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« que Dieu m'écoute. » Le pape saint Léon, qui vivait sur la fin du cinquième siècle, écrivait à l'évêque de Narbonne, au sujet des filles qui épousaient des hormes qui avaient des concubines : « Les filles qui « sont mariées avec l'autorité de leurs pères, ne sont point en faute si les femmes qu'avaient leurs maris « n'étaient pas véritablement mariées, parce qu'au<«<tre chose est femme mariée, autre chose est con<«< cubine. » Si dans les temps où ces docteurs de l'Eglise vivaient, on eût encore attaché à l'expression de concubine, une espèce d'union légitime, ils n'auraient pas manqué d'en faire des distinctions. Plusieurs conciles des septième et huitième siècles ne donnent pas un sens plus avantageux au mot de concubine. Le droit français se régla par ces maximes. Pour nous assurer que nos lois civiles adoptèrent sur ce point la discipline de l'Eglise, il suffit de lire les titres 59, 60, 105 et 336 de concubinis non habendis, du livre 7 des capitulaires de Charlemagne. Cordemoi, qui est un de nos historiens les plus favorables au concubinage, dit, sur l'an 638, « que «loi était fort exacte en ce qui regardait l'honnêteté << des mariages et le repos des familles. Les enfans, « ajoute-t-il, dépendaient tellement de leurs parens, «< qu'ils ne pouvaient se marier sans leur consente«<ment; et quand un homme voulait épouser une « fille, il fallait qu'il offrit, aux parens de cette fille, la loi ne marque pas : mais Fréde« gaire la fait connaître, en disant que quand les << ambassadeurs du grand Clovis demandèrent Clo

<< une somme que

la

tilde en mariage, ils offrirent un sou et un denier, << suivant la coutume des Français. La même somme << est marquée dans les formules de Marculfe. Que << si celle qu'on voulait épouser était veuve, il fallait, «< comme elle ne dépendait plus de personne de qui << on la pût acheter, offrir en jugement trois sous et << un denier; et cette somme, qui était le prix de « sa liberté, se donnait à des parens de son mari, << autres que ceux qui lui avaient succédé. Il fallait « aussi, pour rendre la séance où cette offre se faisait «< plus solennelle, qu'il y eût un bouclier, et qu'on «y jugeât au moins trois causes; autrement la loi dé<«< clarait le mariage illégitime (1). » Il me semble des concubines légitimes ne pouvaient guère que s'accorder avec des usages si stricts.

Au surplus, quand même l'expression de concubine eût continué, dans les premiers siècles de la monarchie française, de signifier une union permise, les défenseurs du concubinage (2) n'en pourraient tirer aucun avantage en faveur de nos rois, qui ne se faisaient point de scrupule d'entretenir plusieurs femmes à la fois. Clotaire Ier avait en même temps Ingonde et Aregonde. Théodebert Ier était marié à Visigarde, lors

(1) Formul. 75.

(2) De ce nombre est le Père Daniel, auquel on a reproché d'avoir écrit dans l'intérêt des enfans naturels de Louis XIV, sous l'influence de Mme de Maintenon. (Voyez son Histoire de France, ouvrage encore utile, malgré ses défauts.)

(Edit. C. L.)

qu'il fit venir à la cour Deutérie, dame de Cabrières, qui devint mère du roi Théodebalde. Dagobert I avait pour épouse Nantilde, lorsqu'il eut de Ragnetrude le roi Sigibert II, etc. Ces faits se lisent dans Grégoire de Tours, Frédegaire, Mézerai, Daniel. Or, on convient qu'il était défendu par les lois ecclésiastiques et civiles, d'avoir une épouse et une concubine. Ainsi, dès qu'il est prouvé que nos rois avaient l'une et l'autre ensemble, l'une des deux ne pouvait être qu'une concubine prise en mauvaise part.

Ceux qui aiment à trouver tous nos usages chez les Romains, allégueront peut-être que l'empereur Valentinien Ir avait fait une loi qui permettait à tous les citoyens de l'empire romain d'avoir deux femmes à la fois; et que les rois français qui laissèrent subsister le droit romain dans les Gaules conquises, auraient bien pu adopter une loi faite par un empereur chrétien. Je dirai que la loi de Valentinien de celui de la papesse est un conte, dans le genre Jeanne. Un académicien dont l'érudition et la sagacité sont connues, a prouvé que cette loi est fausse (1). D'ailleurs, les empereurs Théodose, Arcadius et Honorius, firent depuis des lois si contraires à cette prétendue loi, qu'elles l'eussent détruite, si elle eût ja

mais existé.

Enfin, comment peut-on imaginer que quand nos anciens historiens ont écrit que nos rois avaient des concubines, ils ont voulu signifier, par cette ex

(1) M.Bonamy, Mém. de l'Acad. des inscript. et bel. let., t. 30,

pression, une femme légitime, eux qui s'écrient contre les désordres de ces princes; eux qui, étant chrétiens, savaient que le mariage, selon la loi de l'Evangile, exclut la multiplicité des femmes; et que si un homme ou une femme contracte plusieurs mariages, il n'y a de bon que le premier, à moins que ce premier n'ait été cassé par un jugement authentique, tel, par exemple, que l'a été celui d'Henri IV avec Marguerite de Valois !

Mais comment donc justifier cette espèce de sérail (c'est l'expression du Père Daniel) que nos rois mérovingiens entretenaient à leur cour? Le justifier! cela n'est pas possible: quant à en dire la raison, un passage de Tacite le développera. J'en ai déjà touché quelque chose dans un autre lieu. « Les Germain's « étaient presque les seuls des Barbares qui se con<< tentassent d'une seule femme, si l'on excepte quel<«<ques personnes qui, non par dissolution, mais à «< cause de leur noblesse, en avaient plusieurs (1). »

Nos rois, sortis d'une nation où la pluralité des femmes était une prérogative particulière attachée à la noblesse du sang, eurent peine à se guérir d'un préjugé qui flattait leur vanité et leur volupté. Il fut long-temps chez eux plus fort que la loi de la religion qu'ils avaient embrassée. Par une suite de ce préjugé, qui les autorisait à regarder la polygamie

(1) Propè soli Barbarorum singulis uxoribus contenti sunt; exceptis admodùm paucis qui non libidine, sed ob nobilitatem, plurimis nuptiis ambiuntur. (Tacit., Mor. Germ.)

comme un droit inhérent à leur haut rang, ils ne faisaient point de distinction d'enfans naturels et d'enfans légitimes; ils les considéraient tous comme également habiles à leur succéder, et ils n'admettaient point de différence dans les partages. Avec le temps, la religion et la politique abolirent cet usage..

SUPPLÉMENT

SUR LES CONCUBINES (1).

DANS un édit de l'empereur Henri II, rendu à la prière du pape, on avait décidé que les clercs n'auraient ni femmes ni concubines, et que les enfans des clercs seraient serfs de l'église dans laquelle leurs pères serviraient, quoique leurs pères fussent libres. Cette interdiction des concubines aux clercs, prouve qu'elles n'étaient pas telles qu'on les entend aujourd'hui, puisque la loi de Dieu, qui les défend à tous les chrétiens, aurait suffi.

Cette matière est trop curieuse pour que je ne l'étende pas, autant que cet ouvrage le permet, en rapportant un passage de Giannone, qui en donne une idée générale. « Quelques écrivains ont censuré la <<< disposition des lois qui permettent le concubinage, « et qui défendent seulement d'avoir en même temps.

(1) Extr. du président Hénault, Histoire de France, t. Im

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