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coeur; et quand je le pourrois souffrir à des indifférens, je le trouverois barbare à un père qui en use ainsi avec sa fille. Je ne sais s'il ne vous est point revenu que Madame Fouquet a été à Autun rendre visite à l'Evêque. Celui-ci, en galant homme, la traita comme si elle eût été encore Surintendante des Finances. Il alla au-devant d'elle avec six carrosses et deux cents chevaux de la ville, et j'y étois, j'en sais bien le compte

*

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La Dame fut fort aise de me voir, et me dit que Monsieur d'Autun faisoit trop d'honneur à une malheureuse comme elle. Je lui répondis qu'il partageoit cet honneur. Je ne sais si elle m'entendit. Je lui ai trouvé autant de fraîcheur qu'autrefois, quoiqu'elle ait dix-huit ans de plus.

On me mande que le Cardinal de Retz, que nous croyions ne revoir qu'au jour du jugement, est dans l'hôtel de Lesdiguières, au milieu de ce qu'il y a d'honnêtes gens en France. Expliquez-moi cela, Madame; car il me semble que ce retour fait tort à sa retraite. Je ne saurois vous dire combien la Vedova felice* et moi nous vous aimons; cela passe, non pas l'imagination, mais l'expression.

* Allusion à un vers de Marot. ** Madame de Coligny,

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LETTRE 544.

Madame De Sévigné au Comte DE

BUSSY.

à Paris, ce 27 Juin 1678.

Je crois que je vous écrivois dans le tems que vous me faisiez de très-justes reproches de ne vous écrire pas. Vous avez vu comme je m'en faisois à moi-même. Vous me flattez beaucoup en me disant que plus vous devenez délicat, et plus je vous suis nécessaire. Le moyen de n'être pas sensible à cette louange, si bien apprêtée? Je vous ai mandé de mes nouvelles, mon Cousin, et de celles de ma fille : elle a été assez mal; une saignée l'a remise. Plût à Dieu que la paix fût assez généralement établie dans tous les cœurs, pour faire revenir à la Cour tous ceux que je désire ! Vous seriez assurément le premier, et l'unique, s'il n'y en avoit qu'un, quoique vous ne soyez pas le plus malheureux. Vous avez une société chez vous, et un voisinage qui vous mettent à couvert de l'excès de l'ennui.

Madame de Monaco, en mourant, n'avoit aucun trait ni aucun reste qui pût faire souvenir d'elle: c'étoit une tête de mort gâtée

par une peau noire et sèche : c'étoit enfin une humiliation si grande pour elle, que, si Dieu a voulu qu'elle en ait fait son profit, il ne lui faut point d'autre pénitence. Elle a eu beaucoup de fermeté. Le Père Bourdaloue dit qu'il y avoit beaucoup de christianisme.

Vous savez que le Cardinal de Retz a voulu se démettre de son chapeau de Cardinal. Le Pape ne l'a pas voulu, et non-seulement s'est trouvé offensé qu'on veuille se défaire de cette dignité, quand on veut aller en Paradis; mais il lui a défendu de faire aucun séjour à Saint-Michel, à trois lieues de Commercy, qui est le lieu qu'il avoit choisi pour demeure, disant qu'il n'est pas permis. aux Cardinaux de faire aucune résidence dans d'autres Abbayes que les leurs. C'est la mode de Rome; et l'on ne se fait point Ermite al dispetto del Papa. Ainsi Commercy étant le lieu du monde le plus passant, il est venu demeurer à Saint-Denis, où il passe sa vie très-conformément à la retraite qu'il s'est imposée. Il a été quelque tems à l'hôtel de Lesdiguières: mais cette maison étoit devenue la sienne *. Ce n'étoit plus les amis du Duc qui y dînoient, c'étoit ceux du Cardinal. Il a vu très-peu de monde, * Madame de Lesdiguières étoit sa nièce.

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et il est, il y a plus de deux mois, à SaintDenis. Il a un procès qu'il fera juger, parce que, selon qu'il se tournera, ses dettes seront achevées d'être payées, ou non. Vous savez qu'il s'est acquitté de onze cent mille écus. Il n'a reçu cet exemple de personne, et personne ne le suivra. Enfin, il faut se fier à lui de soutenir sa gageure. Il est bien plus régulier qu'en Lorraine, et il est toujours très digne d'être honoré. Ceux qui veulent s'en dispenser, l'auroient aussi bien fait, quand il seroit demeuré à Commercy, qu'étant revenu à Saint-Denis *. Adieu, mon Cousin ; je suis fort aise que vous m'aimiez, l'aimable Veuve et vous. Si vous voyiez comment mon coeur est fait pour vous deux, vous ne me trouveriez pas ingrate.

* Madame de Sévigné, amie du Cardinal, ne disoit pas tout. Le Pape nouveau avoit fait œuvre d'ami en lui imposant cette retraite à la porte de Paris. Ou trouve dans une lettre de Bussy, ce petit article curieux. «On >> me mande que le Cardinal de Retz achève de faire sa » pénitence chez Madame de Bracciano (depuis la » célèbre Princesse des Ursins); cela étant, je ne dé>>sespère pas de voir l'Abbé de la Trappe revenir sou>> pirer pour quelque Dame de la Cour et si l'on va » en Paradis par le chemin que tient le Cardinal, » l'Abbé est bien sot de ne pas quitter celui qu'il a » pris pour y aller »,

LETTRE 545. "

Le Comte DE BUSSY à Mme. DE SÉVIgné.

à Bussy, ce 29 Juin 1678.

Si je savois aussi bien apprêter des louanges, Madame, je vous en donnerois souvent, parce que vous en méritez, et pour m'attirer les vôtres; j'en donnerois aussi quelquefois au Roi, parce qu'il en est digne.

Je suis bien aise que vous m'ayez éclairci de la conduite du Cardinal de Retz, qui de loin me paroissoit changée; car j'aime à l'estimer, et cela me fait croire qu'il soutiendra jusqu'au bout la beauté de sa re

traite.

Mais j'oubliois de vous dire que j'ai enfin lu la Princesse de Clèves avec un esprit d'équité, et point du tout prévenu du hien et du mal qu'on en a écrit. J'ai trouvé la première partie admirable : la seconde ne m'a pas paru de même. Dans le premier volume, hors quelques mots trop souvent répétés, qui sont pourtant en petit nombre, tout est agréable, tout est naturel. Dans le second, l'aveu de Madame de Clèves à son mari est extravagant, et ne se peut dire que dans une histoire véritable; mais quand on en

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