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tiroient sans cesse pour se rendre maîtres de la batterie que mon fils soutenoit? M. de Luxembourg lui dit que c'étoit les Gendarmes-Dauphins, et que M. de Sévigné, qu'il lui montra là présent, étoit à leur tête. Vous comprenez tout ce qui lui fut dit d'agréable, et combien, en pareille rencontre, on sé trouve payé de sa patience. Il est vrai qu'elle fut grande; il eut quarante de ses Gendarmes tués derrière lui. Je ne comprends pas comment on peut revenir de ces occasions si chaudes et si longues, où l'on n'a qu'une immutabilité qui nous fait voir la mort mille fois plus horrible que quand on est dans l'action, et qu'on s'occupe à battre et à se défendre.

Voilà l'aventure de mon pauvre fils; et c'est ainsi que l'on en usa le propre jour que la paix commença. C'est comme cela qu'on pourroit dire de lui plus justement qu'on ne disoit de Dangeau : Si la paix dure dix ans il sera Maréchal de France.

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LETTRE

LETTRE 549 ".

Monsieur DE CORBINELLI au Comte DE BUSSY.

ΑΙ

à Livry, ce 10 Septembre 1678.

J'AI lu vos réflexions sur la Princesse de Clèves, Monsieur. Je les ai trouvées excellentes, et pleines de bon sens. Je les ai d'autant plus aimées, qu'elles ont rencontré le goût de tous les vrais honnêtes gens de ce pays-ci.

J'ai fait dessein d'un voyage en Bourgogne par la seule envie de vous rendre une visite à Chaseu, car c'est là, ce me semble, où vous passez vos hivers; et j'aurois un fort grand plaisir de parler avec vous des affaires de ce pays-ci. Mon Dieu ! les belles choses que nous dirons du Roi ! Je sais le goût que vous avez pour sa gloire, et la manière dont je conçois que vous la pourriez apprendre à la postérité. Ah que nous ferions bien des fragmens, si on nous confioit cet opéra.

Madame DE GRIGNAN.

Je voudrois bien être dans le Chorus. Il me semble que je mêlerois volontiers ma voix à la vôtre. Mais après avoir loué le TOME V.

L 1

Monarque, ne dirons-nous rien de ses Capitaines ? Vous avez vu gagner des batailles pendant la guerre : mais M. de Luxembourg fait plus, il en gagne pendant la paix *. Vous savez toutes les histoires; mais vous n'y avez jamais vu de pareils événemens. Plût à Dieu que vous prissiez le soin de les écrire ! Votre style y seroit bien convenable. J'ai vu des gens fort contens de quelques-uns de vos ouvrages. Si je retourne jamais à Bussy, je vous demanderai pour marque de votre amitié de me les montrer. Savez-vous bien, Monsieur, qui est cette personne qui se promet votre amitié ? Vous comprenez bien qu'elle en doit avoir pour vous; autrement elle seroit fort injuste: mais je ne la suis point; car je vous estime et je vous aime fort. J'embrasse de tout mon coeur Madame de Coligny; c'est une aimable et une estimable personne.

* Le Prince d'Orange, après la signature de la paix, attaqua le Maréchal de Luxembourg, qui, quoique surpris, se soutint avec gloire. L'affaire fut sanglante. Le Prince vouloit, dit-on, rompre le traité. Il s'excusa sur ce que la nouvelle ne lui en étoit pas venue officiellement. « C'est (écrivoit Bussy) une espèce d'assas» sinat qui mériteroit qu'on en informât ».

....

Madame DE SÉVIGNÉ.

Est-il besoin de vous dire que c'est la belle Madelonne qui a pris notre plume pour vous dire ces mots ? Nous sommes encore ici avec notre cher ami. En vérité nous y pensons fort souvent à vous; et quand on vous connoît, et qu'on vous aime comme nous faisons, on ne peut jamais oublier votre sorte d'esprit. Je vous recommande l'un à l'autre, Monsieur le Comte et Madame de Coligny. Parlez souvent ensemble, afin de ne point oublier votre langue, c'est ce qui vous a si bien préservés jusqu'ici de la moisissure qui arrive quasi toujours en Province: tant que vous serez ensemble, vous en serez fort exempts.

Au reste, Monsieur de Lameth a gagné son procès. Il a permission de prouver qu'il est cocu mais sa femme prétend se justifier, et faire voir clair comme le jour qu'il est impuissant. Monsieur de Montespan parut à l'Audience pour soutenir Monsieur d'Albret. On y attendoit encore Monsieur de Courcelles*, mais il n'y vint pas, parce qu'il mourut ce jour-là d'une maladie dont sa femme se porte encore bien.

* Voyez, sur Mme. de Courcelles, tome I, p. 163, et II, 345.

LETTRE 550.

Madame DE SÉVIGNÉ au Comte DE
BUSSY.

à Paris, ce 12 Octobre 1678.

J'AI reçu deux de vos lettres, mon Cousin. Dans l'une vous me contez votre vie, et de quelle manière vous vous divertissez. Je trouve que vous avez une très-bonne compagnie, et que vous faites un très-bon usage de tout ce qui peut contribuer à vous faire une société douce; et si nous étions dans un règne moins juste que celui-ci, on pourroit bien vous changer un exil que vous rendez trop agréable, comme on fit à un Romain. On apprit qu'il passoit la plus douce vie du monde dans une île où il étoit exilé, on le rappela à Rome, et on le condamna à y vivre avec sa femme. Je suis charmée que vous me promettiez de m'aimer, ma nièce de Coligny et vous. Je suis ravie de vous plaire, et d'être estimée de vous deux. Nous nous mîmes l'autre jour à parler d'elle, ma fille, M. de Corbinelli et moi; en vérité, elle fut célébrée dignement; et l'un des plus beaux endroits que nous trouvassions en elle, fut la tendresse et l'attachement qu'elle

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