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raison ce divertissement fit place le lendemain à un autre.

al

Madame de Coulanges, qui est venue me faire ici une fort honnête visite, jusqu'à demain, voulut bien nous faire part des contes avec quoi l'on amuse les Dames de Versailles cela s'appelle les mitonner; elle nous mitonna donc, et nous parla d'une isle verte, où l'on élevoit une Princesse plus belle que le jour; c'étoient les Fées qui souffloient sur elle à tout moment. Le Prince des Délices étoit son amant : ils arrivèrent tous deux un jour, dans une boule de cristal, à la Cour du Roi des Délices; ce fut un spectacle admirable : chacun regardoit en l'air, et chantoit, sans doute : Allons, lons, accourons tous; Cybèle va descendre. Ce conte dure une bonne heure ; je vous en épargne beaucoup en considération de ce que j'ai su que cette isle verte est dans l'Océan : vous n'êtes point obligée de savoir ce qui s'y passe si c'eût été dans la Méditerranée, je vous aurois tout dit, comme une découverte que M. de Grignan eût été bien aise d'apprendre. Nous ne savons aucune nouvelle : les pensées du beau monde et de la galanterie ont fait place à celles de Mars. Votre frère, dans la crainte qu'il n'y ait une occasion, veut aller mettre son nez à l'ar◄

mée

il ira à Bourbon au mois d'Octobre, s'il en a besoin. C'est une chose si délicate que la réputation de ces Messieurs, qu'ils aiment mieux passer le but que de demeu rer en chemin.

Mademoiselle de Méry vous envoie les plus jolis souliers du monde ; il y en a une paire qui me paroît si mignone, que je la crois propre à garder le lit: vous souvient-il que cette folie vous fit rire un soir? Au reste, ma fille, ne me remerciez plus des riens que je fais pour vous: songez à ce qui me fait agir; on ne remercie point d'être pas sionnément aimée : votre coeur vous apprendra quelqu'autre sorte de reconnois

sance.

LETTRE 506.

A la même.

à Paris, mardi au soir 11 Août 1677.

Vous ne vous plaindrez que je ne vous mande rien aujourd'hui. La nouvelle du siége de Charleroi a fait courir tous les jeunes gens et même les boiteux. Mon fils s'en va demain en chaise, sans nul équipage: tous ceux qui lui disent qu'il ne devroit pas y aller, trouveroient fort étrange qu'il n'y allât

pas. Il est donc fort louable de prendre sur lui, faire son devoir. Mais savez-vous

, pour

qui sont ceux déjà partis? C'est le Duc de Lesdiguières, le Marquis de Coeuvres, Dangeau, la Fare; oui, la Fare, le Prince d'Elbeuf, M. de Marsan, le petit de Villarceaux enfin, tutti quanti. J'oubliois M. de Louvois, qui partit dès samedi. Bien des gens sont persuadés qu'il n'arrivera de toute cette échauffourée, que le retardement, c'est-à-dire, la rupture du voyage de Fontainebleau. M. de Vins, tous les Mousquetaires, et tant d'autres troupes, se sont jetés dans Charleroi, qu'on croit qu'avec l'armée de M. de Luxembourg, grossie de beaucoup de régimens sortis des garnisons, et toute prête à secourir, le Prince d'Orange n'entreprendra jamais d'en former le siége. Vous souvient-il d'une pareille nouvelle, dont nous écrivions de Lambesc des lamentations, qu'on ne reçut que cinq ou six jours après que le siége fut levé ? Peut-être que cette fois ils seront encore plus honnêtes, et se contenteront d'avoir investi la place : vous en saurez la suite. Ce qu'il y a présentement, c'est le départ des guerriers. Je revins hier de Livry, et pour dire adieu à mon fils, et pour me préparer à partir lundi. Mais il faut que je vous mande une mort

qui vous surprendra, c'est de la pauvre Madame du Plessis - Guénégaud (1). Elle tomba malade la semaine passée, un accès de fièvre, et puis un autre, et puis un autre, et puis le transport au cerveau, l'émétique qu'il falloit donner, point donné, parce que Dieu ne vouloit pas ; et cette nuit, qui étoit la septième, elle est morte sans connoissance. Cette nouvelle m'a surprise et touchée ce matin : je me suis souvenue de tant de choses, que j'en ai pleuré de tout mon cœur. Je n'étois son amie que par réverbération, comme vous savez: mais nous étions selon son goût, et je crois que bien de ses anciennes amies n'en sont pas plus touchées que moi. J'ai été chercher toute la famille : on ne les voyoit point; je voulois donner de l'eau bénite, et méditer sur la vie et la mort de cette femme on n'a point voulu; de sorte que je m'en suis allée chez Madame de la Fayette, où l'ou a fort parlé de cette triste aventure. Ses derniers malheurs étoient sans nombre: elle avoit un arrêt favorable, et M. de Poncet, par cruauté, ne le vouloit pas signer, que certaines choses inutiles ne fussent achevées. Cet injuste retardement, à quoi elle ne s'attendoit pas, la

(1) Isabelle de Choiseul-Praslin, fille de Charles de Choiseul, Maréchal de France,

saisit à un tel point, qu'elle revint chez elle avec la fièvre, et la voilà: cela veut dire communément que c'est M. Poncet qui l'a tuée, que les Médecins ont achevé, en ne lui donnant point d'émétique *.

Mais, ma fille, nous autres qui lisons dans la Providence, nous croyons que son heure étoit marquée de toute éternité : tous ces petits événemens se sont enchaînés et entraînés les uns après les autres pour en venir là. Tous ces raisonnemens ne consolent pas ceux qui sont vivement touchés ; mais elle sera fort mal pleurée : toutes les douleurs sont équivoques: On ne pouvoit plus la satisfaire; sa mauvaise fortune avoit aigri son esprit. Vous entendez tout ce que je veux dire. Je me suis un peu étendue sur cette mort : mais il me semble que vous m'écoutez avec altention : j'en fais de même de tout ce que vous m'écrivez tout est bon; et quand vous croyez vous écarter, vous n'allez pas moins droit ni moins juste.

Vous avez fait une rude campagne dans l'Iliade: vous nous en avez parlé fort plaisamment. On espère que celle du Maréchal

* L'émétique trouva d'abord autant d'adversaires que la saignée trouva de partisans. C'est une des guerres les plus meurtrièrés que les médecins se soient faite, aux dépens des malades,

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