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du moins quelque temps,, sans l'Eucharistie, comme on peut vivre quelque temps sans nourriture. N'importe que la ressemblance ne soit peut-être pas tout-à-fait exacte. Pousser à bout l'exactitude de la ressemblance, et la prendre en toute rigueur dans ces matières morales, c'est faire dégénérer la théologie en chicane. Il suffit qu'en général il soit vrai de dire que le Baptême donne la vie, comme l'Eucharistie l'entretient, et que, toutes proportions gardées, elle est aussi nécessaire pour l'entretenir que le Baptême pour la donner. C'en est assez pour vérifier ce que les Pères ont dit de la nécessité de l'Eucharistie. Ils n'ont pas eu besoin de descendre au degré de nécessité, ni à l'exacte comparaison de la nécessité des deux sacremens, à cause que de leur temps on les donnoit tous deux ensemble. Mais cinq raisons démontrent invinciblement qu'ils ont eu en tout et partout la même croyance que nous. La première, qui seule seroit décisive, c'est que, lorsque la question leur est expressément proposée, ils répondent comme nous faisons sur les principes de la tradition, ainsi qu'on vient de le voir dans saint Fulgence. La seconde, qu'ils ont posé si clairement la parfaite justification et rémission des péchés par le seul Baptême, qu'ils n'en ont pu ignorer une conséquence aussi claire, que celle du salut de ceux à qui tous les péchés étoient pardonnés. La troisième, qui revient à la même chose, mais que nous pouvons distinguer pour un plus parfait éclaircissement, qu'ils sup

posent si bien avec nous tous les péchés pardonnés dans le Baptême, que comme nous ils enseignent qu'on reçoit l'Eucharistie indignement, quand on la reçoit dans le crime. La quatrième, qui dépend aussi du même principe, qu'ils conviennent avec nous dans la commune notion de l'Eucharistie comme nourriture, qui par conséquent suppose la personne déjà vivante, puisqu'elle ne fait qu'entretenir la vie. La cinquième, qui est une suite de tout le reste, qu'en effet lorsqu'ils ont parlé de ce qui est absolument et indispensablement nécessaire, ils n'ont marqué que le Baptême; ce qui paroît en ce que le Baptême, comme absolument nécessaire, a été mis dans le cas de nécessité entre les mains de tous les fidèles, dont il y a, comme on sait, une infinité de témoignages dans les Pères, et en particulier beaucoup de très-exprès dans saint Augustin. Or jamais ils n'ont mis la consécration et la distribution de l'Eucharistie entre les mains de tous les fidèles; mais ils l'ont toujours réservée à l'ordre sacerdotal. Ils n'ont donc jamais connu le cas où l'Eucharistie fût d'une même nécessité que le Baptême.

C'en est assez pour une question qui n'est pas de notre dessein, et dont nous avons à dire d'autres choses en un autre lieu. J'ajouterai seulement que, de quelque manière qu'on décide la question de la communion des petits enfans, l'argument que nous en tirons est toujours également invincible. Car comme je l'ai déjà dit dans le Traité

de la Communion (1): Lorsque l'Eglise a communié les petits enfans sous la seule espèce du vin, et en d'autres occasions sous celles du pain, ou elle jugeoit ce sacrement nécessaire à leur salut, ou non si elle ne le jugeoit pas nécessaire, pourquoi se presser de le donner, pour le donner mal? Si elle le jugeoit nécessaire, c'est une nouvelle démonstration qu'elle croyoit tout l'effet du sacrement renfermé sous une seule espèce.

Voilà en effet une parfaite démonstration, ou jamais il n'y en aura en matière de théologie. Aussi vois-je que mes adversaires n'ont rien à y répondre; de sorte que ce qu'ils disent du sentiment des anciens sur la nécessité de l'Eucharistie, n'est qu'un pur amusement pour détourner les esprits de la question principale, ou plutôt et à dire vrai, c'est l'effet du malheureux intérêt qu'ils ont à décrier l'ancienne Eglise, qui les condamnant en tant de choses, les condamne en particulier dans la matière que nous traitons, par la communion qu'elle a donnée aux enfans, tantôt sous la seule espèce du pain, tantôt sous celle du vin aussi toute seule. C'est ce qui attire aux anciens les mépris que les Protestans leur témoignent tout ouvertement, et ce qui fait dire à ces Messieurs, avec un air presque triomphant, ces odieuses paroles : C'est l'erreur des six premiers siècles: c'est l'erreur de l'ancienne Eglise. (1) Traité de la Commun. p. 487.

CHAPITRE

CHAPITRE XXXIII.

De la communion donnée sous la seule espèce du pain aux enfans plus avancés en áge: Histoire rapportée par Evagrius et par Grégoire de Tours: second concile de Mácon.

J'AI fait voir, dans le Traité de la Communion, que l'Eglise qui approuvoit la communion sous une espèce en donnant le sang tout seul aux petits enfans dans le berceau, ne lui donnoit pas une moindre approbation en donnant le corps seul aux autres enfans un peu plus avancés en âge; et je me souviens d'avoir promis tout-àl'heure, de confirmer clairement cette vérité. Il me sera maintenant aisé de tenir parole, en faisant voir les foibles réponses de mes adversaires.

Je leur avois proposé (1) l'ancienne coutume de l'Eglise de Constantinople, comme l'appelle Evagrius (2), de donner à de jeunes enfans ce qui res toit des sacréés parcelles du corps immaculé de notre Seigneur, s'il y en avoit un grand nombre. C'est qu'après la consécration, et pour faire la distribution du pain, on le partageoit en morceaux ou en parcelles. Si après la communion il n'en restoit que très-peu, le clergé suffisoit pour le consumer; que s'il en restoit beaucoup à consu mer, on y appeloit les enfans; et comme il ne

(1) Traité de la Commun. p. 487. —(2) Evag. Hist. Eccl lib. iv, cap. xxxvi.

BOSSUET. XXIV.

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pouvoit manquer d'arriver souvent qu'il y en eût beaucoup de reste, cette sorte de communion sous une espèce étoit très-fréquente et très-ordinaire. Elle doit aussi être regardée comme trèsancienne, et Evagrius la remarque déjà comme ancienne dès le temps de Justinien et du patriarche Mennas, c'est-à-dire, au sixième siècle. On ne peut nier non plus qu'elle ne fût très-célèbre et connue par toutes les Eglises, à cause du miracle arrivé à un enfant juif, qu'Evagrius raconte dans le même endroit. Ce jeune enfant ayant communié en cette manière avec les autres enfans de son âge, en haine de cette action, fut jeté par son père, vitrier de profession, dans la fournaise brûlante, où il fut miraculeusement conservé; et ce miracle écrit en Orient par Evagrius, est rapporté en Occident à peu près dans le même temps, par saint Grégoire de Tours (1).

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A cette occasion j'ai rapporté une coutume semblable de l'Eglise de France (2), marquée dans le célèbre canon du second concile de Mâcon en 585 (3), où il est porté « que tous les restes » du sacrifice, après la messe achevée, seroient donnés, arrosés de vin, le mercredi et le ven» dredi à des enfans innocens, à qui on ordonne» roit de jeûner pour les recevoir ». Par où l'on voit combien étoit ordinaire cette communion; et qu'elle avoit ses jours réglés à chaque semaine, c'est-à-dire, le mercredi et le vendredi.

Il est bon de considérer ce que disent ici les

(1) Lib. de Glor. Mart. 1, cap. x.— (2) Tr. de la Com. loc. cit. (3) Conc. Matis. 11, Can. vi. Lab. tom. v, col. 982.

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