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a le plus cherché la liberté, on ne l'a pas toujours trouvée. Aristote a nous dit qu'à Cumes les parents de l'accusateur pouvoient être témoins. Sous les rois de Rome, la loi étoit si imparfaite, que Servius Tullius prononça la sentence contre les enfants d'Ancus Marcius, accusé d'avoir assassiné le roi son beau-père b. Sous les premiers rois des Francs, Clotaire fit une loi pour qu'un accusé ne pût être condamné sans être ouï, ce qui prouve une pratique contraire dans quelque cas particulier ou chez quelque peuple barbare. Ce fut Charondas qui introduisit les jugements contre les faux témoignages d. Quand l'innocence des citoyens n'est pas assurée, la liberté ne l'est pas non plus.

Les connoissances que l'on a acquises dans quelques pays, et que l'on acquerra dans d'autres, sur les règles les plus sûres que l'on puisse tenir dans les jugements criminels, intéressent le genre humain plus qu'aucune chose qu'il y ait au monde.

Ce n'est que sur la pratique de ces connoissances que la liberté peut être fondée : et, dans un état qui auroit là-dessus les meilleures lois possibles, un homme à qui on feroit son procès, et qui devroit être pendu le lendemain, seroit plus libre qu'un bacha ne l'est en Turquie.

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a Polit. liv. II.

b Tarquinius Priscus. Voyez Denys d'Halicarnasse, liv. IV.

. De l'an 560.<.

d Aristote, Polit. liv. II, chap. XII. Il donna ses lois à Thurium. dans la quatre-vingt-quatrième olympiade.

CHAPITRE III.

Continuation du même sujet.

Les lois qui font périr un homme sur la dépo

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sition d'un seul témoin sont fatales à la liberté. La raison en exige deux, parce qu'un témoin qui affirme, un accusé qui nie, font un partage; et il faut un tiers pour le vuider.

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Les Grecs et les Romains exigeoient une voix de plus pour condamner. Nos lois françaises en demandent deux. Les Grecs prétendoient que leur usage avoit été établi par les dieux ; mais c'est le nôtre.

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CHAPITRE IV.

Que la liberté est favorisée par la nature des peines et leur proportion.

C'EST le triomphe de la liberté, lorsque les lois

criminelles tirent chaque peine de la nature particulière du crime. Tout l'arbitraire cesse : la peine ne descend point du caprice du législateur, mais de la nature de la chose; et ce n'est point l'homme qui fait violence à l'homme.

a Voyez Aristide, Orat. in Minervam.

b Denys d'Halicarnasse, sur le jugement du Coriolan, liv. VII.

• Minerva calculus.

Il y a quatre sortes de crimes. Ceux de la première espèce choquent la religion; ceux de la seconde, les moeurs; ceux de la troisièmè, la tranquillité; ceux de la quatrième, la sûreté des citoyens. Les peines que l'on inflige doivent dériver de la nature de chacune de ces espèces.

Je ne mets dans la classe des crimes qui intéressent la religion que ceux qui l'attaquent directement, comme sont tous les sacrilèges simples: car les crimes qui en troublent l'exercice sont de la nature de ceux qui choquent la tranquillité des citoyens ou leur sûreté, et doivent être renvoyés à ces classes.

Pour que la peine des sacrilèges simples soit tirée de la nature a de la chose, elle doit consister dans la privation de tous les avantages que donne la religion; l'expulsion hors des temples, la privation de la société des fidèles pour un temps ou pour toujours, la fuite de leur présence, les exécrations, les détestations, les conjurations.

Dans les choses qui troublent la tranquillité ou la sûreté de l'état, les actions cachées sont du ressort de la justice humaine; mais dans celles qui blessent la divinité, là où il n'y a point d'action publique, il n'y a point de matière de crime: tout s'y passe entre l'homme et Dieu, qui sait la mesure et le temps de ses vengeances. Que si, confondant les choses, le magistrat recherche aussi le

a Saint Louis fit des lois si ontrées contre ceux qui juroient, que le pape se crut obligé de l'en avertir. Ce prince modéra son zèle, et adoucit ses lois. Voyez ses ordonnances.

:

sacrilège caché, il porte une inquisition sur un genre d'action où elle n'est point nécessaire il détruit la liberté des citoyens, en armant contre eux le zèle des consciences timides, et celui des consciences hardies.

Le mal est venu de cette idée, qu'il faut venger Ja divinité. Mais il faut faire honorer la divinité, et ne la venger jamais. En effet, si l'on se conduisoit par cette dernière idée, quelle seroit la fin des supplices? Si les lois des hommes ont à venger un être infini, elles se régleront sur son infinité, et non pas sur les foiblesses, sur les ignorances, sur les caprices de la nature humaine.

Un historien a de Provence rapporte un fait qui nous peint trés-bien ce que peut produire sur des esprits foibles cette idée de venger la divinité. Un Juif, accusé d'avoir blasphêmé contre la sainte Vierge fut condamné à être écorché. Des chevaliers masqués, le couteau à la main, montérent sur l'échaffaud et en chassèrent l'exécuteur, pour venger eux-mêmes l'honneur de la sainte Vierge. Je ne veux point prévenir les réflexions du lecteur.

La seconde classe est des crimes qui sont contre les mœurs. Telles sont la violation de la continence publique ou particulière, c'est-à-dire de la police sur la manière dont on doit jouir des plaisirs attachés à l'usage des sens et à l'union des corps. Les peines de ces crimes doivent encore être

a Le P. Bourgerel.

tirées de la nature de la chose: la privation des avantages que la société a attachés à la pureté des moeurs, les amendes, la honte, la contrainte de se cacher, l'infamie publique, l'expulsion hors de la ville et de la société, enfin toutes les peines qui sont de la jurisdiction correctionnelle, suffisent pour réprimer la témérité des deux sexes. En effet, ces choses sont moins fondées sur la méchanceté, que sur l'oubli ou le mépris de soimême.

Il n'est ici question que des crimes qui intéressent uniquement les moeurs, non de ceux qui choquent aussi la sûreté publique, tels que l'enlèvement et le viol, qui sont de la quatrième espèce.

Les crimes de la troisième classe sont ceux qui choquent la tranquillité des citoyens ; et les peines en doivent être tirées de la nature de la chose, et se rapporter à cette tranquillité, comme la privation, l'exil, les corrections, et autres peines qui ramènent les esprits inquiets et les font rentrer dans l'ordre établi.

Je restreins les crimes contre la tranquillité aux choses qui contiennent une simple lésion de police, car celles qui, troublant la tranquillité, attaquent en même temps la sûreté, doivent être mises dans la quatrième classe.

Les peines de ces derniers crimes sont ce qu'on appelle des supplices. C'est une espèce de talion, qui fait que la société refuse la sûreté à un citoyen qui en a privé ou qui a voulu en priver un autre.

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