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que des chevaux exilés devroient au moins avoir quelque permission: quoi qu'il en soit; ces pauvres chevaux ont pris des routes opposées, ce qu'ils n'auroient point osé faire, s'ils n'avoient changé de maître : ainsi va le monde. Nous revoilà avec nos hommes jusqu'à Briare, où nous les quitterons pour prendre le chemin d'Autri. J'ai dit à Vardes que je le priois de vous faire entendre que je vous étois meilleure présentement à Paris qu'à Grignan. Je ferai bien tout ce qu'il faut pour vous y recevoir agréablement. Vous savez mieux que moi si nous y avons une maison ou non je n'ai plus de lettres de d'Hacqueville, et je marche en aveugle. Toute notre troupe vous fait ses complimens, sur-tout le bien bon. Voilà un billet pour Vardes, sur ce qu'il m'a fait faire des plain. tes de ne l'avoir pas vu ce matin. Je vous souhaite une parfaite santé : votre sang me fait toujours peur. Quant à moi, je me porte très-bien; j'ai bu par un tems admirable; je n'ai point pris de douche, au moins peu : voilà le bon homme de Lorme content. Je vous embrasse mille fois, ma très-chère et très-belle; je meurs d'envie de recevoir de vos nouvelles.

LETTRE 525.

A la même.

à Gien, vendredi premier Octobre 1677.

Nous avons fait cet après-dîner un tour que vous auriez bien aimé : nous devions quitter notre bonne compagnie dès midi, et prendre chacun notre parti, les uns vers Paris, les autres à Autri. Cette bonne compagnie n'ayant pas été préparée assez tôt à cette triste séparation, n'a pas éu la force de la supporter, et a voulu nous suivre à Autri nous avons représenté les inconvéniens, enfin, nous avons cédé. Nous avons donc passé la rivière de Loire à Châtillon tous ensemble; le tems étoit admirable, et nous étions ravis de voir qu'il faille que le bac retournât pour aller prendre l'autre carrosse. Comme nous étions à bord, nous avons discouru du chemin d'Autri; on nous a dit qu'il y avoit deux mortelles lieues, des ro chers, des bois, des précipices : nous qui sommes accoutumés depuis Moulins à courir la bague, nous avons eu peur de cette idée, et toute la bonne compagnie, et nous conjointement, nous avons repassé la rivière, en pâmant de rire de ce petit dérangement;

tous

tous nos gens en faisoient autant, et dans cette belle humeur, nous avons repris le chemin de Gien, où nous voilà tous; et après que la nuit nous aura donné conseil, qui sera vraisemblablement de nous séparer coura geusement, nous irons, la bonne compagnie de son côté, et nous du nôtre.

Hier au soir à Cône, nous allâmes dans un véritable enfer, ce sont des forges de Vulcain: nous y trouvâmes huit ou dix Cyclopes forgeant, non pas les armes d'Enée, mais des ancres pour les vaisseaux: jamais vous n'avez vu redoubler des coups si justes, ni d'une si admirable cadence. Nous étions au milieu de quatre fourneaux; de tems en tems, ces démons venoient autour de nous, tous fondus de sueur, avec des visages pâles, des yeux farouches, des moustaches brutes, des cheveux longs et noirs; cette vue pouvoit effrayer des gens moins polis que nous. Pour moi, je ne comprenois pas qu'il fût possible de résister à nulle des volontés de ces Messieurs-là dans leur enfer. Enfin, nous en sortimes avec une pluie de pièces de quatre sous dont nous eûmes soin de les rafraîchir pour faciliter notre sortie.

Nous avions vu, la veille, à Nevers, une course la plus hardie qu'on puisse s'imaginer quatre belles dans un carrosse nous

TOME V.

Ff

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ayant vu passer dans les nôtres, eurent une telle envie de nous revoir, qu'elles voulurent gagner les devans lorsque nous étions sur une chaussée qui n'a jamais été faite que pour un carrosse. Ma fille, leur cocher nous passa témérairement sur la moustache: elles étoient à deux doigts de tomber dans la rivière; nous crions tous miséricorde, elles pâmoient de rire, et coururent de cette sorte, et par-dessus nous, et devant nous, d'une si surprenante manière, que nous en sommes encore effrayés.

Voilà, ma très-chère, nos plus grandes aventures: car de vous dire que tout est plein de vendanges et de vendangeurs, cette nouvelle ne vous étonneroit pas au mois de Septembre. Si vous aviez été Noé, comme vous disiez l'autre jour, nous n'aurions pas trouvé tant d'embarras. Je veux vous dire un mot de ma santé, elle est parfaite; les eaux. m'ont fait des merveilles, et je trouve que vous vous êtes fait un dragon de cette douche: si j'avois pu le prévoir, je me serois bien gardée de vous en parler; je n'eus aucun mal de tête; je me trouvai un peu de chaleur à la gorge; et comme je ne suai pas beaucoup la première fois, je me tins pour dit que je n'avois pas besoin de transpirer comme l'année passée ainsi, je me

suis contentée de boire à longs traits, dont je me porte très-bien : il n'y a rien de si bon que ces eaux.

JE

LETTRE 526.

A la même.

à Autri, lundi 4 Octobre 1677.

E vous écrivis de Gien, et je vous mandai toutes les folies du monde. La nuit nous donna le conseil que j'avais prévu, qui fut de nous séparer avec peine; car la bonne compagnie est de fort bonne compagnie. Nous arrivâmes ici par un grand chemin tout naturel, et ravis d'avoir évité celui de traverse, qui ne vaut rien, sans qu'il nous en eût coûté autre chose que la folie de passer et de repasser la rivière. Nous avons trouvé cette petite Comtesse de Sanzei (1) avec son joli visage et une tristesse mortelle d'être devenue sourde au point qu'elle l'est: elle a toujours les larmes aux yeux; cette incommodité n'est pas médiocre dans un âge où l'on aime fort à être de tout.

J'admire que j'aie pu vous écrire tout ceci, ayant sur le coeur la tristesse et la surprise de la mort subite et terrible du pauvre (1) Sœur de M. de Coulanges.

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