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cun doute dans l'esprit de tous les hommes politiques qui aiment et estiment dans la Russie une nation vigoureuse et pleine d'un légitime avenir.

Le Journal de Saint-Pétersbourg du 8 (20) janvier reconnut en toute franchise que des vœux unanimes s'étaient manifestés en faveur d'une prompte pacification; que l'Europe s'était impérieusement prononcée contre la guerre. La Russie avait dû tenir compte de ce mouvement d'opinion; mais elle ne se dissimulait pas en même temps qu'elle se trouvait en face d'une coalition qui tendait à prendre des proportions redoutables, et elle avouait qu'elle avait pesé les sacrifices que lui eût imposés la prolongation de la guerre.

La paix du monde et la fortune future de la Russie étaient assurées par cet honorable langage.

TROISIÈME PARTIE

FRANCE

CHAPITRE Ir

SITUATION INTÉRIEURE, SESSION LEGISLATIVE

Situation morale et matérielle : état militaire, développement des forces de terre, la garde impériale; état maritime, création et développement des ressources, la flotte. Les corps politiques, rôle du Sénat. La presse. — L'opinion; attentats contre la vie de l'Empereur, échauffourée socialiste à Angers, la Marianne. Session législative.

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L'année 1855 a vu la France soutenir à la fois l'effort d'une guerre sérieuse et présider aux luttes pacifiques de l'industrie, des beaux-arts et de l'agriculture. Rudement éprouvé par les sacrifices énormes nécessités par la guerre, notre pays a eu à supporter en même temps les conséquences d'une récolte insuffisante s'ajoutant à plusieurs années de cherté. Et cependant il a pu reprendre sa place à la tête de la politique européenne, et sa production a été à peine atteinte par tant d'influences fâcheuses.

Nous avons dit la part prise par la France dans la politique orientale, et l'histoire de la guerre d'Orient a été, à vrai dire, l'histoire de l'empire français. On a vu notre pays rentrer de plus en plus dans les grandes traditions de la diplomatie; s'unir par une alliance intime avec l'Angleterre, mais, cette fois, dans des conditions d'égalité honorable; patroner dans le monde les faibles et les opprimés, rallier sous son drapeau les puissances de second ordre, et intervenir comme médiateur prépondérant, comme protecteur désintéressé dans leurs démêlés avec les grandes puissances.

Il nous reste à examiner rapidement les conditions de sa vie intérieure.

La guerre d'Orient a nécessairement développé l'état militaire de la France dans des proportions inusitées. Le 24 janvier, une loi appelait 140,000 hommes sur la classe de 1854. Le 10 juillet, une autre loi portait qu'il serait fait, en 1856, un appel de 140,000 hommes sur la classe de 1855.

En même temps l'Empereur donnait aux armes spéciales, aux corps d'élite une extension toute nouvelle, une importance qui rappelait les traditions du premier empire.

Par un décret en date du 4 mai 1854, l'Empereur avait décidé qu'un corps d'élite et de réserve serait organisé et prendrait le titre de garde impériale. Le rapport adressé à Sa Majesté par son excellence le maréchal Vaillant (1er mai 1854) renfermait à ce sujet les considérations suivantes :

« L'importance des réserves sur le champ de bataille a été consacrée par les guerres de tous les temps, et je n'ai pas à la faire ressortir ici. C'est aux corps qui ont été appelés à jouer ce rôle dans nos armées que se rapportent les pages les plus glorieuses de notre histoire militaire. Elle montre que, lorsque ces corps n'existaient pas, nos généraux y suppléaient par des réserves du moment, empruntées à l'élite des troupes sous leurs ordres, qu'ils désorganisaient ainsi partiellement. Mais ces réserves manquaient d'homogénéité et d'ensemble; elles n'étaient pas animées par le vif sentiment d'émulation et d'entrain que donne une supériorité anciennement acquise, sentiment qui se développe si rapidement chez nos soldats sous le nom d'esprit

de corps, et auquel les régiments empruntent une valeur et une solidité particulières. »

La nouvelle garde impériale avait formé d'abord une division mixte de deux brigades d'infanterie (deux régiments de grenadiers, deux régiments de voltigeurs, un bataillon de chasseurs à pied) et d'une brigade de cavalerie (un régiment de cuirassiers, un régiment de guides); un régiment de gendarmerie (deux bataillons), un régiment d'artillerie à cheval de cinq batteries avec un cadre de dépôt, et enfin une compagnie du génie, tel était l'ensemble des divers corps dont se composait la nouvelle garde impériale.

Le service intérieur des palais impériaux avait été réservé à un escadron de cavalerie d'élite, qui portait la dénomination d'escadron des cent-gardes à cheval.

La guerre d'Orient réclamait la présence de ce corps d'élite; l'Empereur donna à sa nouvelle garde le baptême de gloire qui devait lui mériter un nom si difficile à porter.

A la revue d'adieu, passée le 20 mars, des différents corps envoyés en Orient, Sa Majesté dit, en remettant leurs aigles à ces troupes qui allaient porter si loin et si haut l'honneur de la France:

« Soldats!

» L'armée est la véritable noblesse de notre pays; elle conserve intactes d'âge en âge les traditions de gloire et d'honneur national. Aussi votre arbre généalogique, le voici ( en montrant les drapeaux). Il marque à chaque génération une nouvelle victoire. Prenez donc ces drapeaux ; je les confie à votre honneur, à votre courage, à votre patriotisme. »

On sait si ce dépôt fut bien gardé.

Depuis la fin d'avril 1855, époque de son arrivée en Crimée, jusqu'à la chute de Sévastopol, la division de la garde impériale prit une part glorieuse à tous les combats qui se livrèrent sous les murs de la place.

Le 2 mai, à la défense de nos tranchées attaquées par une formidable sortie de la garnison; le 22 mai, à la prise du cime

tière; le 7 juin, au Mamelon-Vert; le 18 juin, à l'attaque de Malakof; enfin, dans la mémorable journée du 8 septembre, la garde impériale sut se montrer digne, à force d'héroïsme, du rang que la confiance de l'Empereur lui avait marqué d'avance dans l'armée. Le chiffre de ses pertes attesta le rôle qu'elle avait joué. Elle avait eu 140 officiers et 2,471 sous-officiers et soldats tués ou blessés.

A la suite de cette glorieuse expérience, un décret, en date du 20 décembre, réorganisa la garde impériale sur des bases plus larges, et en fit une réserve en rapport avec la force effective des régiments de ligne (1).

Aux termes du nouveau décret, la garde serait composée de deux divisions d'infanterie, d'une division de cavalerie, de deux régiments d'artillerie, de deux compagnies du génie et d'un escadron du train des équipages.

Les nouveaux corps à créer par suite de cette mesure étaient, pour l'infanterie, un régiment de grenadiers et deux régiments de voltigeurs, qui seraient organisés en Orient et resteraient provisoirement à l'armée expéditionnaire.

La cavalerie de la garde ne se composait jusqu'à présent que d'un régiment de cuirassiers et d'un régiment de guides. Les nouveaux corps à créer pour former la division de cavalerie étaient un régiment de cuirassiers, un régiment de dragons, un régiment de lanciers et un régiment de chasseurs, en tout quatre nouveaux régiments.

Pour ne pas affaiblir la cavalerie de ligne, dans laquelle devraient se recruter les quatre nouveaux régiments, le décret portait que leur organisation n'aurait pas lieu immédiatement.

C'est à la tête de cette admirable armée que l'Empereur voulait conduire en personne la guerre d'Orient. Des considérations politiques de la plus haute importance empêchèrent la réalisation de ce projet.

(1) Dans les dernières guerres de l'Empire, la garde formait deux corps d'armée, comprenant ensemble près de 100,000 hommes; sous la Restauration, et en pleine paix, la garde se composait de quatre divisions, deux d'infanterie et deux de cavalerie, d'un effectif de 35 à 40,000 hommes.

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