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moi, j'espere toujours que ces grandes montagnes n'enfanteront que des souris ; Dieu le veuille.

Le voyage de la Bagnols est assuré; vous serez témoin de ses langueurs, de ses rêveries, qui font des applications à rêver : elle se redresse comme en sursaut, et Madame de ' Coulanges lui dit: Ma pauvre sœur, vous ne révez point du tout. Pour son style, il m'est insupportable, et me jette dans des grossiè retés, de peur d'être comme elle. Elle me fait renoncer à la délicatesse, à la finesse, à la politessé, de crainte de donner dans les tours de passe-passe, comme vous dites: cela est triste de devenir une paysanne. On sent qu'on seroit digne de ne pas vous déplai re, par l'envie qu'on en a; et cent autres babioles que je sais quelquefois par cœur, et que j'oublie tout d'un coup. Nous appelons cela des chiens du Bassan; ils sont enragés à force d'être devenus méchans.

Adieu, ma très-chère enfant; ne vous faites aucun dragon, si vous ne voulez m'en faire mille; n'est-ce pas déjà trop de m'avoir dit, que vous ne valez rien pour moi (1)? quel discours! ah! qu'est-ce qui m'est donc bon? et à quoi puis-je être bonne sans vous?

(1) Voyez la Lettre précédente.

LETTRE

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LETTRE 508.

A la même.

à Paris, dimanche au soir 15 Août 1677. JE n'eusse jamais cru, ma fille, qu'un jour visé de si loin pût être tiré si juste: voilà pourtant ce seizième que nous avons suivi depuis deux mois. Je pars demain à la pointe du jour avec le bon Abbé; nous ne sommes pas bien réjouis; mais on porte des livres ; et comme nous n'irons pas si vite que la diligence, nous pourrons rêver aux pauvres personnes que nous aimons. Il y eut hier une fausse nouvelle répandue, que le siége de Charleroi étoit levé tout le monde le prend pour un augure, tant on a mauvaise opinion de nos ennemis : cette pensée m'est bonne, afin de ne pas emporter avec moi l'inquiétude d'une bataille. Mon fils a déjà écrit deux fois; son pied s'est trouvé mal de l'agitation de la chaise. Vous me proposez une belle-fille, dont la santé pourroit résister à de plus grandes fatigues; elle ressemble tout à fait à la belle Dulcinée je crois que nous ne pouvons atteindre qu'à cette sorte de partis; tous les autres nous fuient ; je vois dans les astres que nous ne sommes point heureux.

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Vous me paroissez accablée de vos Madames de Montélimart. Hé, mon Dieu, que ne suis-je là pour écumer votre chambre, et vous donner le tems de respirer. Je vous vois succomber sous le faix; ce sont des noeuds mal assortis que ceux d'une telle société ; ah! qu'on vous laisse avec votre aimable famille, la voilà toute rassemblée. Plût à Dieu que le bien bon pût être tenté d'y aller voir M. l'Archevêque ! Faites que ce Prélat lui en écrive à Vichi; que sait-on ? Pour moi, je ne lui dirai rien, car je connois l'opposition qu'il feroit à mes prières; il faut aller tout à contre-pied de ce qu'on veut lui inspirer, et ce seroit le chemin, s'il y en avoit un.

Monsieur le Comte, vous ne sauriez avoir tant d'envie de me voir à Grignan, que j'en aurois de vous y embrasser. Au nom de Dieu, ne m'imputez point la barbarie que nous al→ lons faire; elle me fait mal et me presse le coeur; croyez.que je ne souhaite rien avec tant de passion; mais je suis attachée au bon Abbé, qui trouve tant de méchantes raisons pour ne pas faire ce voyage, que je n'espère pas de le voir changer.

J'ai dîné avec le Coadjuteur; il se plaint de la cruauté de l'Abbé qui l'a laissé seul à Paris; le pauvre homme ! sans amis, sans

connoissances, sans maisons, ne sachant où donner de la tête; nous avons mené assez follement cette plainte. J'ai vu Madame de Vins, qui vous aime assurément; elle étoit ici ce soir avec l'Abbé Arnauld ; j'ai résisté à la prière qu'on m'a faite de laisser votre portrait, pour être copié chez eux : cette pensée me blesse d'une telle sorte, que je ne puis la souffrir à Vichi : à mon retour, si j'ai plus de force pour supporter cette tribulation, j'y consentirai. Songez à votre santé, si vous aimez la mienne; elle est si bonne, que, sans vous, je ne penserois pas à faire le voyage de Vichi: il est difficile de porter son imagination dans l'avenir, quand on est sans aucune sorte d'incommodité; mais enfin vous le voulez, et voilà qui est fait. Madame de Coulanges m'a menée ces derniers jours; elle s'est toute dérangée pour moi, elle n'a songé qu'à moi.

LETTRE 509.

A la même.

à Villeneuve-le-Roi, mercredi 18 Août 1677. Hé bien, ma fille, êtes-vous contente? me voilà en chemin, comme vous voyez. Je partis lundi, et il étoit question ce jour-là :

d'une nouvelle qui étoit encore dans la nne. J'avois une grande impatience de savoir si on ne s'etoit point battu, car on nous avoit ôté entièrement la levée du siege de Charleroi qui s'étoit faussement répandue; on ne sait comment. Je priai donc M. de Coulanges de m'envoyer à Melun, où j'allois coucher, ce qu'il apprendroit de Madame de Louvois. En effet, je vis arriver ce laquais, qui m'apprit que le siége de Charleroi étoit levé tout de bon, et qu'il avoit vu le billet que M. de Louvois écrit à sa femme; en sorte que je pouvois continuer mon voyage tranquillement : il est vrai que c'est un grand plaisir de n'avoir plus à digérer les inquiétudes de la guerre. Que dites-vous du bon Prince d'Orange? Ne diriez-vous point qu'il ne songe qu'à rendre mes eaux salutaires, et à faire trouver nos lettres ridicules, comme il y a quatre ans, lorsque nous faisions des raisonnemens sur un avenir qui n'étoit point? Il ne nous attrapera pas une troisième fois *.

Je reprends donc mon voyage, où je marche sur vos pas : j'eus le cœur un peu embarrassé à Villeneuve-Saint-Georges, en revoyant ce lieu où nous pleurâmes de si

**L'habileté du Prince d'Orange fut mal secondée par les Espagnols.

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