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devois partir, il fallut demeurer pour parler de nos affaires avec le Président de Berbisi qui venoit m'y trouver. Enfin, me voilà sur vôtre route de Lyon, à vingt lieues de Lyon. Je serois mardi à Grignan, si Dieu le vouloit ; hé, mon Dieu ! il faut détourner cette pensée, ma chère enfant; elle fait un dragon, si l'on ne prend un soin extrême de la gouverner. Parlons de la traverse d'Autun ici, qui est un chemin diabolique. J'ai dit adieu pour jamais partout où j'ai passé. Je suis ici dans le château de cette bonne Saint-Géran, qui m'a reçue comme sa fille. Vous y avez passé, ma fille : tout m'est cher à mille lieues à la ronde. Je suis à plaindre quand je n'ai point de vos nouvelles : cela me fait une tristesse qui ne m'est pas bonne. Depuis Epoisses,

il

y a sept jours, cela est long, j'en attends, voilà ce qui me soutient. Je vous prie de dire à M. de Grignan que je le conjure d'écrire à M. de Seignelai, ou à M. de Bonrepos, pour obtenir le congé de M. de Sévigné pour cet hiver, afin qu'il vienne solliciter un vaisseau. Il y a bien des places vacantes : le pauvre garçon m'a écrit quatre fois; il ne sait que faire: il est à Messine, et me fait pitié; c'est sa vie, c'est son pain, aidez-moi à le secouvir: yous savez comme il s'appelle : si cela ne vous touche, c'est mon filleul. On me

presse de donner cette lettre, la poste va passer. Adieu donc, ma très-chère et trèsaimable. Il y a huit jours que je ne sais rien; mais quand j'ignore tout, je sais toujours que je vous aime de tout mon cœur.

LETTRE 516.

A la même.

à Vichi, samedi au soir 4 Septembre 1677.

J'AI 'AI reçu deux de vos lettres en arrivant, ma très chère; j'en avois grand besoin : mon cœur étoit triste, me voilà bien : je les relirai, ce m'est une consolation. Je vous promets de ne plus écrire qu'un mot, passé aujourd'hui; mais faites-en donc de même : vous êtes excédée d'écriture, et c'est être malade à votre âge, que d'ètre maigre au point que vous l'êtes; je hais, il est vrai, de voir si visiblement la côte d'Adam en votre personne. Ma fille, ne me grondez pas ce soir, je veux un peu parler : j'arrive ; je me repose demain ; rien ne m'oblige à me taire. M. de Champlâtreux est déjà venu me voir; le bon Abbé le trouve d'une bonne société; il lui donnera souvent à dîner. Savez-vous qui m'a déjà envoyé faire un compliment? M. le Marquis de Termes, qui arriva hier

tout malade de goutte et de colique : on dit qu'il a la barbe longue comme un capucin : ah, c'est fort bien fait. Le Chevalier de Flamarens est avec lui, M. et Madame d'Albon y sont aussi, M. de Jussac : on attend encore bien du monde. J'oublie le meilleur, c'est Vincent qui sort déjà d'ici, et qui prendra des soins de moi extrêmes. Je me porte trèsbien; je ne sais que souhaiter de mieux, sinon de clouer ce bienheureux état. Je vous écrivis hier de la Palice; j'y vis un petit garçon que je trouvai joli ; il a sept ans; je suis sûre qu'il ressemble au vôtre : son père, qui est un Gentilhomme de M. de Saint-Géran, lui a appris l'exercice du mousquet et de la pique; c'est la plus jolie chose du monde; vous aimeriez ce petit enfant ; cela lui dénoue le corps; il est délibéré, adroit, résolu. Son père passe sa vie à la guerre; il est convalescent à la Palice, et se divertit à rendre son fils un vrai petit soldat ; j'aimerois mieux cela qu'un maître à danser : si le hasard vous envoyoit un tel homme, prenez le même plaisir sur ma parole. M. l'Archevêque a écrit au bon Abbé tout ce qui peut se mander d'obligeant et de tendre pour l'engager au voyage de Grignan ; mais je ne vois pas que cela l'ébranle, quoiqu'il en soit touché. J'aurois bien à causer sur vos deux

lettres

lettres que voilà ; mais quoique je ne sois pas encore initiée à la fontaine, je veux vous donner l'exemple. Un homme de la Cour disoit l'autre jour à Madame de Ludre : << Madame, vous êtes, ma foi, plus belle que » jamais ». — «Tout de bon, dit-elle, j'en >> suis bien aise, c'est un ridicule de moins >> J'ai trouvé cela plaisant. Madame de Coulanges a des soins de mor admirables, je regarde autour de moi; est-ce que je suis en fortune? Elle me rend le tambourinage qu'elle reçoit de beaucoup d'autres. La Bagnols m'écrit aussi mille douceurs tortillonnées. Adieu, ma chère enfant; évitez le coeur de l'hiver pour revenir, et le détour de Rheims. Croyez-moi, il n'y a point de santé qui puisse résister à ces fatigues; les voyages usent le corps comme les équipages.

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MA fille, ne vous fâchez point, je vous écris à six heures du soir, loin des eaux, loin de toute vapeur; c'est pour me donner de la joie que je veux causer un moment avec vous; j'ai rompu tout autre commerce. Ne TOME V.

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trouvez-vous point que nous sommes trop loin et trop près l'une de l'autre ? Cette distance nous fait mal. Je passe les jours avec Messieurs de Termes et Flamarens; je suis leur véritable consolation: je ne sais ce qu'ils ont, ils ne se portent point bien. Ils ont amené un homme de l'opéra, qui joue du violon mieux que Baptiste ; cela nous divertit. Il y a une impertinente petite bossue qui chante sans fin et sans cesse et qui croit être miraculeuse ; cela nous fait rire. Monsieur de Champlâtreux est notre grand Druïde, il fait la meilleure chère du monde. Ah, mon Dieu! que n'a-t-il été possible que vous m'ayez gouvernée ici? M. et Madame d'Albon, une soeur de Mademoiselle de Lestrange, Madame de Sourdis blanche et blonde, mille autre de tous côtés, jamais il ne s'est vu tant de monde, et jamais il n'a fait si beau, le mois de Septembre ne contrefait ni l'été, ni l'hiver, il est le plus beau mois de Septembre que vous ayez jamais vu. MADAME disoit l'autre jour à Madame de Ludre, en badinant avec un compas : « Il

*César-Auguste de Pardaillan, Marquis de Termes, long-tems attaché à Gaston d'Orléans, et jeté dans les intrigues de la Fronde, avoit quitté la Cour. Il étoit beau, bien fait, homme d'esprit, très-gai, très-malin, mais de fort mauvaise réputation.

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