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CHAPITRE X III.

Des lois civiles chez les peuples qui ne cultivent point les terres.

C'EST le partage des terres qui grossit princi

palement le code civil. Chez les nations où l'on n'aura pas fait ce partage, il y aura très-peu de lois civiles.

On peut appeler les institutions de ces peuples des mœurs plutôt que des lois.

Chez de pareilles nations, les vieillards qui se souviennent des choses passées, ont une grande autorité; on n'y peut être distingué par les biens, mais par la main et par les conseils.

Ces peuples errent et se dispersent dans les pâturages ou dans les forêts. Le mariage n'y sera pas aussi assuré que parmi nous, où il est fixé par la demeure, et où la femme tient à une maison; ils peuvent donc plus aisément changer de femmes, en avoir plusieurs, et quelque fois se mêler indifféremment comme les bêtes.

Les peuples pasteurs ne peuvent se séparer de leurs troupeaux qui font leur subsistance; ils ne sauroient non plus se séparer de leurs femmes qui en font soin. Tout cela doit donc marcher ensemble; d'autant plus que, vivant ordinairement dans de grandes plaines où il y a peu de lieux forts d'assiette, leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux, deviendroient la proie de leurs

ennemis.

Leurs lois régleront le partage du butin, et auront, comme nos lois saliques, une attention particulière sur les vols.

CHAPITRE XIV.

De l'état politique des peuples qui ne cultivent point les terres.

CEs peuples jouissent d'une grande liberté;

car, comme ils ne cultivent point les terres, ils n'y sont point attachés; ils sont errants, vagabonds; et si un chef vouloit leur ôter leur liberté, ils l'iroient d'abord chercher chez un autre, ou se retireroient dans les bois pour y vivre avec leur famille. Chez ces peuples la liberté de l'homme est si grande, qu'elle entraîne nécessairement la liberté du citoyen.

CHAPITRE

X V.

Des peuples qui connoissent l'usage de la

monnoie.

ARISTIPPE, ayant fait naufrage, nagea et

aborda au rivage prochain; il vit qu'on avoit tracé sur le sable des figures de géométrie : il se sentit ému de joie, jugeant qu'il étoit arrivé chez un peuple grec, et non pas chez un peuple barbare.

Soyez seul, et arrivez par quelque accident chez un peuple inconnu ; si vous voyez une pièce

de monnoie, comptez que vous êtes arrivé chez une nation policée..

La culture des terres demande l'usage de la monnoie. Cette culture suppose beaucoup d'arts et de connoissances; et l'on voit toujours marcher d'un pas égal les arts, les connoissances, et les besoins. Tous cela conduit à l'établissement d'un signe de valeurs.

Les torrents et les incendies nous ont fait découvrir que les terres contenoient des métaux. Quand ils en ont été une fois séparés, il a été aisé de les employer.

CHAPITRE X V I.

Des lois civiles chez les peuples qui ne connoissent point l'usage de la monnoie.

QUAND un peuple n'a pas l'usage de la mon

noie, on ne connoît guère chez lui que les injustices qui viennent de la violence; et les gens foibles, en s'unissant, se défendent contre la violence. Il n'y a guère là a guère là que des arrangements politiques. Mais chez un peuple où la monnoie est établie, on est sujet aux injustices qui viennent de la ruse; et ces injustices peuvent être exercées de mille façons. On y est donc forcé d'avoir de bonnes lois civiles; elles naissent avec les nouveaux moyens et les diverses manières d'être méchant.

a C'est ainsi que Diodore nous dit que les bergers trouvèrent l'or des Pyrénées.

Dans les pays où il n'y a point de monnoie, le ravisseur n'enlève que des choses, et les choses ne se ressemblent jamais. Dans les pays où il y a de la monnoie, le ravisseur enlève des signes, et les signes se ressemblent toujours. Dans les premiers pays, rien ne peut être caché, parce que le ravisseur porte toujours avec lui des preuves de sa conviction: cela n'est pas de même dans les au

tres.

CHAPITRE X VI I.

Des lois politiques chez les peuples qui n'ont point l'usage de la monnoie.

CE qui assure le plus la liberté des peuples

qui ne cultivent point les terres, c'est que la monnoie leur est inconnue. Les fruits de la chasse, de la pêche ou des troupeaux, ne peuvent s'assembler en assez grande quantité, ni se garder assez, pour qu'un homme se trouve en état de corrompre tous les autres; au lieu que, lorsque l'on a des signes de richesses, on peut faire un amas de ces signes, et les distribuer à qui l'on veut.

Chez les peuples qui n'ont point de monnoie, chacun a peu de besoins, et les satisfait aisément et également. L'égalité est donc forcée; aussi leurs chefs ne sont-ils point despotiques.

CHAPITRE XVIII.

Force de la superstition..

Si ce que les relations nous disent est vrai, la

:

constitution d'un peuple de la Louisiane, nommé les Natchés, déroge à ceci. Leur chefa dispose des biens de tous ses sujets, et les fait travailler à sa fantaisie ils ne peuvent lui refuser leur tête; il est comme le grand-seigneur. Lorsque l'héritier présomptif vient à naître, on lui donne tous les enfants à la mamelle, pour le servir pendant sa vie. Vous diriez que c'est le grand Sésostris. Ce chef est trai-. té dans sa cabane avec les cérémonies qu'on feroit à un empereur du Japon ou de la Chine.

Les préjugés de la superstition sont supérieurs à tous les autres préjugés, et ses raisons à toutes les autres raisons. Ainsi, quoique les peuples sauvages ne connoissent point naturellement le despotisme, ce peuple-ci le connoît. Ils adorent le soleil ; et si leur chef n'avoit pas imaginé qu'il étoit le frère du soleil, ils n'auroient trouvé en lui qu'un misérable comme eux.

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CHAPITRE X I X.

De la liberté des Arabes, et de la servitude des

Tartares.

LE s Arabes et les Tartares sont des peuples pas

teurs. Les Arabes se trouvent dans les cas généraux dont nous avons parlé, et sont libres; au lieu que

a Lettres édifiantes, vingtième recueil.

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