LES A MANS IGNORANS, COMÉDIE EN TROIS ACTES, EN PROSE, PAR AUTREAU; Représentée, pour la premiere fois, par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi, le 14 Avril 1720. * A PERSONNAGE S. PANTALON, Noble Vénitien. MARIO, Fils de Pantalon. LÉLIO, Ami de Pantalon. FLAMINIA, Fille de Lélio, connue sous le nom de Fatime, pendant presque toute la Piece. BERTOLDO, Jardinier et Concierge de la maison des champs de Pantalon. ARGENTINE, seconde Femme de Bertoldo. NINA, Fille aînée de Bertoldo, Amante d'Arlequin. GIANETTA, Fille cadette de Bertoldo. ARLEQUIN, Chevrier dans le village, Fils de Braccolino, Laboureur, qui ne paroît pas. VIOLETTE, Femme de Trivelin, Barbier du village. TRIVELIN, Mari de Violette. BALORDINO, Nourricier de Flaminia, Tabellion TROUPE DE VENDANGEURS ET DE VENDANGEUSES. UN TRAITEUR ET SES GENS, GARÇONS D'OFFICE, DE CUISINE, SERVANTES ET MARMITONS. La Scene est dans la Maison de Campagne de Pantalon, près de Ravenne. IGNORANS, COMÉDIE. ACTE PREMIER. IL S SCENE PREMIERE. TRIVELIN, feul. s'agit donc de rendre cette Lettre à une nouvelle habitante de ce village, que je vois assez souvent le matin prendre le frais sous ces arbres. Mais je commence à m'ennuyer. Il y a long-tems que je rode ici autour sans la voir: je ne sais pourquoi; car, à la campagne en Italie, les femmes ont la clef des champs. Ce n'est pas comme dans les villes, où elles sont enfermées à la serrure et au cadenat. Il est vrai pourtant que celle-ci est sous la garde d'un vieux paysan, qui a encore une femme jeune et jolie à garder pour son propre compte: cela le rend jaloux et demi; mais par bonheur il est aujourd'hui dans l'embarras des ven danges, et sa femme est d'intelligence avec moi. J'es pere que je viendrai à bout de mon entreprise... Ah! voici venir justement notre Argus. Maladetta sia la bestia! SCENE I I. BERTOLDO, TRIVELIN. TRIVELIN TRES-HUMBLE serviteur au Seigneur Bertoldo, trèsdigne jardinier et concierge du Seigneur Pantalon, ce le cerveau, sans contredit, le plus solide qui soit dans le territoire de Ravenne. BERTOLD O. Ah! vous êtes trop courtois, Bondi al Signor Trivelin, l'unique médecin, et le plus habile qui soit dans le village. TRIVELIN. L'unique et le plus habile; on ne peut pas mieux conclure. Comment va votre santé ? BERTOLDO. Eh! ne savez-vous pas cela mieux que moi? Tenez, voyez. TRIVELIN Voilà un sistole-diastole qui fait fort bien son devoir. Et la Signora Argentina, sa femme, comment se porte-t-elle ? BERTOL DO. 5 Fort bien, fort bien. Ne vous mettez point tant en peine de la sistola di mia Moglie. TRIVELIN. Signor Bertoldo, vous ressemblez à ma femme; vous Etes de complexion un peu jalouse. BERTOL DO. Votre femme n'a peut-être pas tort. TRIVELIN. Dites-moi du moins des nouvelles de la santé de Nina, votre fille aînée, qui est si jolie? Elle se porte à merveille. BERTOLDO. TRIVELIN. Son esprit ne commence-t-il point à s'éveiller un peu? BERTOLDO. L'esprit d'une fille ne s'éveille toujours que trop. A propos, on m'a dit que la Signora Fatima étoit indisposée. BERTOLDO. Qui est la Signora Fatima! Eh! là, cette fille moitié Italienne et moitié Turque, que l'on vous a envoyée de Venise, depuis quelque tems. BERTOL DO. Qui vous a dit cela? |