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d'honneur, il ne faudroit point chercher à gêner par des lois ses manières, pour ne point gêner ses vertus. Si en général le caractère est bon qu'importe de quelques défauts qui s'y trouvent?

On y pourroit contenir les femmes, faire des lois pour corriger leurs moeurs, et borner leur luxe mais qui sait si on n'y perdroit pas un certain goût qui seroit la source des richesses de la nation, et une politesse qui attire chez elle les étrangers?

C'est au législateur à suivre l'esprit de la nation lorsqu'il n'est pas contraire aux principes du gouvernement; car nous ne faisons rien de mieux que ce que nous faisons librement et en suivant notre génie naturel.

Qu'on donne un esprit de pédanterie à une nation naturellement gaie, l'état n'y gagnera rien ni pour le dedans ni pour le dehors. Laissez-lui faire les choses frivoles sérieusement, et gaiment les choses sérieuses. ~

QU'ON

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Qu'il ne faut pas tout corriger.

U'ON nous laisse comme nous sommes, disoit un gentilhomme d'une nation qui ressemble beaucoup à celle dont nous venons de donner une idée. La nature répare tout: elle nous a donné une vivacité capable d'offenser, et propre à nous faire manquer à tous les égards; cette

même vivacité est corrigée par la politesse qu'elle nous procure, en nous inspirant du goût pour le monde, et surtout pour le commerce des femmes.

Qu'on nous laisse tels que nous sommes. Nos qualités indiscrettes, jointes à notre peu de malice, font que les lois qui gêneroient l'humeur sociable parmi nous, ne seroient point convenables.

LIES

CHAPITRE

XII.

Des Athéniens et des Lacédémoniens.

ES Athéniens, continuoit ce gentilhomme, étoient un peuple qui avoit quelque rapport avec le nôtre; il mettoit de la gaieté dans les affaires; un trait de raillerie lui plaisoit sur la tribune comme sur le théâtre. Cette vivacité qu'il mettoit dans les conseils, il la portoit dans l'exécution. Le caractère des Lacédémoniens étoit grave, sérieux, sec, taciturne. On n'auroit pas plus tiré parti d'un Athénien en l'ennuyant que d'un Lacédémonien en le divertissant.

CHAPITRE VI I I.

Effets de l'humeur sociable.

PLUS les peuples se communiquent, plus ils

changent aisément de manières, parce que chacun

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est plus un spectacle pour un autre ; on voit mieux les singularités des individus. Le climat qui fait qu'une nation aime à se communiquer, fait aussi qu'elle aime à changer; et ce qui fait qu'une nation aime à changer, fait aussi qu'elle se forme le goût.

La société des femmes gâte les moeurs, et forme le goût l'envie de plaire plus que les autres, établit les parures; et l'envie de plaire plus que soi-même établit les modes. Les modes sont un objét important: à force de se rendre l'esprit frivole, on augmente sans cesse les branches de son

commerce a.

CHAPITRE IX.

De la vanité et de l'orgueil des nations.

La vanité est un aussi bon ressort pour le gou

A

vernement que l'orgueil en est un dangereux. Il n'y a pour cela qu'à se représenter d'un côté les biens sans nombre qui résultent de la vanité; de-là le luxe, l'industrie, les arts, les modes, la politesse, le goût et d'un autre côté les maux infinis qui naissent de l'orgueil de certaines nations; la paresse, la pauvreté, l'abandon de tout, la destruction des nations que le hasard a fait tomber entre leurs mains, et la leur même. La

a Voyez la fable des abeilles.

paresse a est l'effet de l'orgueil; le travail est une suite de la vanité l'orgueil d'un Espagnol le portera à ne pas travailler; la vanité d'un Français le portera à savoir travailler mieux que les

autres.

Toute nation paresseuse est grave; car ceux qui ne travaillent pas se regardent comme souverains de ceux qui travaillent.

Examinez toutes les nations, et vous verrez que dans la plupart la gravité, l'orgueil et la paresse, marchent du même pas.

Les peuples d'Achim ↳ sont fiers et paresseux: ceux qui n'ont point d'esclaves en louent un, ne fût-ce que pour faire cent pas, et porter deux pintes de riz; ils se croiroient déshonorés, s'ils les portoient eux-mêmes.

Il y a plusieurs endroits de la terre où l'on se laisse croître les ongles, pour marquer que l'on ne travaille point.

Les femmes des Indes croient qu'il est honteux pour elles d'apprendre à lire; c'est l'affaire, disent-elles, des esclaves qui chantent des cantiques dans les pagodes. Dans une caste, elles ne

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a Les peuples qui suivent le kan de Malacambar, ceux de Carnataca et de Coromandel, sont des peuples orgueilleux et paresseux; ils consomment peu, parce qu'ils sont misérables; au lieu que les Mogols et les peuples de l'Indoustan s'occupent et jouissent des commodités de la vie comme les Européens. Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome I, page

b Voyez Dampierre, tome III.

c Lettres édif., douzième recueil, page 80.

filent point; dans une autre, elles ne font que des paniers et des nattes, elles ne doivent pas même piler le riz; dans d'autres, il ne faut pas qu'elles aillent quérir de l'eau. L'orgueil y a établi ses règles, et il les fait suivre. Il n'est pas nécessaire de dire que les qualités morales ont des effets différents, selon qu'elles sont unies à d'autres: ainsi l'orgueil, joint à une vaste ambition, à la grandeur des idées, produisit chez les Romains les effets que l'on sait.

CHAPITRE X.

Du caractère des Espagnols, et de celui des Chinois.

LES

ES divers caractères des nations sont mêlés de vertus et de vices, de bonnes et de mauvaises qualités. Les heureux mélanges sont ceux dont il résulte de grands biens, et souvent on ne les soupçonneroit pas; il y en a dont il résulte de grands maux, et qu'on ne soupçonneroit pas non plus.

La bonne foi des Espagnols a été fameuse dans tous les temps. Justin a nous parle de leur fidélité à garder les dépôts: ils ont souvent souffert la mort pour les tenir secrets. Cette fidélité qu'ils avoient autrefois, ils l'ont encore aujourd'hui. Toutes les nations qui commercent à Cadix confient leur fortune aux Espagnols: elles ne s'en

a Liv. XLIII.

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