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lective. L'ensemble avec lequel une majorité conservatrice, faible il est vrai, mais compacte, avait modifié l'adresse dans ce qu'elle renfermait de plus acerbe lui faisait croire qu'après tout le pays était avec le cabinet en complète communion d'idées. D'un autre côté, M. Molé comprenait à merveille qu'il n'était pas possible d'aller plus loin avec l'appui des treize voix que cette majorité avait données plus encore au gouvernement en général qu'au ministère en particulier. Il déclara qu'il ne garderait son portefeuille qu'autant qu'on se résoudrait à faire un appel au corps électoral, et un mémoire rédigé dans ce sens fut lu en conseil des ministres. Il pouvait se résumer ainsi : << A examiner de près la coalition, on voit qu'elle se compose d'éléments hétérogènes, gauche extrême, gauche modérée, légitimistes, centre gauche et une fraction doctrinaire; il est permis d'espérer, en démontrant au pays tout ce qu'a d'incorrect une telle alliance, qu'on obtiendra une majorité meilleure. » Le roi céda à ces observations. Une ordonnance royale parut au Moniteur le 2 février 1839; elle déclarait la Chambre des Députés dissoute, convoquait les colléges électoraux pour le 2 mars suivant, et les Chambres pour le 26 du même mois. Une note officielle accompagnait cette ordonnance; elle était conçue en ces termes laconiques: «Le roi n'ayant pas accepté la démission

des ministres, tous ont repris leur portefeuille. »> Les calculs de Louis-Philippe furent trompés. Le pays, livré à la fièvre électorale, tiraillé par les deux partis, donna raison à la coalition contre le ́ministère; ce dernier avait pourtant usé largement des ressources que lui offrait la possession du pouvoir. Il avait même employé l'arme de la destitution pour intimider les fonctionnaires accusés de faire de l'opposition, témoin M. Persil révoqué de sa lucrative présidence du conseil des monnaies. Ses sévérités mêmes tournèrent contre lui. La coalition obtint, en définitive, deux cent cinquante-quatre adhérents, tandis que la phalange ministérielle était réduite à deux cent quatre voix. Dès que le résultat fut connu, le 8 mars 1839, le comte Molé réunit ses collègues, et tous se rendirent aux Tuileries, où ils déposèrent leurs démissions entre les mains du roi.

Les adversaires du régime constitutionnel, qui attribuent aux vices de ce système gouvernemental la chute de la monarchie de 1830, peuvent assurément trouver un argument de plus dans cet épisode parlementaire de la coalition. Rien de si pólitiquement immoral, sans aucun doute, que l'alliance hybride de toutes ces fractions si diverses de l'assemblée élective dans le but unique de renverser un ministère afin de se mettre à sa place. Que penser de ces hommes, fort honnêtes dans la

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vie privée, parfaitement loyaux dans toutes les transactions qu'elle produit, dont la plupart étaient au fond complétement dévoués à la cause de l'ordre, et qui ne craignirent pas, dans un misérable calcul d'ambition, avec l'unique pensée de jouer aux portefeuilles, de jeter le pays dans une longue et dangereuse perturbation; qui sait même ? de provoquer une de ces révolutions soudaines rêvées par les factions énergiquement hostiles et toujours à l'affût des complications de ce genre? Faut-il croire que le sens moral fut amoindri chez ces hommes si distingués, pour le plus grand nombre, par la pratique de la vie parlementaire? Mais alors il faudrait avouer aussi que le parlementarisme fausse déplorablement les meilleurs esprits, détourne de la ligne droite les plus honnêtes talents. M. Guizot et M. Thiers renversant en 1839, au nom de la coalition, le ministère Molé; M. Thiers et M. Barrot renversant en 1848, au nom de la réforme, le ministère Guizot, voilà deux situations dont les analogies ne sont que trop évidentes pour l'observateur impartial, et on peut dire que la condamnation du régime parlementaire, du moins tel qu'il a toujours été appliqué en France, se trouve dans ces tristes et inévitables rapproche

ments.

LIVRE TREIZIÈME

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I. Solution définitive du différend hollando-belge. Crise ministérielle. Difficultés nombreuses. Cabinet provisoire. Émeute du 12 mai Lettre de Louis-Napoléon. Nouvelle combinaison ministérielle. Jugement des insurgés du 12 mai. II. Phase nouvelle de la question d'Orient. Intérêts divers des puissances européennes. Mahmoud et Méhémet-Ali. Bataille de Nezib. Mort de Mahmoud. Faiblesse du gouvernement ottoman. Intervention des puissances. La France sourdement écartée de leur action collective. Affaires législatives en France. Mariage de M. le duc de Nemours. Rejet de la dotation. Démission des ministres. III. Formation du cabinet du 1er mars. Ses débuts politiques. Session de 1840. Projet de loi relatif à la translation des restes mortels de Napoléon Ier. Situation de l'Europe au moment du traité du 13 juillet. Signature de ce traité. Lord Palmerston et M. Guizot. Colère du roi Louis-Philippe. Premières pensées de guerre. Attitude de M. Thiers. Préparatifs militaires. IV. Débarquement de Louis-Napoléon à Boulogne. Incidents divers. La tentative échoue et le prince est arrêté. Louis-Napoléon devant la Cour des Pairs. Condamnation. - V. Conséquences du traité du 15 juillet. Le roi et M. Thiers. Déchéance de Méhémet-Ali. Mesures coercitives adoptées par les puissances. Le ministère du 1er mars se retire. VI. Cabinet du 29 octobre. Affaires d'Espagne.

I

Le triomphe de la coalition, en amenant forcément la chute du ministère Molé, produisit une longue et dangereuse crise dont les intérêts matériels du pays eurent singulièrement à souffrir.

C'était tout naturel. Les partis hostiles au pouvoir se tenaient pour ainsi dire à l'affût de tout ce qui pouvait l'affaiblir ou le compromettre, et cette fois l'occasion était trop belle pour qu'ils la laissassent échapper. Aussi verrons-nous tout à l'heure que ce fut au bruit renouvelé des coups de fusil de l'émeute qu'une combinaison ministérielle sérieuse parvint à se réaliser.

Au moment même où le comte Molé s'éloignait des affaires, la question hollando-belge se dénouait, non sans efforts : la Belgique qui, en 1831, avait, comme nous l'avons dit, adhéré au traité des vingt-quatre articles afin de ne pas troubler plus longtemps le repos de l'Europe, ne voulait plus, après le refus opposé pendant sept années par le roi Guillaume à la réalisation de ce traité, reconnaître des stipulations que la force des choses lui avait, disait-elle, arrachées. Prête à supporter une lourde part dans le fardeau de la dette qui pesait sur les deux pays, elle prétendait du moins défendre à tout prix l'intégrité de son territoire. Les considérations financières eussent pu la préoccuper toutefois, grâce à la complication fatale de la suspension des paiements de la banque de Belgique, fondée par ordonnance royale du 12 février 1835, mesure dont le gouvernement s'empressa d'atténuer les désastreuses conséquences.

Cependant la conférence de Londres répondit

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