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CHAPITRE II I.

Contradiction dans les caractères de certains
peuples du midi.

LES Indiens sont naturellement sans courage;

les enfants mêmes des Européens nés aux Indes perdent celui de leur climat. Mais comment accorder cela avec leurs actions atroces, leurs coutumes, leurs pénitences barbares? Les hommes s'y soumettent à des maux incroyables; les femmes s'y brûlent elles-mêmes: voilà bien de la force pour tant de foiblesse.

La nature, qui a donné à ces peuples une foiblesse qui les rend timides, leur a donné aussi une imagination si vive que tout les frappe à l'excès. Cette même délicatesse d'organes qui leur fait craindre la mort, sert aussi à leur faire redouter mille choses plus que la mort. C'est la même sensibilité qui leur fait fuir tous les périls et les leur fait tous braver.

Comme une bonne éducation est plus nécessaire aux enfants qu'à ceux dont l'esprit est dans sa maturité, de même les peuples de ces climats ont plus besoin d'un législateur sage que les peuples du nôtre. Plus on est aisément et fortement frappé, plus

a "Cent soldats d'Europe, dit Tavernier, n'auroient pas grande peine à battre mille soldats indiens.”

b Les Persans mêmes qui s'établissent aux Indes prennent, à la troisième génération, la nonchalance et la lâcheté indienne. Voyez Bernier, sur le Mogol, tome I, page 282.

il importe de l'ètre d'une manière convenable, de ne recevoir pas de préjugés, et d'être conduit par la raison.

Du temps des Romains, les peuples du nord de l'Europe vivoient sans arts, sans éducation, presque sans lois; et cependant, par le seul bon sens attaché aux fibres grossières de ces climats, ils se maintinrent avec une sagesse admirable contre la puissance romaine jusqu'au moment où ils sortirent de leurs forêts pour la détruire.

CHAPITRE IV.

Cause de l'immutabilité de la religion, des moeurs, des manières, des lois, dans les pays d'Orient.

S1, avec cette foiblesse d'organes qui fait rece

voir aux peuples d'Orient les impressions du monde les plus fortes, vous joignez une certaine paresse dans l'esprit, naturellement liée avec celle du corps, qui fasse que cet esprit ne soit capable d'aucune action, d'aucun effet, d'aucune contention, vous comprendrez que l'ame qui a une fois reçu des impressions ne peut plus en changer. C'est ce qui fait que les lois, les moeurs a et les maniéres, même celles qui paroissent indifférentes,

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a On voit par un fragment de Nicolas de Damas, recueilli par Constantin Porphyrogénète, que la coutume étoit ancienne en Orient d'envoyer étrangler un gouverneur qui déplaisoit: elle étoit du temps des Mèdes.

comme la façon de se vêtir, sont aujourd'hui en Orient comme elles étoient il y a mille ans.

CHAPITRE V.

Que les mauvais législateurs sont ceux qui ont favorisé les vices du climat, et les bons sont ceux qui s'y sont opposés.

LES

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ES Indiens croient que le repos et le néant sont le fondement de toutes choses et la fin où elles aboutissent. Ils regardent donc l'entière inaction comme l'état le plus parfait et l'objet de leurs désirs. Ils donnent au souverain Etre a le surnom d'immobile. Les Siamois croient que la félicité b supreme consiste à n'être point obligé d'animer une machine et de faire agir un corps.

Dans ces pays, où la chaleur excessive énerve et accable, le repos est si délicieux et le mouvement si pénible, que ce systême de métaphysique paroît naturel; et Foé, législateur des Indes, a suivi ce qu'il sentoit, lorsqu'il a mis les hommes dans un état extrêmement passif: mais sa doctrine, née de la paresse du climat, la favorisant à son tour, a causé mille maux.

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a Panamanak. Voyez Kircher.

h La Loubère, relation de Siam, page 446.
c Foé veut réduire le cœur au pur vuide.

Nous avons

des yeux et des oreilles; mais la perfection est de ne voir ni », entendre: une bouche, des mains, etc.; la perfection est que ,, ces membres soient dans l'inaction. " Ceci est tiré du dialogue d'un philosophe chinois, rapporté par le P. du Halde, tome III.

Les législateurs de la Chine furent plus sensés lorsque, considérant les hommes, non pas dans l'état paisible où ils seront quelque jour, mais dans l'action propre à leur faire remplir les devoirs de la vie, ils firent leur religion, leur philosophie et leurs lois, toutes pratiques. Plus les causes physiques portent les hommes au repos, plus les causes morales les en doivent éloigner.

CHAPITRE V I.

De la culture des terres dans les climats chauds.

LA culture des terres est le plus grand travail

des hommes. Plus le climat les porte à fuir ce travail, plus la religion et les lois doivent y exciter. Ainsi les lois des Indes, qui donnent les terres aux princes, et ôtent aux particuliers l'esprit de propriété, augmentent les mauvais effets du climat, c'est-à-dire la paresse naturelle.

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LE monachisme y fait les mêmes maux; il est

né dans les pays chauds d'Orient, où l'on est moins porté à l'action qu'à la spéculation.

En Asie, le nombre des derviches ou moines semble augmenter avec la chaleur du climat; les

Indes, où elle est excessive, en sont remplies. On trouve en Europe cette même différence.

Pour vaincre la paresse du climat, il faudroit que les lois cherchassent à ôter tous les moyens de vivre sans travail; mais dans le midi de l'Europe elles font tout le contraire; elles donnent à ceux qui veulent être oisifs des places propres à la vie spéculative, et y áttachent des richesses immenses. Ces gens, qui vivent dans une abondance qui leur est à charge, donnent avec raison leur superflu au bas peuple : il a perdu la propriété des biens; ils l'en dédommagent par l'oisiveté dont ils le font jouir; et il parvient à aimer sa misère même.

L

CHAPITRE VIII.

Bonne coutume de la Chine.

ES relations a de la Chine nous parlent de la cérémonie b d'ouvrir les terres que l'empereur fait tous les ans. On a voulu exciter les peuples au labourage par cet acte public et solennel.

De plus, l'empereur est informé chaque année du laboureur qui s'est le plus distingué dans sa profession; il le fait mandarin du huitième ordre.

a Le P. du Halde, Histoire de la Chine, tome II, page 72: b Plusieurs rois des Indes font de même. Relation du royaume de Siam, par la Loubère, page 69.

c Venty, troisième empereur de la troisième dynastie, culti va la terre de ses propres mains, et fit travailler à la soie, dans son palais, l'impératrice et ses femmes. Histoire de la Chine.

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