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» êtes bien vert encore, mon ami. Il y a » bien du vieil homme, c'est-à-dire, du >> jeune homme en vous ». Je m'en vais tout dire. Il ne faisoit l'autre jour qu'une légère collation; car il voudroit bien faire pénitence, et il en a besoin; il m'échappe de l'appeler M. de Grignan; ce nom se trouve naturellement au bout de ma langue. Il s'écria d'un ton qui venoit du fond de l'âme : Hé! plût à Dieu ! Je le regardai, et lui dis : J'aimerois autant souper. Nous nous entendîmes; nous rîmes extrêmement, disje vrai? répondez.

Monsieur DE GUITAUT.

Il est vrai, Madame, que les souhaits vont quelquefois bien loin, et qu'il n'est pas toujours fort aisé d'en être le maître. Vous êtes informée de ma pénitence, si vous ne l'êtes de mes péchés: mais comme je suis aussi peu déterminé sur l'un que sur l'autre de ces deux partis, je vous permets de donner carrière à votre esprit. Je finis par-là, en vous assurant pourtant que votre maman, à l'heure qu'il est, est un peu ivre; mais ce n'est pas de l'eau de Vichi; je doute même, si cela continue, qu'elle veuille y aller : ce seroit de l'argent perdu.

TOME V.

C c

Madame DE Sévigné.

C'est lui qui est ivre; pour moi, j'avoue que je la suis un peu. Ils sont si long-tems à table que par contenance on boit, et puis on boit encore, et on se trouve avec une gaîté extraordinaire voilà donc l'affaire. A propos, nous avons rencontré M. et Madame de Valavoire, avec un équipage qui ressembloit à une compagnie de Bohêmes. Nous avons attaqué la première litière ; nous y avons trouvé le bon Valavoire ah, que c'est bien le vieil homme! nous sommes tous descendus; il m'a baisée, et a pensé m'avaler; car il a, comme vous savez, quelque chose de grand dans le visage. Sa femme m'a parlé de vous et de votre santé, d'une manière à me persuader : vous n'êtes point grasse; mais vous avez un beau teint, vous êtes blanche, vous êtes tranquille tout ce qu'elle m'a dit m'a paru fort naturel, et m'a fort plu. J'ai trouvé les chemins étranges; j'ai pensé que vous aviez essuyé tous ces cahots: mon cocher est admirable, mais il est trop hardi ;-M. de Guitaut dit qu'il l'estime de deux choses; l'une, d'être un fort bon cocher, et l'autre, de mépriser mes cris. Adieu, ma fille, en voilà assez pour des gens entre deux vins. Il y a

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ici un fort bon Médecin qui me dit: Madame, pourquoi allez vous à Vichi? répondez-lui; pour moi, je n'ai jamais pu.

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Du Comte de BUSSY à M.DE CORBINELLI. à Chaseu, ce Septembre 1677.

IL n'y a pas long-tems que je vous ai fait réponse, Monsieur, dans une lettre que j'écrivis à Madame de Sévigné, et me revoici avec elle dans une feuille de papier *, vous écrivant tous deux de ce Château, où nous avons passé si doucement un an ensemble. Il étoit agréable alors, il l'est aujourd'hui davantage, et notre amie en est contente. Nous l'aurions été bien plus si vous aviez été de la partie, et Lucien que nous avons lu, nous auroit encore paru plus divertissant. La veuve qui vous plaît tant, m'a aidé à faire l'honneur de ma maison. J'oubliois de vous dire que nous allâmes cinq lieues audevant de la Marquise. Elle nous fit mettre dans son carrosse ne voulant fier sa conduite qu'à un cocher célèbre qu'elle a depuis peu. A la vérité, à un quart de lieue

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*La lettre de Madame de Sévigné à la suite de laquelle se trouvoit celle-ci est perdue, comme toutes celles qu'elle avoit écrites à Corbinelli.

de la dînée, il nous versa dans le plus beau chemin du monde. Le bon Abbé de Coulanges étant tombé sur sa nièce, et Toulongeon sur la sienne, cela nous donna un peu de relâche. Mais admirez la fermeté de notre amie, et son bon naturel. Dans le moment que nous versâmes, elle parloit de l'histoire de Don Quichotte. Sa chute ne l'étourdit point, et pour nous montrer qu'elle n'avoit pas la tête cassée, elle dit qu'il falloit reanettre le chapitre de Don Quichotte à une autre fois, et demanda comment se portoit l'Abbé. Il n'eut non plus de mal que les autres. On nous releva, et ma Cousine fut trop heureuse de se remettre à la conduite du cocher de ma fille, qu'elle avoit tant méprisé. Vous croyez bien que notre aventure ne tomba pas à terre, comme nous avions fait. Nous badinâmes quelque tems sur ce chapitre; et ce fut-là où nous commençâmes à vous trouver à redire.

LETTRE 515.

Madame DE SÉVIGNE à Madame DE GRIGNAN.

à la Palice, vendredi au soir 3 Septembre 1677.

je

Vous voyez bien, ma très-chère, que me voilà à Vichi, c'est-à-dire, j'y dînerai demain 4 de ce mois, comme je vous l'avois promis. Je vous écrivis de Saulieu, avec M. de Guitaut, une assez folle lettre vous en ai écrit quatre d'Epoisses, où j'ai reçu toutes celles qui me sont revenues de Paris. J'ai été prise et retenue en Bourgogne d'une telle sorte, que si, par hasard, je ne m'étois souvenue de vous, et que vous vouliez que je prisse les eaux, je crois que je m'y serois oubliée. J'ai été chez Bussy, dans un château qui n'est point Bussy, qui a le meilleur air du monde, et dont la situation est admirable. La Coligny (1) y étoit : vous savez qu'elle est aimable: il y auroit beaucoup à parler; mais je réserve ces bagatelles pour une autre fois. Il a fallu aller dîner chez M. d'Autun, le pauvre homme ! et puis chez M. de Toulongeon; et le jour que j'en

(1) Fille du Comte de Bussy, et la même qui épousa M. de la Rivière en Juin 1681.

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