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de sa carrière, car, six mois après cette solennité, notre sympathique confrère succombait à la cruelle maladie qui le torturait depuis plusieurs années.

La création d'une Société botanique en Belgique ne pouvait laisser Morren indifférent. En 1862, quand un comité provisoire, dont Eugène Coemans était le président et M. F. Crépin le secrétaire, adressa une circulaire invitant tous les botanistes belges à se réunir le 1er juin au Jardin botanique de Bruxelles, à l'effet de fonder une Société, Morren s'empressa d'adhérer. Si le rôle de notre savant confrère fut un peu effacé au sein de la nouvelle association, on ne doit pas en rechercher la cause dans l'indifférence, mais bien dans ses multiples occupations de professeur et de publiciste. Il lui portait, au contraire, un réel intérêt et aimait de s'y rencontrer avec ses nombreux amis.

Il assista aux herborisations générales des années 1864 1866, 1870, 1871 et 1872. Dans ses courses botaniques, Morren se fit connaitre comme un aimable confrère, plein de verve et d'entrain. Maintes fois, on y fut témoin de joutes oratoires entre lui et le président de la Société, feu B. Du Mortier. Ces deux botanistes se ressemblaient par bien des côtés : chez le Tournaisien comme chez le Liégeois, la vivacité, l'ardeur, nous ajouterons même la pétulance de la parole, étaient à peu près les mêmes; c'était plaisir de les voir aux prises sur des questions scientifiques.

junior, d'Anvers, s'était constitué à l'effet de réunir des souscriptions destinées à offrir un souvenir de reconnaissance à MM. Morren, président, A. De Bosschere, secrétaire général, C. Bernard, délégué du Gouvernement, et F. Crépin, président du comité de patronage. Au mois de juillet dernier, de magnifiques albums, renfermant les portraits d'ur très grand nombre de membres du Congrès furent remis à MM. De Bosschere, Bernard et Crépin. L'exemplaire destiné à Morren a été envoyé à Mme Morren.

Disons-le tout de suite, l'amitié n'avait pas à souffrir de ces assauts, où les traits se portaient et se rendaient avec courtoisie.

Aux élections de 1884, Morren fut nommé viceprésident de la Société et ce mandat lui fut renouvelé l'année suivante. On ne pouvait guère soupçonner alors qu'il pût mourir avant la célébration, au mois d'août 1887, du 25 anniversaire de la Société.

En vue de cet anniversaire, la Société a ouvert un concours qui comprend une série de questions touchant aux diverses branches de la botanique. La question proposée par Morren est celle-ci : Exposer la structure anatomique de l'appareil végétatif dans la famille des Broméliacées. Notre regretté ami avait gracieusement offert un prix de trois cents francs à l'auteur de la meilleure réponse à cette question.

La carrière scientifique de Morren embrasse une période de trente ans. Si elle fut relativement courte, on peut dire qu'elle a été admirablement remplie par une foule de travaux de cabinet et par une propagande ininterrompue.

On a parfois donné à entendre que Morren a un peu trop disséminé ses efforts, trop embrassé, qu'il s'est ainsi mis dans l'impossibilité de se spécialiser et de poursuivre d'une façon suffisamment approfondie, les questions qu'il avait abordées, et qu'ainsi sa gloire scientifique en a souffert. Ce reproche a quelque apparence de fondement, mais remarquons que tous les savants ne sont pas coulés dans le même moule: tel est propre aux tranquilles et patientes recherches de laboratoire; tel autre est né avec les besoins et les aptitudes du vulgarisateur et se sent fatalement poussé vers une vie d'activité et de propagande. Morren, avec ses brillantes qualités d'écrivain et d'orateur, avec sa facilité d'assimilation, devait être avant tout un vulgarisateur, en quelque sorte un soldat d'avant-garde. Mais s'il n'a pas consacré toute son activité à la poursuite de la solution de quelques difficiles problèmes de physiologie ou d'anatomie, il a néanmoins, dans la voie où il s'était engagé, rendu d'éminents services, et ses nombreux travaux autoriseront l'historien à lui réserver une belle place dans le panthéon de la botanique et de l'horticulture. N'oublions pas, avant de porter un jugement sur la valeur de Morren, de nous rappeler que la mort est venue lui ravir les fruits d'un long labeur, qui eût porté bien haut, n'en doutons pas, sa réputation de phytographe: nous faisons allusion à sa grande monographie des Broméliacées.

Nous voyons Morren aborder successivement des sujets de physiologie et de morphologie: études sur la coloration, sur les stomates, sur l'influence de la lumière et des gaz, sur la nutrition, sur les plantes carnivores, sur la sensibilité et la motilité des végétaux, etc., etc.

Il s'occupe, en même temps, de taxinomie, d'acclimatation et phytographie

Il traite les questions d'enseignement supérieur. Il fait, en outre, l'histoire générale de la botanique en Belgique et rappelle, dans une riche série de biographies, le souvenir de nos principales gloires botaniques.

Au point de vue horticole, il traite une foule de questions théoriques et pratiques.

Pendant qu'il fait voir le jour à des travaux si variés, il ne cesse de rassembler les matériaux d'une monographie générale de la famille des Broméliacées. Cette famille est importante; elle ne comprend pas moins de 350 espèces habitant les régions tropicales et subtropicales de l'Amérique. De même que les Orchidées et les Cactées, les Broméliacées, pour être bien connues et bien décrites, ont besoin d'ètre étudiées à l'état vivant: dans les herbiers, elles sont déformées et sont souvent rebelles aux dissections. Néanmoins, Morren s'empresse de réunir, à Liège, tous les matériaux qui se trouvent disséminés dans les herbiers d'Europe. Tous les grands établissements lui confient leurs Broméliacées: St-Pétersbourg, Berlin, Vienne, Florence, Bruxelles, Paris, etc., etc. Il se fait ensuite construire des serres spéciales pour cultiver toutes les espèces qu'il parvient à se procurer. Il s'adresse aux Jartins botaniques, aux horticulteurs, aux botanistes-voyageurs qui parcourent l'Amérique. Il réussit, par des démarches sans nombre et au prix de grands sacrifices d'argent, à réunir une magnifique collection de Bromélacées vivantes. Au fur et à mesure de leur floraison, celles-ci sont livrées à un habile artiste qui en reproduit le port et tous les détails indispensables à la connaissance des divers organes. D'année en année, l'album d'aquarelles devient plus volumineux. Il devait servir à constituer les icones de la monographie. Pendant ce temps, Morren accumule les notes et les descriptions, et en attendant l'achèvement de l'œuvre définitive, il publie, de temps à autre, la diagnose de quelques types inédits.

Morren, ne soupçonnant pas que la mort pût venir le surprendre dans toute la force de l'âge, ne voulait pas précipiter son grand travail; il attendait patiemment les nouveaux matériaux qui lui étaient promis; il ne voulait tirer de conclusions qu'après avoir épuisé son sujet. Trompeuses furent ses espérances; la maladie le saisit à l'improviste et ne lui laissa plus que de courts instants de calme. La pensée d'abandonner son grand travail a dû lui causer de poignants regrets et attrister ses derniers jours. Il voyait ses belles collections de Broméliacées qu'il cultivait avec tant de soin, destinées à ètre dispersées sans profit pour la science; il voyait sa magnifique collection iconographique devenir un simple ornement pour une bibliothèque; il pressentait enfin le triste sort auquel était voué tout ce qui l'avait le plus passionné depuis de nombreuses années. Personne ne pouvait reprendre en main le travail inachevé: l'auteur seul était capable de faire jaillir, de ces vastes matériaux, les données générales qui en découlaient au point de vue de la valeur relative et de la filiation des espèces et de leur apparition dans le temps et dans l'espace.

En terminant ce trop court aperçu de la carrière si féconde d'Édouard Morren, tentons, s'il est possible, de faire revivre quelques instants notre sympathique confrère, en reproduisant les traits les plus saillants de son

caractère.

Morren était un homme tout en dehors, très expansif et très franc; ce qu'il pensait, il le disait sans ambages et aussi sans arrière-pensée, ne se préoccupant nullement des conséquences de sa franchise. Comme il aimait beaucoup de parler, et il parlait bien, il lui arrivait parfois, dans la chaleur de la discussion, de dépasser sa pensée. Aux yeux de certaines personnes qui mesurent leurs paroles avec un

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