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Et j'ai laisse parler tout le monde avant moi.
Ai-je pris sur moi-même un assez long empire?
Et puis-je maintenant... ?

CÉLIMÈNE.

Oui, vous pouvez tout dire;

Vous en êtes en droit, lorsque vous vous plaindrez,
Et de me reprocher tout ce que vous voudrez.

J'ai tort, je le confesse, et mon ame confuse
Ne cherche à vous payer d'aucune vaine excuse.
J'ai des autres ici méprisé le courroux;

Mais je tombe d'accord de mon crime envers vous.
Votre ressentiment, sans doute, est raisonnable;
Je sais combien je dois vous paroître coupable,
Que toute chose dit que j'ai pu vous trahir,
Et qu'enfin vous avez sujet de me hair.
Faites-le, j'y consens.

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ALCESTE.

Hé! le puis-je, traîtresse ?
Puis-je ainsi triompher de toute ma tendresse ?
Et, quoiqu'avec ardeur je veuille vous hair,
Trouvé-je un coeur en moi tout prêt à m'obéir ?
(à Eliante et a Philinte.)

Vous voyez ce que peut une indigne tendresse,
Et je vous fais tous deux témoins de ma foiblesse.
Mais, à vous dire vrai, ce n'est pas encor tout,
Et vous allez me voir la pousser jusqu'au bout,
Montrer que c'est à tort que sages on nous nomme,
Et que dans tous les cœurs il est toujours de l'homme
(à Cétimène.)

Oui, je veux bien, perfide, oublier vos forfaits;
J'en saurai, dans mon ame, excuser tous les traits,
Et me les couvrirai du nom d'une foiblesse

Dolière. 3.

14

Où le vice du temps porte votre jeunesse,
Pourvu que votre cœur veuille donner les mains
Au dessein que j'ai fait de fuir tous les humains,
Et que dans mon désert, où j'ai fait vœu de vivre,
Vous soyez, sans tarder, résolue à me suivre.
C'est par-là seulement que, dans tous les esprits,
Vous pouvez réparer le mal de vos écrits,
Et qu'après cet éclat qu'un noble cœur abhorre
peut m'être permis de vous aimer encore.
CÉLIMÈNE.

Moi, renoncer au monde avant que de vieillir!
Et dans votre désert aller m'ensevelir!

ALCESTE.

Et, s'il faut qu'à mes feux votre flamme réponde,
Que vous doit importer tout le reste du monde?
Vos désirs avec moi ne sont-ils pas contents?

CÉLIMÈNE.

La solitude effiaie une ame de vingt ans.

Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte,
Pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte.
Si le don de ma main peut contenter vos vœux,
Je pourrai me résoudre à serrer de tels nœuds,
Et l'hymen...

Non;

ALCESTE,

mon cœur à présent vous déteste,

Et ce refus lui seul fait plus que tout le reste.

Puisque vous n'êtes point, en des liens si doux,

Pour trouver tout en moi comme moi tout en vous, Allez, je vous refuse; et ce sensible outrage

De vos indignes fers pour jamais me dégage.

SCÈNE VIL

ÉLIANTE,ALCESTE,PHILINTE

ALCESTE, à Éliante.

MADAME, cent vertus ornent votre beauté,
Et je n'ai vu qu'en vous de la sincérité¿

De vous, depuis long-temps, je fais un cas extrême :
Mais laissez-moi toujours vous estimer de même;
Et souffrez que mon cœur, dans ses troubles divers,
Ne se présente point à l'honneur de vos fers :

Je m'en sens trop indigne, et commence à connoître
Que le ciel pour ce nœud ne m'avoit point fait naître,
Que ce seroit pour vous un hommage trop bas
Que le rebut d'un cœur qui ne vous valoit pas ;
Et qu'enfin...

ÉLIANTE.

Vous pouvez suivre cette pensée :
Ma main de se donner n'est pas embarrassée;
Et voilà votre ami, sans trop m'inquiéter,
Qui, si je l'en priois, la pourroit accepter.

PHILINTE.

Ah! cet honneur, madame, est toute mon envie,
Et j'y sacrifierois et mon sang et ma vie.

ALCESTE.

Puissiez-vous, pour goûter de vrais contentements
L'un pour l'autre à jamais garder ces sentiments !
Trahi de toutes parts, accablé d'injustices.

Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices,

244 LE MISANTHROPE. ACTE V, SC: VIIL

Et chercher sur la terre un endroit écarté
Où d'être homme d'honneur on ait la liberté.

PHILINTE.

Allons, madame, allons employer toute chose
Pour rompre le dessein que son cœur se propose.

FIN DU MISANTHROPE.

CE

MÉDECIN MALGRÉ LUI,

COMÉDIE EN TROIS ACTES,

Représentée le 6 août 1666.

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