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MADAME DE SÉVIGNÉ. toient plus si étonnés de ce que les soldats hasardoient si légèrement leurs vies, puisqu'ils avoient raison d'en souhaiter la fin. Ils disent aussi des turlupinades (que bien que le Roi craigne les senteurs, le Gand d'Espagne qu'il vient de prendre ne lui fera point de mal à la tête ). J'y ajoute qu'un Prince moins sage et moins grand en pourroit bien être entêté. Voilà bien des pauvretés, mon cher Cousin; c'est ma plume qui a mis tout cela sans mon consentement *.

**

On est présentement à Ypres , et j'en suis en peine; car cette place est farcie de gens de guerre, quoiqu'il en soit sorti deux mille hommes pour aller à Bruges, parce qu'on ne sait jamais où le Roi tombera. Toutes les villes tremblent. Je crois que

* Tout ce qui précède depuis ces mots, les Historiens du Roi forme dans le recueil de Bussy une lettre particulière; mais comme elle est de la même date que celle dans laquelle nous l'avons intercalée, elle nous a paru en être un fragment, lequel d'ailleurs méritoit de n'être point omis.

** Ypres fut prise ainsi que Gand. Les succès et ceux qu'eurent en Allemagne le Maréchal de Créqui et le Maréchal de Navailles en Espagne, déterminèrent la conclusion de la paix, qui fut signée à Nimègue le 11 août suivant. C'étoit la plus glorieuse qu'eût faíte la France, à cette époque.

TOME V.

K k

de tout ceci nous aurons la paix ou la Flandre.

Mais parlons de Madame de Seignelay, qui mourut avant-hier matin grosse d'un garçon. La fortune a fait là un coup bien hardi, d'oser fâcher M. Colbert. Lui et toute sa famille sont inconsolables. Voilà un beau sujet de méditer. Cette grande héritière tant souhaitée, et prise enfin avec tant de circonstances, est morte à dix-huit ans. La Princesse de Clèves n'a guère vécu plus long-tems; elle ne sera pas sitôt oubliée. C'est un petit livre que Barbin nous a donné depuis dix jours, qui me paroît une des plus charmantes choses que j'aie jamais lues. Je crois que ma nièce la Chanoinesse vous l'enverra bientôt. Je vous en demanderai votre avis, quand vous l'aurez lue avec l'aimable Veuve. Il me semble qu'il est encore de bonne heure pour être allé à Chaseu. Vos prés et votre jolie rivière n'y sont-ils point encore glacés? Vous avez assurément pris pour votre été cinq ou six jours du soleil de Mars, qui vous feront bien voir comme à nous qu'ils n'étoient que des trompeurs.

Je ne sais comment vous pouvez aimer mes lettres; elles sont d'une négligence que je sens, sans y pouvoir remédier. Mais cela vient de plus loin, et c'est moi que vous

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aimez. Vous faites très-bien, et je vous conjure de continuer, sans craindre d'aimer une ingrate. Je vous en dis autant, ma chère Nièce. Rendez-moi compte de vos amusemens et de vos lectures. C'est ce qui console de tout l'ennui de la solitude. Mais peut-on vous plaindre tous deux? Non, en vérité: vous êtes en fort bonne compagnie quand vous êtes ensemble. J'aime bien la Hire, et son discours à son maître. Il est à la mode, et d'un bon tour *. Il me semble que vous auriez dit la même chose à Charles VII; car pour le Roi d'aujourd'hui, vous êtes bien éloigné d'avoir sujet de lui parler de la sorte. Ma fille se porte un peu mieux; elle vous fait, et à vous, ma chère Nièce, mille amitiés.

* Que pensez-vous de mon bal, disoit Charles VII à ce guerrier. Il répondit: Je pense, Sire, qu'on ne peut plus galment perdre un Royaume. C'est le mot que rapportoit Bussy dans sa lettre.

LETTRE 542.

Au même.

à Paris, ce 20 juin 1678.

QUELLE folie de ne vous point écrire, puisque je fais le principal, qui est de me souvenir tous les jours de vous! Quand on n'a point de bonne raison, il n'en faut dire aucune. Voilà donc la paix, mon cher Cousin. Le Roi a trouvé plus beau de la donner cette année à toute l'Europe, que de prendre le reste de la Flandre; il la garde pour une autre fois. Êtes-vous à Chaseu, mon cher Cousin, dans cet aimable lieu ? J'en ai le paysage dans la tête, et je l'y conserverai soigneusement; mais encore plus l'aimable père et l'aimable fille, qui ont leur place dans mon coeur. Voilà bien des aimables. Mais ce sont des négligences dont je ne puis me corriger. J'espère que si mes lettres méritoient d'être lues deux fois, il se trouveroit quelque charitable personne qui les corrigeroit. Notre ami Corbinelli est allé trouver M. de Vardes, pour l'obliger de profiter de la permission que le Roi a donnée à M. de Rohan d'épouser sa fille. Ce mariage est agréable pour de Vardes, et d'autant plus qu'on

ne parle point de sa charge, qui sera vendue à quelque autre, selon la volonté du Roi.

Madame de Monaco est partie de ce monde avec une contrition fort équivoque, et fort confondue avec la douleur d'une cruelle maladie. Elle a été défigurée avant que de mourir. Son desséchement a été jusqu'à outrager la nature par le dérangement de tous les traits de son visage. Adieu, mon Cousin. Que dites-vous de la Princesse de Clèves? J'embrasse ma nièce: je l'aime et je la prie, et vous aussi, de m'aimer toujours.

LETTRE 543. "

Le Comte DE BUSSY à Mme. DE SEVIGNÉ, à Bussy, ce 18 Juin 1678.

ON me mande que Madame de Monaco vient de mourir, et que le Maréchal de Grammont son père n'a fait que plaisanter avec elle dans son agonie. Aimez-vous, ma chère Cousine, les plaisanteries qu'on fait aux mourans, ou que font les gens qui meurent? Pour moi, je ne les saurois souffrir. << Tirez le rideau, la farce est jouée: adieu » paniers, vendanges sont faites: il faut >> plier bagage ». Tout cela me fait mal au

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