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ses esclaves pour la convaincre Aussi furent-elles plus propres à raffiner à l'excès un certain point d'honneur qu'à former une bonne police. Etil ne faut pas être étonné si le comte Julien crut qu'un outrage de cette espèce demandoit la perte de sa' patrie et de son roi. On ne doit pas être surpris si les Maures, avec une telle conformité de moeurs trouvèrent tant de facilité à s'établir en Espagne, à s'y maintenir, et à retarder la chûte de leur empire.

CHAPITRE X V. !!

De la différente confiance que les lois ont dans le peuple selon les climats.

Le peuple japonais a un caractère si atroce, que

ses législateurs et ses magistrats n'ont pu avoir aucune confiance en lui: ils ne lui ont mis devant les yeux que des juges, des menaces et des châtiments: ils l'ont soumis, pour chaque démarche, à l'inquisition de la police. Ces lois qui, sur cinq chefs de familles, en établissent un comme magistrat sur les quatre autres; ces lois qui, pour un seul crime, punissent toute une famille ou tout un quartier; ces lois, qui ne trouvent point d'innocents là où il peut y avoir un coupable, sont faites pour que tous les hommes se méfient les uns des autres, pour que chacun recherche la conduite de chacun, et qu'il en soit l'inspecteur, le témoin et le juge.

Le peuple des Indes, au contraire, est doux a, tendre, compatissant; aussi ses législateurs ont-ils a Voyez Bernier, tome II, page 140.

une grande confiance en lui. Ils ont établi peu a de peines, et elles sont peu sévères; elles ne sont pas même rigoureusement exécutées. Ils ont donné les neveux aux oncles, les orphelins aux tuteurs, comme on les donne ailleurs à leurs pères: ils ont réglé la succession par le mérite reconnu du successeur. Il semble qu'ils ont pensé que chaque citoyen devoit se reposer sur le bon naturel des autres.

b

Ils donnent aisément la liberté à leurs esclaves; ils les marient; ils les traitent comme leurs enfants. Heureux climat, qui fait naître la candeur des moeurs et produit la douceur des lois!

a Voyez dans le recueil XIV des Lettres édifiantes, page 403, les principales lois ou coutumes des peuples de l'Inde de la presqu'isle deçà le Gange.

b Lettres édifiantes, recueil IX, page 378.

c J'avois pensé que la douceur de l'esclavage, aux Indes, avoit fait dire à Diodore qu'il n'y avoit dans ce pays ni maître, ni esclave; mais Diodore a attribué à toute l'Inde ce qui, selon Strabon, liv. XV, n'étoit propre qu'à une nation particulière.

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LIVRE X V.

Comment les lois de l'esclavage civil ont du rapport avec la nature du climat.

CHAPITRE PREMIER.

De l'esclavage civil.

ESCLAVAGE, proprement dit, est l'établissement d'un droit qui rend un homme tellement propre à un autre homme, qu'il est le maître absolu de sa vie et de ses biens. Il n'est pas bon par sa nature: il n'est utile ni au maître ni à l'esclave; à celui-ci, parce qu'il ne peut rien faire par vertu; à celui-là, parce qu'il contracte avec ses esclaves toutes sortes de mauvaises habitudes, qu'il s'accoutume insensiblement à manquer à toutes les vertus morales, qu'il devient fier, prompt, dur, colère, voluptueux, cruel.

Dans les pays despotiques, où l'on est déjà sous l'esclavage politique, l'esclavage civil est plus tolérable qu'ailleurs. Chacun y doit être assez content d'y avoir sa subsistance et la vie. Ainsi la

condition de l'esclave n'y est guère plus à charge que la condition du sujet.

Mais dans le gouvernement monarchique, où il est souverainement important de ne point abattre ou avilir la nature humaine, il ne faut point d'esclave. Dans la démocratie, où tout le monde est égal, et dans l'aristocratie, où les lois doivent faire leurs efforts pour que tout le monde soit aussi égal que la nature du gouvernement peut le permettre, des esclaves sont contre l'esprit de la constitution; ils ne servent qu'à donner aux citoyens une puissance et un luxe qu'ils ne doivent point avoir.

CHAPITRE II.

Origine du droit de l'esclavage chez les jurisconsultes romains.

Ox ne croiroit jamais que c'eût été la pitié qui

eût établi l'esclavage, et que pour cela elle s'y fût prise de trois manières a.

Le droit des gens a voulu que les prisonniers fussent esclaves, pour qu'on ne les tuât pas. Le droit civil des Romains permit à des débiteurs, que leurs créanciers pouvoient maltraiter, de se vendre euxmêmes; et le droit naturel a voulu que des enfants qu'un père esclave ne pouvoit plus nourrir, fussent dans l'esclavage comme leur père.

a Instit. de Justinien, liv. I.

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Ces raisons des jurisconsultes ne sont point sensées. 1o. Il est faux qu'il soit permis de tuer dans la guerre autrement que dans le cas de nécessité: mais dès qu'un homme en a fait un autre esclave, on ne peut pas dire qu'il ait été dans la nécessité de le tuer, puisqu'il ne l'a pas fait. Tout le droit que la guerre peut donner sur les captifs, est de s'assurer tellement de leur personne, qu'ils ne puissent plus nuire. Les homicides faits de sang froid par les soldats, et après la chaleur de l'action, sont rejetés de toutes les nations a du monde.

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2o. Il n'est pas vrai qu'un homme libre puisse se vendre. La vente suppose un prix: l'esclave se vendant, tous ses biens entreroient dans la propriété du maître; le maître ne donneroit donc rien,, et l'esclave ne recevroit rien. Il auroit un pécule, dira-t-on; mais le pécule est accessoire à la personne. S'il n'est pas permis de se tuer, parce qu'on se dérobe à sa partie, il n'est pas plus permis de se vendre. La liberté de chaque citoyen est une partie de la liberté publique. Cette qualité, dans l'état populaire, est même une partie de la souveraineté. Vendre sa qualité de citoyen est un acte b d'une telle extravagance, qu'on ne peut pas la supposer dans un homme. Si la liberté a un prix pour celui qui l'achète, elle est sans prix pour celui qui la vend. La loi civile qui a permis aux hommes le partage des biens, n'a pu mettre au nombre

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a Si l'on ne veut citer celles qui mangent leurs prisonniers. b Je parle de l'esclavage pris à la rigueur, tel qu'il étoit chez es Romains, et qu'il est établi dans nos colonies.

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