemble à rien que l'on ait vu. J'ai aussi mon ami Corbinelli qui va tâcher de raccommoder un peu le Poëme épique avec vous.

Mercredi matin.

Je reçois votre lettre du 28 Juillet : il me semble que vous étiez gaie; votre gaîté marque de la santé : voilà, ma très-chère, comme je tire ma conséquence. Vous me priez d'aller à Grignan, vous me parlez de vos melons, de vos figues, de vos muscats; ah ! j'en mangerois bien; mais Dieu ne veut pas que je fasse cette année un si agréable voyage; vous ne ferez pas non plus celui de Vichi. Vous dites, ma chère enfant, que votre amitié n'est pas trop visible en certains endroits; la mienne ne l'est pas trop aussi : il faut nous faire crédit l'une à l'autre : je vois fort bien la vôtre, et j'en suis contente; soyez de même pour moi; ce sont de ces choses que l'on croit, parce qu'elles sont vraies, et de ces vérités qui s'établissent, parce qu'elles sont des vérités.

J'avois ouï parler confusément de cette lettre de M. de Montausier; je trouve, comme vous, son procédé digne de lui; vous savez à quel point il me paroît orné de toutes sortes de vertus. On avoit cherché à le tromper; on avoit corrompu son langage; on s'est enfin redressé, et lui aussi, je l'avoue : c'est une sincérité et une honnêteté de l'ancienne Chevalerie. Voilà qui est donc fait, ma fille,

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