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HAPITRE VI.

Quelques effets d'une grande navigation.

It arrive quelquefois qu'une nation qui fait le

commerce d'économie, ayant besoin d'une marchandise d'un pays qui lui serve de fonds pour se procurer les marchandises d'un autre, se contente de gagner très-peu, et quelquefois rien sur les unes, dans l'espérance ou la certitude de gagner beaucoup sur les autres. Ainsi, lorsque la Hollande faisoit presque seule le commerce du midi au nord de l'Europe, les vins de France qu'elle portoit au nord ne lui servoient en quelque manière que de fonds pour faire son commerce dans

le nord.

On sait que souvent en Hollande de certains genres de marchandise venue de loin ne s'y vendent pas plus cher qu'ils n'ont coûté sur les lieux mêmes. Voici la raison qu'on en donne. Un capitaine qui a besoin de lester son vaisseau prendra du marbre; il a besoin de bois pour l'arrimage, il en achetera, et, pourvu qu'il n'y perde rien, il croira avoir beaucoup fait. C'est ainsi que la Hollande à aussi ses carrières et ses forêts.

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Non seulement un commerce qui ne donne rien peut être utile; un commerce même désavantageux peut l'être. J'ai ouï dire en Hollande que la pêche de la baleine en général ne rend

presque jamais ce qu'elle coûte; mais ceux qui ont été employés à la construction du vaisseau, ceux qui ont fourni les agrès, les apparaux, les vivres, sont aussi ceux qui prennent le principal intérêt à cette pêche. Perdissent-ils sur la pêche, ils ont gagné sur les fournitures. Ce com

merce est une espèce de loterie, et chacun est séduit par l'espérance d'un billet noir. Tout le monde aime à jouer; et les gens les plus sages jouent volontiers, lorsqu'ils ne voient point les apparences du jeu, ses égarements, ses violences, ses dissipations, la perte du temps, et même de toute la vie.

CHAPITRE VII.

Esprit de l'Angleterre sur le commerce.

L'ANGLETERRE n'a guère de tarif réglé avec les

autres nations; son tarif change, pour ainsi dire, à chaque parlement, par les droits particuliers qu'elle ôte, ou qu'elle impose. Elle a voulu encore conserver sur cela son indépendance: souverainement jalouse du commerce qu'on fait chez elle, elle se lie peu par des traités, et ne dépend que de ses lois.

D'autres nations ont fait céder des intérêts de commerce à des intérêts politiques; celle-ci a toujours fait céder ses intérêts politiques aux intérêts de son commerce.

C'est le peuple du monde qui a le mieux su se prévaloir à la fois de ces trois grandes choses, la religion, le commerce et la liberté.

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Comment on a gêné quelquefois le commerce d'économie.

On a fait dans de certaines monarchies des

lois très-propres à abaisser les états qui font le commerce d'économie. On leur a défendu d'apporter d'autres marchandises que celles du crû de leur pays; on ne leur a permis de venir trafiquer qu'avec des navires de la fabrique du pays où ils viennent.

Il faut que l'état qui impose ces lois puisse aisément faire lui-même le commerce : sans cela il se fera pour le moins un tort égal. Il vaut mieux avoir affaire à une nation qui exige peu, et que les besoins du commerce rendent en quelque façon dépendante; à une nation qui, par l'étendue de ses vues ou de ses affaires, sait où placer toutes les marchandises superflues; qui est riche, et peut se charger de beaucoup de denrées; qui les paiera promptement; qui a, pour ainsi dire, des nécessités d'être fidèle; qui est pacifique par principe; qui cherche à gagner, et non pas à conquérir: il vaut mieux, dis-je, avoir affaire à cette nation qu'à d'autres toujours rivales, et qui ne donneroient pas tous ces avantages.

CHA

CHAPITRE I X.

De l'exclusion en fait de commerce.

LA vraie maxime est de n'exclure aucune na

tion de son commerce, sans de grandes raisons. Les Japonais ne commercent qu'avec deux® nations, la chinoise et la hollandaise. Les Chinois a gagnent mille pour cent sur le sucre, et quelquefois autant sur les retours: les Hollandois. font des profits à-peu-près pareils. Toute nation qui se conduira sur les maximes japonaises sera nécessairement trompée: c'est la concurrence qui met un prix juste aux marchandises, et qui établit les vrais rapports entre elles.

Encore moins un état doit-il s'assujettir à ne vendre ses marchandises qu'à une seule nation, sous prétexte qu'elle les prendra toujours à un certain prix. Les Polonais ont fait pour leur bled ce marché avec la ville de Dantzick; plusieurs rois des Indes ont de pareils contracts pour les épiceries avec les Hollandais. Ces conventions ne sont propres qu'à une nation pauvre, qui veut bien perdre l'espérance de s'enrichir, pourvu qu'elle ait une subsistance assurée, ou à des nations dont la servitude consiste à renoncer à l'usage des choses que

a

Le P. du Halde, tome II, page 170.

↳ Cela fut premièrement établi par les Portugais. Voyages de François Pirard, chap. XV, part. II.

la nature leur avoit données, ou à faire sur ces choses un commerce désavantageux.

CHAPITRE X.

Etablissement propre au commerce d'économie.

DANS les états qui font le commerce d'écono

mie, on a heureusemeut établi des banques, qui, par leur crédit, ont formé de nouveaux signes des valeurs. Mais on auroit tort de les transporter dans les états qui font le commerce du luxe les mettre dans les pays gouvernés par un seul, c'est supposer l'argent d'un côté, et de l'autre la puissance; c'est-à-dire, d'un côté la faculté de tout avoir sans aucun pouvoir, et de l'autre le pouvoir avec la faculté de rien du tout. Dans un gouvernement parei!, il n'y a jamais eu que le prince qui ait eu, ou qui ait pu avoir un trésor; et par-tout où il y en a un, dès qu'il est excessif, il devient d'abord le trésor du prince.

Par la même raison, les compagnies de négociants qui s'associent pour un certain commerce, conviennent rarement au gouvernement d'un seul. La nature de ces compagnies est de donner aux richesses particulières la force des richesses publiques. Mais, dans ces états, cette forme ne peut se trouver que dans les mains du prince. Je dis plus, elles ne conviennent pas toujours dans les états où l'on fait le commerce d'économie; et,

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