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Pour nos péchés cette infortune :

Que le plus coupable de nous

Se sacrifie aux traits du céleste courroux;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévoûments.

Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.

Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense.
Même il m'est arrivé de manger

Le berger.

Je me dévoûrai donc s'il le faut; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi;
Car on doit souhaiter, selon toute justice,

Que le plus coupable périsse.

Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi ;

Vos scrupules font voir trop de délicatesse.

Hé bien manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? non, non, vous leur fîtes, Seigneur,
En les croquant, beaucoup d'honneur.

Et quant au berger, on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.

Ainsi dit le renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir

Du tigre ni de l'ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses :

Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,

Au dire de chacun étaient de petits saints.

L'âne vint à son tour, et dit: J'ai souvenance

Qu'en un pré de moines passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.

A ces mots on cria haro sur le baudet.

Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,

Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout le mal.

Sa peccadille fut jugée un cas pendable.

Manger l'herbe d'autrui, quel crime abominable!
Rien que la mort n'était capable

D'expier son forfait.

On le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

La Fontaine.

INSECTES D'UN JOUR SUR L'HYPANIS, DISCOURS DE L'UN D'EUX.

Aristote dit qu'il y a sur la rivière Hypanis de petites bêtes qui ne vivent qu'un jour. Celle qui meurt à huit heures du matin, meurt en sa jeunesse ; celle qui meurt à cinq heures du soir, meurt en sa décrépitude.

Supposons qu'un des plus robustes de ces hypaniens fût, selon ces nations, aussi ancien que le temps même, il aura commencé à exister à la pointe du jour, et, par la force de son tempérament il aura été en état de soutenir une vie active pendant le nombre infini de secondes de dix ou douze heures. Durant une si longue suite d'instants, par l'expérience et ses réflections sur tout ce qu'il a vu, il doit avoir acquis une haute sagesse il voit ses semblables qui sont morts sur le midi, comme des créatures heureusement délivrées du grand nombre d'incommodités aux quelles la vieillesse est sujette. Il peut avoir à raconter à ses petits fils une tradition étonnante de

faits antérieurs à tous les mémoires de la nation. Le jeune essaim, composé d'êtres qui peuvent déjà avoir vécu une heure, approche avec respect de ce vénérable vieillard, et écoute avec admiration ses discours instructifs. Chaque chose qu'il leur racontera, paraîtra un prodige à cette génération, dont la vie est si courte. L'espace d'une journée leur paraîtra la durée entière des temps, et le crépuscule du jour sera appelé dans leur chronologie la grande ère de leur création.

Supposons maintenant que ce vénérable insecte, ce Nestor de l'Hypanis, un peu avant sa mort, et vers le coucher du soleil, rassemble tous ses descendants, ses amis et ses connaissances, pour leur faire part en mourant de ses derniers avis. Ils se rendent de toutes parts sous le vaste abri d'un champignon, et le sage moribond s'adresse à eux de la manière suivante :

"Amis et Compatriotes, je sens que la plus longue vie doit avoir une fin. Le terme de la mienne est arrivé; et je ne regrette pas mon sort, puisque mon grand âge m'était devenu un fardeau, et que, pour moi, il n'y a plus rien de nouveau sous le soleil. Les révolutions et les calamités qui ont désolé mon pays, le grand nombre d'accidents aux quels nous sommes tous sujets, les infirmités qui affligent notre espèce, et les malheurs qui me sont arrivés dans ma propre famille, tout ce que j'ai vu dans le cours d'une longue vie, ne m'a que trop appris cette grande vérité, qu'aucun bonheur placé dans les choses qui ne dépendent pas de nous, ne peut être assuré ni durable. Une génération a péri par un vent aigu, une multitude imprudente de notre jeunesse a été balayée dans les eaux par un vent frais et inattendu. Quels terribles déluges ne nous a pas causés une pluie soudaine! Nos abris même les plus solides ne sont pas à l'épreuve d'un orage de grêle. Un nuage sombre fait trembler tous les cœurs les plus courageux.

"J'ai vécu dans les premiers âges, et conversé avec des. insectes d'une plus haute taille, d'une constitution plus forte, et je puis dire encore d'une plus grande sagesse qu'aucun de

la présente génération. Je vous conjure d'ajouter foi à mes dernières paroles, quand je vous assure que le soleil qui nous paraît maintenant au-delà de l'eau, et qui semble n'être pas éloigné de la terre, je l'ai vu autrefois fixé au milieu du ciel, et lancer ses rayons directement sur nous. La terre était beaucoup plus éclairée dans les âges reculés, l'air beaucoup plus chaud, et nos ancètres plus sobres et plus vertueux.

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Quoique mes sens soient affaiblis, ma mémoire ne l'est pas; je puis vous assurer que cet astre glorieux a du mouvement. J'ai vu son premier lever sur le sommet de cette montagne, et je commençai ma vie vers le temps où il commença son immense carrière. Il a, pendant plusieurs siècles avancé dans le ciel avec une chaleur prodigieuse, et un éclat dont vous ne pouvez avoir aucune idée, et que sûrement vous n'auriez pu supporter; mais maintenant, par son déclin et une diminution sensible dans sa vigueur, je prévois que la nature doit finir en peu de temps, et que ce monde va être enseveli dans les ténèbres en moins d'une centaine de minutes.

"Hélas, mes Amis, combien ne me suis-je pas autrefois flatté de l'espérance trompeuse d'habiter toujours cette terre ! quelle magnificence dans les cellules que je me suis moi-même creusées! quelle confiance n'avais-je pas mise dans la fermeté de mes membres et dans le ressort de leurs jointures, et dans la force de mes ailes! Mais j'ai assez vécu pour la nature et pour la gloire et aucun de ceux que je laisse après moi n'aura la même satisfaction en ce siècle de ténèbres et de décadence que je vois commencer."

Anonyme.

EFFET DU SOLEIL COUCHANT SUR LES NUAGES.

BENARDIN DE SAINT-PIERRE.

1737-1814.

Désabusé de ses utopies philanthropiques, il employa son temps à des études littéraires. Il publia d'abord les Études

de la nature, ensuite Paul et Virginie, roman délicieux, et enfin les Harmonies de la nature. Ce dernier ouvrage, comme les Etudes, renferme des théories sans fondement. Son style est soigné, son sentiment délicat.

Quelquefois les vents alizés du nord-est et du sud chassent les nuages à l'occident, en les croisant les uns contre les autres, comme les mailles d'un panier à jour. Ils jettent sur les côtés de ce réseau les nuages qu'ils n'ont pas employés, et qui ne sont pas en petit nombre; ils les roulent en énormes masses blanches comme la neige, les contournent sur les bords en forme de croupes, et les entassent les uns sur les autres, comme les Cordillères du Pérou, en leur donnant des formes de montagnes, de cavernes et de rochers; ensuite, vers le soir, ils calmissent un peu, comme s'ils craignaient de déranger leur ouvrage. Quand le soleil vient à descendre derrière ce magnifique réseau, on voit passer par tous ces losanges une multitude de rayons lumineux qui y font un tel effet, que les deux côtés de ce losange qui en sont éclairés paraissent relevés d'un filet d'or, et les deux autres, qui devraient être dans l'ombre, sont teints d'un superbe nacarat. Quatre ou cinq gerbes de lumière, qui s'élèvent du soleil couchant jusqu'au zénith, bordent de franges d'or le sommet indécis de cette barrière céleste, et vont frapper des reflets de leurs feux les pyramides des montagnes aériennes collatérales, qui semblent alors être d'argent et de vermillon. C'est dans ce moment qu'on aperçoit, au milieu de leurs groupes redoublés, une multitude de vallons, qui s'étendent à l'infini, et se distinguent à leur ouverture par quelque nuance de couleur de chair ou de rose. Ces vallons célestes présentent dans leurs divers concours des teintes inimitables de blanc, ou des ombres qui se prolongent, sans se confondre, sur d'autres ombres. Vous voyez çà et là sortir, des flancs caverneux de ces montagnes, des fleuves de lumière qui se précipitent en lingots d'or et

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