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arbitraire. Le gouvernement absolu produit l'oisivetė; et l'oisiveté fait naître la politesse.

Plus il y a de gens dans une nation qui ont besoin d'avoir des ménagements entre eux et de ne pas déplaire, plus il y a de politesse. Mais c'est plus la politesse des moeurs que celle des manières, qui doit nous distinguer des peuples barbares.

Dans une nation où tout homme, à sa manière, prendroit part à l'administration de l'état, les femmes ne devroient guère vivre avec les hommes. Elles seroient donc modestes, c'est-à-dire, timides; cette timidité feroit leur vertu tandis que les hommes, sans galanterie, se jetteroient dans une débauche qui leur laisseroit toute leur liberté et leur loisir.

Les lois n'y étant pas faites pour un particulier plus que pour un autre, chacun se regarderoit comme monarque; et les hommes dans cette nation seroient plutôt des confédérés que des concitoyens.

Si le climat avoit donné à bien des gens un esprit inquiet et des vues étendues, dans un pays où la constitution donneroit à tout le monde une part au gouvernement et des intérêts politiques, on parleroit beaucoup de politique; on verroit des gens qui passeroient leur vie à calculer des événements qui, vu la nature des choses et le caprice de la fortune, c'est-à-dire des hommes, ne sont guère soumis au calcul.

Dans une nation libre, il est très-souvent indifférent que les particuliers raisonnent bien ou mal; il suffit qu'ils raisonnent: de-là sort la lìberté qui garantit des effets de ces mêmes rai

sonnements.

De même, dans un gouvernement despotique, il est également pernicieux qu'on raisonne bien ou mal; il suffit qu'on raisonne, pour que le principe du gouvernement soit choqué.

Bien des gens qui ne se soucieroient de plaire à personne, s'abandonneroient à leur humeur: la plupart, avec de l'esprit, seroient tourmentés par leur esprit même : dans le dédain ou le dégoût de toutes choses, ils seroient malheureux avec tant de sujets de ne l'être pas.

Aucun citoyen ne craignant aucun citoyen, cette nation seroit fière; car la fierté des rois n'est fondée que sur leur indépendance.

Les nations libres sont superbes; les autres peuvent plus aisément être vaines.

Mais ces hommes si fiers, vivant beaucoup avec eux-mêmes, se trouveroient souvent au milieu de gens inconnus; ils seroient timides, et l'on verroit en eux la plupart du temps un mélange bizarre de mauvaise honte et de fierté.

Le caractère de la nation paroîtroit sur-tout dans leurs ouvrages d'esprit, dans lesquels on verroit des gens recueillis, et qui auroient pensé tout seuls,

La société nous apprend à sentir les ridicules: la retraite nous rend plus propres à sentir les vices.

Leurs écrits satyriques seroient sanglants; et l'on verroit bien des Juvénals chez eux, avant d'avoir trouvé un Horace.

Dans les monarchies extrêmement absolues, les historiens trahissent la vérité, parce qu'ils n'ont pas la liberté de la dire: dans les états extrêmement libres, ils trahissent la vérité, à cause de leur vérité même, qui, produisant toujours des divisions, fait que chacun devient aussi esclave des préjugés de sa faction qu'il le seroit d'un despote.

Leurs poëtes auroient plus souvent cette rudesse originale de l'invention qu'une certaine délicatesse que donne le goût: on y trouveroit quelque chose qui approcheroit plus de la force de Michel Ange que de la grace de Raphaël.

LIVRE X X.

Des lois, dans le rapport qu'elles ont avec le commerce considéré dans sa nature et ses distinctions.

Docuit quæ maximus Atlas.

VIRGIL. Ene id

CHAPITRE PREMIER.

Du commerce.

Les matières qui suivent demanderoient d'être

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traitées avec plus d'étendue; mais la nature de cet ouvrage ne le permet pas. Je voudrois couler sur une rivière tranquille, je suis entraîné par

un torrent.

Le commerce guérit des préjugés destructeurs; et c'est presque une règle générale, que par-tout où il y a des moeurs douces il y a du commerce, et que par-tout où il y a du commerce il y moeurs douces.

a

des

Qu'on ne s'étonne donc point si nos moeurs sont moins féroces qu'elles né l'étoient autrefois. Le commerce a fait que la connoissance des moeurs de toutes les nations a pénétré par-tout: on les a comparées entre elles, et il en a résulté de grands biens.

On peut dire que les lois du commerce perfectionnent les moeurs, par la même raison que ces mêmes lois perdent les moeurs. Le commerce corrompt les moeurs puresa; c'étoit le sujet des plaintes de Platon: il polit et adoucit les moeurs des barbares, comme nous le voyons tous les jours.

L'EFFET

CHAPITRE II.

De l'esprit du commerce.

à

'EFFET naturel du commerce est de porter la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes: si l'une a intérêt d'acheter, l'autre a intérêt de vendre ; et toutes les unións sont fondées sur des besoins mutuels.

Mais si l'esprit de commerce unit les nations, il n'unit pas de même les particuliers. Nous voyons que, dans les pays où l'on n'est affecté que de l'esprit de commerce, on trafique de

:

toutes les actions humaines et de toutes les vertus morales les plus petites choses, celles que l'humanité demande, s'y font ou s'y donnent pour de l'argent.

a César dit des Gaulois, que le voisinage et le commerce de Marseille les avoit gâtés de façon qu'eux, qui autrefois avoient toujours vaincu les Germains, leur étoient devenus inférieurs. Guerre des Gaules, liv. VI.

b La Hollande.

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