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d'amortissement, pour le prince ou pour les seigneurs, des taxes. qu'ils levoient sur les Juifs, et dont ils étoient frustrés, lorsque ceux-ci embrassoient le christianisme. Dans ces temps-là, on regardoit les hommes comme des terres. Et je remarquerai en passant combien on s'est joué de cette nation, d'un siècle à l'autre. On confisquoit leurs biens, lorsqu'ils vouloient être chrétiens; et bientôt après on les fit brûler, lorsqu'ils ne voulurent pas l'être.

Cependant on vit le commerce sortir du sein de la vexation et du désespoir. Les Juifs, proscrits tour-à-tour de chaque pays, trouvèrent le moyen de sauver leurs effets. Par-là, ils rendirent pour jamais leurs retraites fixes; car tel prince qui voudroit bien se défaire d'eux, ne seroit pas pour cela d'humeur à se défaire de leur argent.

Ils inventèrent les lettres-de-change a; et, par ce moyen, le commerce put éluder la violence et se maintenir par-tout; le négociant le plus riche n'ayant que des biens invisibles, qui pouvoient être envoyés par-tout, et ne laissoient de trace nulle part.

lequel il étoit convenu que les Juifs de l'un ne prêteroient point dans les terres de l'autre.

a On sait que, sous Philippe-Auguste et sous Philippe-leLong, les Juifs, chassés de France, se réfugièrent en Lombardie, et que là ils donnèrent aux négociants étrangers et aux voyageurs des lettres secrètes sur ceux à qui ils avoient confié leurs effets en France, qui furent acquittées.

Les théologiens furent obligés de restreindre leurs principes; et, le commerce, qu'on avoit violemment lié avec la mauvaise foi, rentra, pour ainsi dire, dans le sein de la probité.

Ainsi nous devons aux spéculations des scholastiques tous les malheurs a qui ont accompagné la destruction du commerce, et à l'avarice des princes l'établissement d'une chose qui le met en quelque façon hors de leur pouvoir.

Il a fallu depuis ce temps que les princes se gouvernassent avec plus de sagesse qu'ils n'auroient eux-mêmes pensé; car, par l'événement, les grands coups d'autorité se sont trouvés si maladroits, que c'est une expérience reconnue qu'il n'y a plus que la bonté du gouvernement qui donne de la prospérité.

On a commencé à se guérir dù machiavélisme, et on s'en guérira tous les jours: il faut plus de modération dans les conseils. Ce qu'on appeloit autrefois des coups détat ne seroit aujourd'hui, indépendamment de l'horreur, que des imprudences.

Et il est heureux pour les hommes d'être dans une situation où, pendant que leurs passions leur inspirent la pensée d'être méchants, ils ont pourtant intérêt de ne pas l'être.

a Voyez, dans le corps du droit, la quatre-vingt-troisième novelle de Léon, qui révoque la loi de Basile son père. Cette loi de Basile est dans Herménopule, sous le nom de Léon, liv. III, tit. VII, §. 27.

CHAPITRE X X I.

Découvertes de deux nouveaux mondes; état de l'Europe à cet égard.

La boussole ouvrit pour ainsi dire l'univers. On

trouva l'Asie et l'Afrique dont on ne connoissoit que quelques bords, et l'Amérique dont on ne connoissoit rien du tout.

Les Portugais, naviguant sur l'océan atlantique, découvrirent la pointe la plus méridionale de l'Afrique: ils virent une vaste mer; elles les porta aux Indes orientales. Leurs périls sur cette mer et la découverte de Mozambique, de Mélinde et de Calicut, ont été chantés par le Camoëns, dont le poëme fait sentir quelque chose des charmes de l'Odyssée et de la magnificence de l'Enéide.

Les Vénitiens avoient fait jusques-là le commerce des Indes par les pays des Turcs, et l'avoient poursuivi au milieu des avanies et des outrages. Par la découverte du cap de Bonne-Espérance et celle qu'on fit quelque temps après I'Italie ne fut plus au centre du monde commerçant; elle fut pour ainsi dire dans un coin de l'univers, et elle y est encore. Le commerce même du levant dépendant aujourd'hui de celui que les grandes nations font aux deux Indes, l'Italie ne le fait plus qu'accessoirement.

Les Portugais trafiquèrent aux Indes en conquérants : les lois gênantes a que les Hollandais imposent aujourd'hui aux petits princes indiens sur le commerce, les Portugais les avoient établies

avant eux.

La fortune de la maison d'Autriche fut prodigieuse. Charles-Quint recueillit la succession de Bourgogne, de Castille et d'Aragon; il parvint à l'empire; et, pour lui procurer un nouveau genre de grandeur, l'univers s'étendit, et l'on vit paroître un monde nouveau sous son obéissance.

Christophe Colomb découvrit l'Amérique; et, quoique l'Espagne n'y envoyât point de forces qu'un petit prince de l'Europe n'eût pu y envoyer tout de même, elle soumit deux grands empires et d'autres grands états.

Pendant que les Espagnols découvroient et conquéroient du côté de l'occident, les Portugais poussoient leurs conquêtes et leurs découvertes du côté de l'orient. Ces deux nations se rencontrèrent; elles eurent recours au pape Alexandre VI, qui fit la célèbre ligne de démarcation, et jugea un grand procès.

Mais les autres nations de l'Europe ne les laissèrent pas jouir tranquillement de leur partage : les Hollandais chassèrent les Portugais de presque toutes les Indes orientales, et diverses nations firent en Amérique des établissements.

a Voyez la relation de François Pyrard, part. II, chap XV.

Les Espagnols regardèrent d'abord les terres découvertes comme des objets de conquête des peuples plus raffinés qu'eux trouvèrent qu'elles étoient des objets de commerce, et c'est là-dessus qu'ils dirigèrent leurs vues. Plusieurs peuples se sont conduits avec tant de sagesse, qu'ils ont donné l'empire à des compagnies de négociants qui, gouvernant ces états éloignés uniquement pour le négoce, ont fait une grande puissance accessoire sans embarrasser l'état principal.

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Les colonies qu'on y a formées sont sous un genre de dépendance dont on ne trouve que peu d'exemples dans les colonies anciennes, soit que celles d'aujourd'hui relèvent de l'état même, ou de quelque compagnie commerçante établie dans cet état.

L'objet de ces colonies est de faire le commerce à de meilleures conditions qu'on ne le fait avec les peuples voisins, avec lesquels tous les avantages sont réciproques. On a établi que la métropole seule pourroit négocier dans la colonie; et cela avec grande raison, parce que le but de l'établissement a été l'extension du commerce, non la fondation d'une ville ou d'un nouvel empire.

Ainsi c'est encore une loi fondamentale de l'Europe, que tout commerce avec une colonie étrangère est regardé comme un pur monopole punissable par les lois du pays; et il ne faut pas juger de cela par les lois et les exemples

des

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