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LE PIGEON.

Il était aisé de rendre domestiques des oiseaux pesants, tels que les coqs, les dindons et les paons; mais ceux qui sont légers, et dont le vol est rapide, demandaient plus d'art pour être subjugués. Une chaumière basse, dans un terrain clos, suffit pour contenir, élever et faire multiplier nos volailles; il faut des tours, des bâtiments élevés, faits exprès, bien enduits en dehors et garnis en dedans de nombreuses cellules, pour attirer, retenir et loger les pigeons. Ils ne sont réellement ni domestiques comme les chiens et les chevaux, ni prisonniers comme les poules; ce sont plutôt des captifs volontaires, des hôtes fugitifs, qui ne se tiennent dans le logement qu'on leur offre qu'autant qu'ils s'y plaisent, autant qu'ils y trouvent la nourriture abondante, le gîte agréable, et toutes les commodités, toutes les aisances nécessaires à la vie. Pour peu que quelque chose leur manque ou leur déplaise, ils le quittent et se dispersent pour aller ailleurs. Il y en a même qui préfèrent constamment les trous poudreux des vieilles murailles aux boulins les plus propres de nos colombiers; d'autres qui se gîtent dans des fentes et des creux d'arbres; d'autres qui semblent fuir nos habitations et que rien ne peut y attirer; tandis qu'on en voit au contraire qui n'osent les quitter, et qu'il faut nourrir autour de leur volière qu'ils n'abandonnent jamais. Buffon.

LE BERCEAU ET LA TOMBE.

Le berceau de l'enfant a le rideau de gaze,
Le doux balancement du genou maternel,
Et les songes légers, et la première extase
Qui rayonne aux fronts purs comme un astre éternel.

La tombe a le gazon qui la couvre et la presse,
Elle a le saule vert qui penche ses rameaux,
Elle a le rosier blanc qu'une abeille caresse,
Et la prière tendre, et le chant des oiseaux.

Tous les deux font rêver même l'indifférence;
A l'amour du penseur ils ont partout des droits,
Ils sont pleins de sommeil, de paix et d'espérance :
Sur l'un veille une mère, et sur l'autre une croix.

Ils parlent tous les deux d'une aurore vermeille,
L'un à l'enfant naissant, et l'autre à l'homme mort.
Le berceau donne un monde à l'enfant qui s'éveille,
La tombe donne un ciel au juste qui s'endort.

Hippolyte Violeau.

CE QUE C'EST QUE LA PATRIE.

A la

Le père Chaufour n'est plus qu'une ruine d'homme. place d'un de ses bras pend une manche repliée; la jambe gauche sort de chez le tourneur, et la droite se tire avec peine; mais, au-dessus de ces débris, se dresse un visage calme et jovial. En voyant son regard rayonnant d'une sereine énergie, on sent que l'âme est restée entière dans l'enveloppe à moitié détruite.

Toutes les fois que je le visitais, il me disait des choses qui me restaient dans l'esprit. Un jour, je le trouvai tout soucieux : "Jérôme, me dit-il, sais-tu ce qui se passe à la frontière? — Non, lieutenant, lui répondis-je. — Eh bien! reprit-il, la patrie est en péril."

Je ne comprenais pas trop, et, cependant, cela me fit quelque chose: "Tu n'as peut-être jamais pensé à ce que c'est que la patrie, reprit-il. La patrie, c'est tout ce qui t'entoure, tout ce que tu as aimé. Cette campagne que tu

vois, ces maisons, ces arbres, c'est la patrie! Les lois qui te protègent, le pain qui paye ton travail, les paroles que tu échanges, la joie et la tristesse qui te viennent des hommes et des choses parmi lesquels tu vis, c'est la patrie ! La petite chambre où tu as vu autrefois ta mère, les souvenirs qu'elle t'a laissés, la terre où elle repose, c'est la patrie!"

J'étais tremblant d'émotion, avec de grosses larmes dans les yeux: "Ah! j'entends, m'écriai-je, c'est la famille en grand, c'est le morceau du monde où Dieu a attaché notre corps et notre âme." Souvestre.

MA NORMANDIE.

BÉRAT (FRÉDÉRIC).

1800-1855.

Il est poète et compositeur. Ses chansons furent trèspopulaires, et ne manquent pas de beauté, surtout Ma Normandie, et la Lisette de Beranger.

Quand tout renaît à l'espérance,
Et que l'hiver fuit loin de nous,
Sous le beau ciel de notre France,
Quand le soleil revient plus doux,
Quand la nature est reverdie,
Quand l'hirondelle est de retour,
J'aime à revoir ma Normandie ;
C'est le pays qui m'a donné le jour.

J'ai vu les champs de l'Helvétie,
Et ses châlets et ses glaciers ;

J'ai vu le ciel de l'Italie,
Et Venise et ses gondoliers.
En saluant chaque patrie,
Je me disais: "Aucun séjour

N'est plus beau que ma Normandie ;
C'est le pays qui m'a donné le jour."

Il est un âge dans la vie,
Où chaque rêve doit finir,
Un âge où l'âme recueillie
A besoin de se souvenir.
Lorsque ma muse refroidie
Aura fini ses chants d'amour,
J'irai revoir ma Normandie ;

C'est le pays qui m'a donné le jour.

LE PETIT SAVOYARD.

GUIRAUD (ALEXANDRE).

1788-1847.

Il

Guiraud a su comprendre l'amour de l'Enfant de la Savoie pour ses chères montagnes, noble fils d'une noble mère. fallait un cœur chrétien comme celui de Guiraud pour peindre au naturel et avec grâce le petit Savoyard.

CHANT PREMIER. LE DÉPART.

"Pauvre petit, pars pour la France.

Que te sert mon amour? Je ne possède rien.
On vit heureux ailleurs; ici, dans la souffrance.
Pars, mon enfant : c'est pour ton bien.

"Tant que mon lait put te suffire,

Tant qu'un travail utile à mes bras fut permis,
Heureuse et délassée en te voyant sourire,
Jamais on n'eût osé me dire:

Renonce aux baisers de ton fils.

"Mais je suis veuve; on perd sa force avec la joie. Triste et malade, où recourir ici?

Où mendier pour toi? Chez des pauvres aussi ! Laisse ta pauvre mère, enfant de la Savoie ;

Va, mon enfant, où Dieu t'envoie.

"Mais, si loin que tu sois, pense au foyer absent;
Avant de le quitter, viens, qu'il nous réunisse.
Une mère bénit son fils en l'embrassant :
Mon fils, qu'un baiser te bénisse.

"Vois-tu ce grand chêne, là-bas?

Je pourrai jusque-là t'accompagner, j'espère.
Quatre ans déjà passés, j'y conduisis ton père ;
Mais lui, mon fils, ne revint pas.

"Encor s'il était là pour guider ton enfance,
Il m'en coûterait moins de t'éloigner de moi;
Mais tu n'as pas dix ans, et tu pars sans défense.
Que je vais prier Dieu pour toi! . . .

...

"Que feras-tu, mon fils, si Dieu ne te seconde?
Seul parmi les méchants (car il en est au monde),
Sans ta mère, du moins, pour t'apprendre à souffrir.
Oh! que n'ai-je du pain, mon fils, pour te nourrir !

"Mais Dieu le veut ainsi, nous devons nous soumettre : Ne pleure pas en me quittant;

Porte au seuil des palais un visage content.
Parfois mon souvenir t'affligera peut-être.

Pour distraire le riche, il faut chanter pourtant.

"Chante tant que la vie est pour toi moins amère ;

Enfant, prends ta marmotte et ton léger trousseau ;

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