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Abbé Bayard: je crois rêver en l'écrivant : ce fut la première chose que je trouvai dans une lettre de d'Hacqueville qui m'attendoit ici. Il vous l'aura mandée comme à moi mais je veux vous en parler. Je vous écrivis de Langlar un certain dimanche, dans la lettre du Chevalier. Tout étoit en joie et en danse chez cet Abbé, les violons, les fifres, les tambours faisoient un bruit de fête de Province le plus agréable du monde sur cette belle terrasse: sa santé avoit été célébrée; j'avois fait son portrait à ceux de notre troupe qui ne l'avoient jamais vu, et j'avois dit beaucoup de bien de son coeur et de son âme, parce qu'il y en avoit beaucoup à dire. Ma fille, savez-vous ce qui arrivoit pendant tout cela? il mouroit, il expiroit; et le lendemain, quand je lui écrivis en partant une relation de ce qui s'étoit passé chez lui, dont il auroit été ravi, il n'étoit plus au monde, et c'étoit à un mort que j'écrivois. Je vous avoue que je fis un cri du fond de mon cœur, en apprenant cet arrangement de la Providence, et mon esprit en sera longtems étonné. J'avois une véritable envie de le voir et de lui conter la bonne vie que nous avions faite à Langlar, et le regret de ne l'avoir pas eu, comme la meilleure chose que nous puissions avoir; et la première

ligne que je lis, c'est sa mort; mais quelle mort! il se portoit très-bien; il avoit passé la veille chez Madame de Coulanges, avec M. de la Rochefoucauld; il avoit parlé de moi, et de la joie qu'il avoit de penser que j'étois chez lui. Le Dimanche il prend un bouillon, il le vomit; il eut soif l'après-dînée, il demanda à boire; on le quitte un instant, on revient, et on le trouve mort sur sa chaise quelle surprise! mais quelle promptitude! On est souvent fort honnête homme, qu'on n'est pas un très-bon chrétien; sans confession, sans préparation; enfin, c'est un abîme de méditations. Il avoit un abcès dans la poitrine, qui s'est crevé tout d'un coup, et l'a étouffé. Ma trèschère, je vous demande pardon, je ne saurois me taire sur une si triste aventure. Je suis assurée que le Chevalier en sera surpris par des circonstances que je vous ai dites. J'ai écrit à mon médecin pour me rendre compte de cette santé que je lui avois laissée entre les mains.

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Je ne trouve pas bon que vous me remerciez de l'amitié que j'ai pour le Chevalier; il marche tout seul, et n'a nul besoin de votre assistance. Vous dites que je donne un mauvais exemple pour vous aller voir; et quelle autre amitié peut faire ce voyage,

puisque je ne l'ai pas fait ? Une amitié qui va en chaise roulante, une amitié qui n'a point de bien bon, une amitié qui n'a point d'affaires à Paris, qui n'a point à déménager; voilà le Chevalier; cependant, vous ne voulez pas qu'il passe à Lyon : je doute qu'il vous obéisse. Pour moi, je m'en vais vous ranger la Carnavaletle; car enfin nous Pavons, et j'en suis fort aise. Je me porte très-bien; je suis fort contente des eaux, elles sont faites pour moi je n'avois plus besoin de la douche; comme je n'avois plus de sérosités, elle m'eût échauffée ce fut done par sagesse et par raisonnement que je la quittai sans aucun mal de tête, ni incommodité qui se puisse nommer. Je suis au désespoir de l'inquiétude que vous en avez eue; le Chevalier vous dira si je ments. Au nom de Dieu, ne recommençons point à nous faire dire mille cruautés : portez-vous aussi bien que moi, et je vous promets de n'être point en peine. Quelle joie, ma chère enfant, de vous voir belle et fraîche, et sans dragons! Ah, mon Dieu, les étranges et dévorantes bêtes ! Nous partons demain matin pour être jeudi 7 à Paris. Mon fils ne m'écrit point régulièrement; il se portoit bien, il y a quinze jours; il sera ravi que nous ayons une maison, et que vous re

veniez : il me paroît aussi tendre pour vous que vous l'êtes pour lui, et tous deux vous ne me haïssez pas trop; cela n'est-il pas joli?

LETTRE 527.

A la même.

à Paris, jeudi 7 Octobre 1677.

On ne peut pas avoir pris des mesures plus justes que les vôtres pour me faire recevoir votre lettre en sortant de carrosse. La voilà, je l'ai lue, et l'ai préférée à toutes les embrassades de l'arrivée. M. le Coadjuteur, M. d'Hacqueville, le gros Abbé, M. de Coulanges, Madame de la Troche, ont trèsbien fait leur devoir d'amis. Le Coadjuteur et le d'Hacqueville m'ont déjà fait entendre l'aigreur de Sa Majesté sur ce pauvre curé (»), et que le Roi avoit dit à M. de Paris : « C'est >> un homme très-dangereux, qui enseignoit >> une doctrine pernicieuse on m'a déjà >> parlé pour lui; mais plus il a d'amis, plus » je serai ferme à ne point le rétablir ».. Voilà ce qu'ils m'ont dit d'abord, qui fait toujours voir une aversion horrible contre nos pauvres frères. Vous m'attendrissez pour

(1) Voyez la Lettre du 24 Septembre..

la petite (1); je la crois jolie comme un ange, j'en serois folle; je crains, comme vous dites, qu'elle ne perde tous ses bons airs et tous ses bons tons avant que je la voie : ce sera dommage; vos Filles (de Sainte-Marie) d'Aix vous la gâteront entièrement: du jour qu'elle y sera, il faut dire adieu à tous ses charmes. Ne pourriez-vous point l'amener ? Hélas! on n'a que sa pauvre vie en ce monde; pourquoi s'ôter ces petits plaisirs-là ? Je sais bien tout ce qu'il y a à répondre là-dessus, mais je n'en veux pas remplir ma lettre: vous auriez du moins de quoi loger cette jolie enfant, car, Dieu merci, nous avons l'hôtel de Carnavalet. C'est une affaire admirable, nous y tiendrons tous, et nous aurons le bel air; comme on ne peut pas tout avoir, il faut se passer des parquets et des petites cheminées à la mode; mais nous aurons une belle cour, un beau jardin, un beau quartier, et de bonnes petites filles bleues qui sont fort commodes, et nous serons ensemble.

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Je voudrois pouvoir retrancher de votre amitié, qui m'est si chère, toute l'inquié

(1) Marie-Blanche, petite-fille de Madame de Sévigné, née le 15 Novembre 1670.

C'est une très-belle maison de la rue CultureSainte-Catherine. Jean Gougeon, du Cerceau, et Mansard y ont successivement déployé leur génie,

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