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par sa mère. Un ami chrétien, qui partageait et excitait sa foi, voulait l'entraîner dans un désert de la Syrie où quelques solitaires pratiquaient la pénitence. Ce projet ne fut combattu dans le cœur de Chrysostome que par la résistance et les regrets de sa mère. Il faut l'entendre lui-même raconter cette scène touchante. Jamais son éloquence ne surpassa le langage persuasif et tendre de cette femme pieuse. "Lorsque ma mère, dit l'apôtre chrétien, eut appris ma résolution de me retirer dans la solitude, elle me prit par la main, me conduisit dans sa chambre, et, m'ayant fait asseoir auprès d'elle, elle se mit à pleurer, et ensuite me dit des choses encore plus tristes que ses larmes." "Mon fils, ma seule consolation, au milieu de mes misères, a été de te voir sans cesse et de contempler dans tes traits l'image fidèle de mon mari qui n'est plus. Cette consolation a commencé dès ton enfance, lorsque tu ne savais pas encore parler, temps de la vie où les enfants donnent à leurs parents les plus grandes joies. Je ne te demande maintenant qu'une seule grâce: ne me rends pas veuve une seconde fois, ne ranime pas une douleur assoupie ; attends au moins le jour de ma mort; peut-être me faudra-t-il bientôt sortir d'icibas. Quand tu m'auras ensevelie, et réuni mes cendres à celles de ton père, entreprends alors de longs voyages, passe telle mer que tu voudras, personne ne t'en empêchera; mais pendant que je respire encore, ne t'ennuie pas de vivre avec moi n'attire pas sur toi l'indignation de Dieu, en m'accablant de si grands maux sans avoir été offensé par moi.” Chrysostome n'eut pas le courage d'affliger sa mère, et renonça au projet de s'éloigner d'elle.

L'AMITIE.

Noble et tendre amitié, je te chante en mes vers;
Du poids de tant de maux semés dans l'univers,
Par tes soins consolants, c'est toi qui nous soulages,

Trésor de tous les lieux, bonheur de tous les âges,
Le ciel te fit pour l'homme, et tes charmes touchans
Sont nos derniers plaisirs, sont nos premiers penchans.
Qui de nous, lorsque l'âme encor, naïve et pure
Commence à s'émouvoir, et s'ouvre à la nature
N'a pas senti d'abord, par un instinct heureux,
Le besoin enchanteur, ce besoin d'être deux,
De dire à son ami ses plaisirs et ses peines?

D'un zéphyr indulgent si les douces haleines
Ont conduit mon vaisseau sur des bords enchantés,
Sur ce théâtre heureux de mes prospérités,

Brillant d'un vain éclat, et vivant pour moi-même
Sans épancher mon cœur, sans un ami qui m'aime,
Porterai-je moi seul, de mon ennui chargé,
Tout le poids d'un bonheur qui n'est point partagé?
Qu'un ami sur mes bords soit jeté par l'orage,
Ciel avec quel transport je l'embrasse au rivage!
Moi-même entre ses bras si le flot m'a jeté,
Je ris de mon naufrage et du flot irrité.

Oui, contre deux amis la fortune est sans armes;
Ce nom répare tout; sais-je, grâce à ses charmes,
Si je donne ou j'accepte? Il efface à jamais
Ce mot de bienfaiteur, et ce mot de bienfaits.

Ducis.

MORT D'UN SOLDAT CHRETIEN.

Le jeune comte d'Estourmel, lieutenant de la garde nationale, se trouvait, le 19 janvier 1871, au combat de Buzenval. Il s'offrit pour porter un ordre pendant la nuit, recontra un poste prussien et tomba horriblement frappé. La balle lui brisa le coude et traversa tout le corps. On l'apporta à la ferme de la Fouilleuse, où il fallut passer la nuit sur le pavé d'une écurie ouverte à tous les vents. Un prêtre, heu

reusement, se trouvait là et put lui donner quelques soins, comme aux autres blessés qui encombraient ce misérable asile. La nuit fut longue; M. d'Estourmel en supporta patiemment les atroces douleurs; de temps en temps, pour se délasser, il reposait sa tête sur les genoux du prêtre. Profitant d'un moment de répit, il se confessa avec une admirable tranquillité d'âme et une parfaite résignation à la volonté de Dieu.

Tout secours matériel manquait; son charitable infirmier ne put trouver à lui donner qu'un peu d'eau saumâtre. Non moins charitable envers celui qui se désolait de ne pouvoir mieux le servir, le blessé lui rendit grâces de ce peu d'eau dont il ne voulut point avouer l'amertume. Encore que la douleur lui arrachât quelques gémissements, il ne se plaignait de rien.

Enfin les voitures d'ambulance arrivèrent plusieurs heures après le jour. Le prêtre put y installer son cher blessé et suivit à pied par des chemins effroyables. Il fallait arrêter souvent pour que le malade n'expirât point dans la violence des tortures. Ce voyage, après une telle nuit, dura jusqu'aux approches du soir. C'est là, nous disait le prêtre, que l'on voit et que l'on sent ce qu'est la guerre.

M. d'Estourmel avait demandé d'être conduit à l'ambulance du séminaire des Missions Étrangères, à laquelle appartient le prêtre que la miséricorde divine lui avait fait rencontrer, M. Guerrin, l'un des directeurs de cette sainte et illustre congrégation.

L'on vit tout de suite que son état était désespéré. Lui n'en parlait point. Il reçut au contraire la visite du colonel et celle de plusieurs autres officiers de son bataillon, leur disant quelques mots et leur serrant la main. Mais le lendemain matin, vers 10 heures, il fit éloigner les personnes qui l'entouraient et dit à M. Guerrin: "Monsieur, le temps presse, je sens que je m'en vais. Si vous voulez me donner l'extrême onction, je suis prêt." Il se confessa de nouveau et reçut

le sacrement qu'il avait demandé comme un tel homme le devait recevoir.

Il pria ensuite M. Guerrin de lui mettre au cou une médaille de la sainte Vierge, et depuis ce moment il ne prononça plus que de rares paroles, se contentant de lever un regard plein de douceur et de sérénité sur ceux qui le veillaient. Il expira ainsi, un matin, paisiblement endormi dans le contentement d'avoir fait son devoir et d'aller à Dieu.

Il n'a eu ni délire ni fièvre, pas même de sueurs. Il s'est endormi, et mort, il semblait dormir. Son visage ne portait aucune trace de douleur ou de fatigue; il goûtait le bon sommeil qui suit le bon combat.

Le comte d'Estourmel avait appartenu à l'armée. Il venait de donner sa démission pour se marier, et le jour de cette union était marqué lorsque la guerre éclata. Dès que l'on put prévoir que Paris serait assiégé il quitta sa province dans l'intention de s'offrir à la défense commune. Il n'en eût pas fait moins quand il eût su qu'il y laisserait sa vie.

Il a mérité d'abandonner la vie comme le voyageur qui s'éloigne avec indifférence du point de vue dont la beauté l'a charmé un instant, car son cœur est déjà au but de la course, et rien n'égale la beauté du foyer paternel où il se sent appelé. L. Veuillot.

TROIS JOURS DE CHRISTOPHE COLOMB.
DELAVIGNE (CASIMIR).

1793-1843.

Delavigne est également estimé comme élégiaque et comme dramatiste. Jusqu'ici, il clot la liste de nos poètes classiques.

"En Europe! en Europe! - Espérez ! Plus d'espoir !

Trois jours, leur dit Colomb, et je vous donne un monde."

Et son doigt le montrait, et son œil, pour le voir,
Perçait de l'horizon l'immensité profonde.

Il marche, et des trois jours le premier jour a lui;
Il marche, et l'horizon recule devant lui;

Il marche, et le jour baisse. Avec l'azur de l'onde
L'azur d'un ciel sans borne à ses yeux se confond.
Il marche, il marche encore, et toujours; et la sonde
Plonge et replonge en vain dans une mer sans fond.
Le pilote, en silence, appuyé tristement

Sur la barre qui crie au milieu des ténèbres,
Ecoute du roulis le sourd mugissement
Et des mâts fatigués les craquements funèbres.
Les astres de l'Europe ont disparu des cieux,
L'ardente Croix du Sud épouvante ses yeux.
Enfin l'aube attendue, et trop lente à paraître,
Blanchit le pavillon de sa douce clarté :

"Colomb! voici le jour! le jour vient de renaître.

Le jour et que vois-tu? Je vois l'immensité."

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Que fait Colomb? Il dort:

dans l'ombre on conspire.

"Périra-t-il? Aux voix ! La mort!-La mort! - La mort!

-

— Qu'il triomphe demain, ou, parjure, il expire."

Les ingrats! Quoi! demain il aura pour tombeau

Les mers où son audace ouvre un chemin nouveau !

Et peut-être demain leurs flots impitoyables,

Le poussant vers ces bords que cherchait son regard,
Les lui feront toucher, en roulant sur les sables
L'aventurier Colomb, grand homme un jour plus tard!

Soudain du haut des mâts descendit une voix : "Terre s'écriait-on, terre! terre !

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" Il s'éveille;

Il court. Oui, la voilà, c'est elle, tu la vois.

La terre, ô doux spectacle! ô transports! ô merveille!

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