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La mort vole au hasard dans l'horrible carrière :

L'un périt tout entier; l'autre, sur la poussière,
Comme un tronc dont la hache a coupé les rameaux,
De ses membres épars voit voler les lambeaux,
Et se traînant encore sur la terre humectée,
Marque en ruisseaux de sang sa trace ensanglantée.
Le blessé que la mort n'a frappé qu'à demi
Fuit en vain, emporté dans les bras d'un ami:
Sur le sein l'un de l'autre ils sont frappés ensemble,
Et bénissent du moins le coup qui les rassemble.
Mais de la foudre en vain les livides éclats
Pleuvent sur les deux camps; d'intrépides soldats,
Comme la mer qu'entr'ouvre une proue écumante
Se referme soudain sur sa trace fumante,

Sur les rangs écrasés formant de nouveaux rangs,
Viennent braver la mort sur les corps des mourants.
Accourez maintenant, amis, épouses, mères !

Venez compter vos fils, vos époux et vos frères;
Venez sur ces débris disputer aux vautours
L'espoir de vos vieux anx, le fruit de vos amours.
Que de larmes sans fin sur eux vont se répandre :
Dans vos cités en deuil que de cris vont s'entendre,
Avant qu'avec douleur la terre ait reproduit,
Misérables mortels, ce qu'un jour a détruit.
Mais au sort des humains la nature insensible
Sur leurs débris épars suivra son cours paisible:
Demain, la douce aurore en se levant sur eux,
Dans leur acier sanglant réflechira ses feux ;
Le fleuve lavera sa rive ensanglantée,
Les vents balayeront leur poussière infectée,
Et le sol, engraissé de leurs restes fumants,
Cachera sous des fleurs leurs pâles ossements.

Lamartine.

JESUS-CHRIST, ROI DES CŒURS.

LACORDAIRE (HENRI).

1802-1861.

Lacordaire fut le premier religieux à siéger à l'Académie française. Aprés sa conversion, il quitta le barreau pour entrer à St. Sulpice. Il eut le bonheur de rétablir les Dominicains en France. Ses Conférences eurent un grand succès. Son style est très imagé, et son débit incomparable.

Il y a un homme dont l'amour garde la tombe; il y a un homme dont le sépulcre n'est pas seulement glorieux, comme l'a dit un prophète, mais dont le sépulcre est aimé. Il y a un homme dont la cendre, après dix-huit siècles, n'est pas refroidie, qui chaque jour renaît dans la pensée d'une multitude innombrable d'hommes; qui est visité dans son berceau par les bergers et par les rois lui apportant à l'envi et l'or, et l'encens et la myrrhe. Il y un homme dont une portion considérable de l'humanité reprend les pas sans se lasser jamais, et qui, tout disparu qu'il est, se voit suivi par cette foule dans tous les lieux de son antique pélérinage, sur les genoux de sa mère, au bord des lacs, au haut des montagnes, dans les sentiers des vallées, sous l'ombre des oliviers, dans le secret des déserts. Il y a un homme mort et enseveli, dont on épie le sommeil et le réveil, dont chaque mot qu'il a dit, vibre encore et proquit plus que l'amour, proquit des vertus fructifant dans l'amour. Il y a un homme attaché depuis des siècles à un gibet; et cent homme, des millions d'adorateurs le détachent chaque jour de ce trône de son supplice, se mettent à genoux devant lui, se prosternent au plus bas qu'ils peuvent sans en rougir et, là par terre, lui baisent avec une indicible ardeur les pieds sanglants. Il y a un homme flagellé tué, crucifié, qu'une inénarrable passion ressuscite de la mort et de l'infa

mie, pour le placer dans la gloire d'un amour qui ne défaille jamais, qui trouve en lui la paix, l'honneur, la joie et jusqu'à l'extase. Il y a un homme poursuivi dans son supplice et sa tombe par une inextinguible haine, et qui, demandant des apôtres et des martyrs à toute postérité qui se lève, trouve des apôtres et des martyrs au sein de toutes les générations. Il y a un homme enfin, et le seul, qui a fondé son amour sur la terre, et cet homme, c'est vous, ô Jésus ! qui avez bien voulu me baptiser, me oindre, me sacrer dans votre amour, et dont le nom seul, en ce moment, ouvre mes entrailles et en arrache cet accent qui me trouble moi-même, et que je ne me connaissais pas.

Qui donc est aimé des grands hommes? Qui dans la guerre ? est-ce Alexandre, César, Charlemagne ? Qui dans le sagesse ? est-ce Aristote ou Platon? Qui est aimé des grands hommes ? Qui? Nommez-m'en un seul; nommez-moi un homme mort qui ait laissé l'amour sur son tombeau. Mahomet est vénéré des musulmans; il n'est point aimé. Jamais un sentiment d'amour n'a effleuré le cœur du musulman répétant sa maxime. “Dieu est Dieu, et Mahomet est son prophète." Un seul homme a rendu tous les siècles tributaires envers lui d'un amour qui ne s'éteint pas; roi des intelligences, Jésus-Christ est encore le roi des cœurs, et, par une grâce confirmatrice de celle qui n'appartient qu'à lui, il a donné à ses saints le privilège de produire aussi dans la mémoire des hommes un souvenir pieux et constant.

Toutefois, ce n'est pas tout, le royaume des âmes n'est pas encore établi. Jésus-Christ, étant Dieu, ne devait pas se contenter d'une foi inébranlable et d'un amour immortel; il devait exiger l'adoration. L'adoration est l'anéantissement de soi-même devant un être supérieur, et ce sentiment, Messieurs, est loin de nous être inconnu. Il gît, comme tous les autres, au fond de notre nature; il y joue un plus grand rôle que peut-être vous ne le pensez. Tous, plus ou moins, ne

nous le dissimulons pas, tous nous voulons être adorés. C'est ce désir inné de l'adoration qui a produit toutes les tyrannies. ... Quiconque a été adoré tôt ou tard la main populaire le précipitera du haut de la majesté divine usurpée, et la traînera, la corde au cou, aux gémonies de la rue et aux gémonies plus sanglantes encore d'un opprobre éternel. Ainsi le veut l'histoire, cette puissance chargée de la promulgation des jugements de Dieu sur l'orgueil de l'homme.

Cependant, malgré l'histoire, Jésus-Christ est adoré. Homme mortel et mort, il a su conquérir une adoration qui subsiste, et dont il n'y a pas d'autre exemple ici-bas. Quel empereur a gardé ses temples et ses statues? Qu'est devenue toute

cette population de dieux créés par la flatterie? La poussière n'en existe même plus, et le souvenir qui en survit n'est qu'une occasion pour la pensée d'admirer l'extravagance des hommes et la justice de Dieu. Jésus-Christ seul est demeuré debout sur ses autels, non pas dans un coin du monde, mais par toute la terre et chez les nations célèbres par la culture de l'esprit. Les plus grands monuments de l'art abritent ses saintes images, les cérémonies les plus magnifiques réunissent les peuples à l'ombre de son nom; la poésie, la musique, la peinture, la sculpture s'épuisent à parler de lui et à lui faire un encens digne de l'adoration que les siècles lui ont vouée. Et encore, sur quel trône l'adore-t-on? Sur une croix. Que dis-je, sur une croix ! On l'adore sous la vile apparence du pain et du vin. Ici la pensée se confond tout à fait. Il semble que cet homme ait pris plaisir à abuser de son étrange puissance et à braver l'humanité tout entière en la courbant éperdue devant les simulacres les plus vains. Descendu par son supplice plus bas que la mort, il a fait de la honte même le siège de sa divinité, et non content de ce triomphe, il a voulu que nous reconnussions sa suprême essence et son éternelle yie par une adoration qui donnât à nos sens un affreux démenti. peut-il concevoir d'un tel succès dans une telle audace?

Rien se

Il est vrai, des mains nombreuses ont essayé de le jeter bas de ses autels, mais leur impuissance n'a servi qu'à confirmer sa gloire. A chaque outrage il a paru grandir; le génie l'a protégé contre le génie, la science contre la science, l'empire contre l'empire; il s'est fait des armes de toutes les armes qu'on a levées contre lui, et, quand on le croyait à terre, le monde l'a vu debout, calme, serein, maître, adoré.

LE CRUCIFIX.

Toi, que je recueillis sur sa bouche expirante
Avec son dernier souffle et son dernier adieu,
Symbole deux fois saint, don d'une main mourante,
Image de mon Dieu !

Que de pleurs ont coulé sur tes pieds que j'adore,
Depuis l'heure sacrée où du sein d'un martyr
Dans mes tremblantes mains tu passais tiède encore
De son dernier soupir.

Les saints flambeaux jetaient une dernière flamme.
Le prêtre murmurait ces doux chants de la mort,
Pareils aux chants plaintifs que murmure une femme
A l'enfant qui s'endort.

De son pieux espoir son front gardait la trace;
Et sur ses traits frappés d'une auguste beauté,
Le douleur fugitive avait empreint sa grâce,
La mort, sa majesté.

Le vent, qui caressait sa tête échevelée,
Me montrait tour à tour et voilait ses traits,
Comme l'on voit flotter sur un blanc mausolée
L'ombre des noirs cyprès.

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