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n'est rien que d'être riche : un gueux en séroit mort.

On parle d'une espèce de victoire du Maréchal de Créqui. Il a battu les Allemands*. Avez-vous jamais ouï parler d'une étoile si brillante que celle du Roi ? Vous savez bien qu'il a donné deux mille écus de pension à Racine et à Despréaux, en leur commandant de travailler à son histoire, dont il aura soin de donner des Mémoires. Adieu, mon cher Cousin.

Le 24 Septembre, le Maréchal de Créqui oblige le Prince de Saxe et Senac, Général des troupes des Cercles, à capituler. (Mémoires chronologiques de ·'d'Avrigny). Il eut aussi le 7 Octobre un autre avantage moins important.

ir.

LETTRE 533. "

Le Comte DE BUSSY à Madame DE SÉVIGNÉ.

à Bussy, ce 27 Octobre 1677.

VOTRE lettre m'a donné la joie que j'ai accoutumé d'avoir quand j'en reçois de vous, Madame. Je dis même avant que de l'avoir ouverte. Je n'irai pas cet hiver à Paris, mais l'année qui vient. J'espère vous porter ce que vous avez envie de voir. Vous avez ce plaisir là devant vous, si plaisir y a. Vous

disiez fort bien, Madame, quand la vieille P........ faillit à mourir l'année passée, qu'elle mourroit deux fois bien près l'une de l'autre : et moi j'ajoute, qu'elle nous eût fort obligés de n'en pas faire à deux fois, comme disoit Patrix cela ne valoit pas la peine de se r'habiller. Je suis fort aise que notre ami Corbinelli se soit tiré d'une méchante affaire, 'et que ce soit à l'or à qui il en ait l'obligation. Si cela les pouvoit raccommoder ensemble, j'en serois encore plus aise. Je crois qu'il ne tiendra pas à notre ami, car il n'est point ingrat. Mais quand vous dites sur l'or potable qu'il l'a guéri : Qu'il n'y a rien tel que d'étre riche, et qu'un gueux en seroit mort, le siècle présent qui le connoît, entendra la contre-vérité: mais pour la postérité qui prend tout au pied de la lettre, elle le croira un Partisan. L'avantage qu'a eu le Maréchal de Créquy près de Saverne, est quelque chose pour l'effet, et beaucoup pour la réputation. Despréaux et Racine mettront, je crois, bien en oeuvre lés belles actions du Roi. Je voudrois voir cela.

LETTRE 534.

Madame de SÉVIGNÉ à Madame DE

ΜΑ

GRIGNAN.

à Paris, mercredi 27 Octobre 1677.

A fille, je ne vous ferai plus de question : comment? en trois mots, les chevaux sont maigres, ma dent branle, le précepteur a les écrouelles; cela est épouvantable; on feroit fort bien trois dragons de ces trois réponses, sur-tout de la seconde. Je ne vous demande pas, après cela, si votre montre va bien; vous me direz qu'elle est rompue. Pauline répond bien mieux que vous; il n'y a rien de plus plaisant que la finesse qu'entend cette petite friponne, à dire qu'elle sera friponne quelque jour. Ah, que j'ai de regret de ne point voir cette jolie enfant! Il me semble que vous m'en consolerez bientôt si vous suivez mes projets ; vous partez d'aujourd'hui en huit jours, et vous ne recevrez plus que cette lettre à Grignan. M. de Coulanges est parti ce matin par la diligence pour aller à Lyon; vous l'y trouverez ; il vous dira comme nous sommes logés fort honnêtement. Il n'y avoit pas balancer à prendre le haut pour nous deux,

à

le bas pour M. de Grignan et ses filles : tout sera fort bien.

:

Je recommande à tous vos Grignans, qui ont tant de soin de votre santé, de vous empêcher de tomber dans le Rhône, par la cruelle hardiesse qui vous fait trouver beaut de vous exposer aux endroits les plus périlleux je les prie d'être des poltrons, et de descendre avec vous. Je trouve, au reste, que je serai bien heureuse de vous donner' ma poule bouillie : la place que vous me demandez à ma table vous est bien parfaite-' ment assurée; le régime que vos Grignans' vous font observer est fait exprès pour mon ordinaire je m'entends avec Guisoni pour le retranchement de tous les ragoûts. Venez donc, ma très-aimable, on ne vous défend pas d'être reçue avec un coeur plein d'une véritable tendresse; c'est de ce côté que je vous ferai de grands festins.

:

Je suis fort aise de vous voir disposée, comme vous êtes, pour M. de Marseille: eh, mon Dieu, que cela est bien ! et qu'il y a de noirceur et d'apparence d'aigreur à conserver long-tems ces sortes de haines! elles doivent passer avec les affaires qui les causoient: et, en effet, pourquoi se charger le cœur d'une colère nuisible en ce monde et en l'autre? Tout ce qui fàche M. de

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Grignan, c'est que votre médecin ait eu sur vous plus de pouvoir que votre confesseur. Le Chevalier est bien plaisant de vouloir empêcher la bise de souffler; elle est dans son château avant lui, et l'en chassera plutôt qu'elle n'en sera chassée. M. le. Chancelier (d'Aligre) est mort de pure vieillesse. J'ai mille bagatelles à vous conter; mais ce sera quand je vous verrai: mon Dieu, quelle joie ! je souhaite que l'or potable fasse du bien à la belle Rochebonne. Madame de Sanzei prendroit tous les remèdes les plus difficiles pour être guérie (1). La fièvre reprend à tout moment à notre pauvre Cardinal; vous devriez joindre vos instances aux nôtres pour lui faire quitter un air si maudit; il ne peut pas aller loin avec une fièvre continuelle ; j'en ai le cœur bien triste.

C'est M. le Tellier qui est Chancelier; je trouve cela fort bien : il est beau de mourir dans la dignité (2).

(1) D'une surdité qui lui étoit survenue.

(2) M. le Tellier étoit âgé en ce tems-là de soixantequatorze ans ; il mourut le 28 Octobre 1685.

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