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DE

MADAME DE SÉVIGNÉ.

LETTRE 442.

Madame DE SÉVIGNE à Madame DE
GRIGNAN.

à Paris, vendredi 31 Juillet 1676.

Il est question d'une illumination; c'est demain à Versailles. Madame de la Fayette, Madame de Coulanges viennent de partir : je voudrois que vous y fussiez. Pour moi, après avoir vu les bonnes Villars, et cherché inutilement Mademoiselle de Méri, je suis revenue vous écrire; c'est tout ce qui peut me plaire en attendant mieux. Le bon Abbé même est à Livry; de sorte que c'est avec vous que je passe la soirée très-agréablement. Celles qui ont intérêt à tout ce qui se passe en Flandres et en Allemagne, sont un peu troublées. On attend tous les jours que M. de Luxembourg batte les ennemis; et vous savez ce qui arrive quelquefois. On a fait une sortie à Maestricht, où les ennemis ont eu plus de quatre cents hommes de

TOME V.

A

tués. Le siége d'Aire va son train. On a envoyé le Duc de Villeroi et beaucoup de cavalerie, dans l'armée du Maréchal d'Humières. Je crois que mon fils en est; mais quoiqu'il ne soit point paresseux de m'écrire,

je

ne sais comme cela se fait, je n'ai jamais de lettres comme les autres, et cela me met toujours en peine. Je retarde même quelques jours d'aller à Livry, pour voir de quelle façon tout ceci se démêlera. C'est M. de Louvois qui a fait avancer, de son autorité, l'armée de M. de Schomberg fort près d'Aire, et a mandé à Sa Majesté qu'il croyoit que le retardement d'un courrier auroit pu nuire aux affaires. Méditez sur ce texte.

Puisque je cause avec vous, il faut que je vous parle de Madame la Grand Duchesse et de Madame de Guise (1). Elles sont trèsmal ensemble, et ne se parlent point, quoiqu'elles soient toujours dans le même lieu. Madame la Grand'Duchesse est fort agréablement avec le Roi; elle a un logement à Versailles; elle y fait d'assez longs séjours; elle est à l'illumination, et bientôt sa prison sera la Cour, et l'attachement entier à sa noble famille. On a écrit à M. le Grand-Duc que cette retraite qu'on lui

(1) Ces deux Princesses étoient filles de Gaston de France, Duc d'Orléans, et de Marguerite de Lorraine.

avoit promise s'observoit mal; il a dit qu'il ne s'en soucioit point du tout ; qu'en remettant Madame sa femme entre les mains du Roi, il avoit ôté de son esprit tout le soin de sa conduite. Le Comte de Saint-Maurice me dit hier que M. le Grand-Duc, voyant un grand Seigneur de Savoie à sa Cour, il lui avoit dit avec un soupir: « Ah, >>Monsieur ! que vous êtes heureux d'avoir >> eu une Princesse de France, qui ne s'est >> point fait un martyre de régner dans votrè >> cœur »>!

On commence à murmurer je ne sais quoi de Théobon, comme si les duels étant défendus, les rencontres étoient permises : je vous dis cela extrêmement en l'air, comme il m'a été dit.Votre cousine d'Harcourt a pris l'habit à Montmartre; toute la Cour y étoit, tous ses beaux cheveux étoient épars-, et une couronne de fleurs sur sa tête, comme une jolie victime. On dit que cela faisoit pleurer tout le monde.

Vous êtes trop aimable de parler, comme vous faités, des Rabutins; je les désavouerois bien, s'ils ne vous honoroient pas autant qu'ils le doivent. M. d'Alby (1) est mort; il laisse des trésors au Duc de Lude.

(1) Gaspard de Daillou, oncle du Duc de Lude, dernier Évêque d'Alby.

Hélas! comme notre pauvre M. de Saintes a disposé tout saintement de son bien au prix de cet avare! Voilà de beaux bénefices à donner: Alby vaut vingt-cinq mille écus de rente; on en a fait un Archevêché : mais vous savez avant nous qu'il y en a encore un plus beau à donner, c'est le souverain Pontificat. M. de Rome (1) est enfin mort, comme dit M. de Noyon. J'attends d'Hacqueville pour savoir ce que fera notre bon Cardinal (de Retz); s'il part, il faut que vous fassiez toute chose pour avoir encore la joie de le voir en passant. Voilà M. de Marseille bien reculé le nouveau Pape fera la première promotion pour ses créatures, et puis pour les couronnes; et dans ces couronnes, il n'est pas sûr que la Pologne (2) en soit; c'est, selon le Pape; car quand on veut chicaner, on dit qu'elle n'a que la sollicitation, et point du tout le droit de nommer, comme la France et l'Espagne; et quand elle nommeroit, qui pourroit dire que ce sera toujours M. de Marseille ? enfin, c'est bien

(1) Clément X, mort le 2 Juillet. On voit bien que la morgue ridicule de l'Évêque de Noyou prétendoit ne parler du Pape que comme d'un égal. Voyez ce qui en a été dit au premier tome, page 190.

(2) M. de Marseille avoit la nomination du Roi de Pologne.

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