Images de page
PDF
ePub

CHAPITRE XXVIII.

Des égards que les monarques doivent à leurs sujets.

Il faut qu'ils soient extrêmement retenus sur la

raillerie. Elle flatte lorsqu'elle est modérée, parce qu'elle donne les moyens d'entrer dans la familiarité : mais une raillerie piquante leur est bien moins permise qu'aux derniers de leurs sujets, parce qu'ils sont les seuls qui blessent toujours mortellement.

Encore moins doivent-ils faire à un de leurs sujets une insulte marquée: ils sont établis pour pardonner, pour punir; jamais pour insulter.

Lorsqu'ils insultent leurs sujets, ils les traitent bien plus cruellement que ne traite les siens le Turc ou le Moscovite. Quand ces derniers insultent, ils humilient et ne déshonorent point;,mais pour eux, 'ils humilient et déshonorent.

Tel est le préjugé des Asiatiques, qu'ils regardent un affront fait par le prince comme l'effet d'une bonté paternelle; et telle est notre manière de penser, que nous joignons au cruel sentiment de l'affront, le désespoir de ne pouvoir nous en laver jamais.

Ils doivent être charmés d'avoir des sujets à qui l'honneur est plus cher que la vie, et n'est

pas moins un motif de fidélité que de cou

rage.

On peut se souvenir des malheurs arrivés aux princes pour avoir insulté leurs sujets; des vengeances de Chéréas, de l'eunuque Narcès, et du comte Julien; enfin de la duchesse de Montpensier, qui, outrée contre Henri III qui avoit révélé quelqu'un de ses défauts secrets, le troublą pendant toute sa vie.

CHAPITRE XXIX.

Des lois civiles propres à mettre un peu de liberté dans le gouvernement despotique.

[ocr errors]

UOIQUE le gouvernement despotique, dans sa nature, soit par-tout le même, cependant des. circonstances, une opinion de religion, un préjugé, des exemples reçus, un tour d'esprit, des manières, des moeurs, peuvent y mettre des différences considérables.

Il est bon que de certaines idées s'y soient établies. Ainsi, à la Chine, le prince est regardé comme le père du peuple; et, dans les commencements de l'empire des Arabes, le prince en étoit le prédicateur 2.

a Les Califes.

[ocr errors]

Il convient qu'il y ait quelque livre sacré qui serve de règle, comme l'alcoran chez les Arabes, les livres de Zoroastre chez les Perses, le védam chez les Indiens, les livres classiques chez les Chinois. Le code religieux supplée au code civil, et fixe l'arbitraire.

Il n'est pas mal que, dans les cas douteux, les juges consultent les ministres de la religion a. Aussi, en Turquie, les cadis interrogent-ils les mollachs. Que si le cas mérite la mort, il peut être convenable que le juge particulier, s'il y en a, prenne l'avis du gouverneur, 'afin que le pouvoir civil et l'ecclésiastique soient encore tempérés par l'autorité politique.

CHAPITRE XXX.

Continuation du même sujet.

C'EST la fureur despotique qui a établi que la

disgrace du père entraîneroit celle des enfants et des femmes. Ils sont déjà malheureux sans être criminels; et d'ailleurs il faut que le prince laisse entre l'accusé et lui des suppliants pour adoucir son courroux ou pour éclairer sa justice.

a Histoire des Tartars, troisième partie, page 277, dans les

remarques.

C'est une bonne coutume des Maldives a que, lorsqu'un seigneur est disgracié, il va tous les jours faire sa cour au roi, jusqu'à ce qu'il rentre en grace; sa présence désarme le courroux du prince.

Il y a des états despotiques où l'on pense que de parler à un prince pour un disgracié, c'est manquer, au respect qui lui est dû. Ces princes semblent faire tous leurs efforts pour se priver de la vertu de clémence.

Arcadius et Honorius, dans la loi • dont j'ai tant parlé a, déclarent qu'ils ne feront point de grace à ceux qui oseront les supplier pour les coupables. Cette loi étoit bien mauvaise, puisqu'elle est mauvaise dans le despotisme même.

La coutume de Perse, qui permet à qui veut de sortir du royaume, est très-bonne : et quoique l'usage contraire ait tiré son origine du despotisme, où l'on a regardé les sujets comme des esclaves f,

a Voyez François Pirard.

b Comme aujourd'hui en Perse, au rapport de M. Chardin. Cet usage est bien ancien. On mit Cavade, dit Pro» cope, dans le château de l'oubli. Il y a une loi qui défend ,, de parler de ceux qui y sont enfermés, et même de pronon

[ocr errors][merged small][merged small]

e Fridéric copia cette loi dans les constitutions de Naples, livre I.

f Dans les monarchies il y a ordinairement une loi qui défend à ceux qui ont des emplois publics de sortir du royaume

[ocr errors]

et ceux qui sortent comme des esclaves fugitifs; cependant la pratique de Perse est très-bonne pour le despotisme, ou la crainte de la fuite ou de la retraite des redevables arrête ou modère les persécutions des bachas et des exacteurs.

sans la permission du prince. Cette loi doit être encore établie, dans les républiques. Mais dans celles qui ont des institutions singulières, la défense doit être générale, pour qu'on n'y rapporte pas les moeurs étrangères.

« PrécédentContinuer »