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que si les effets du traité du 15 novembre avaient pu être suspendus, le traité lui-même n'avait jamais été rompu, et que d'ailleurs ce traité n'était pas contracté avec la Hollande seulement. On sait que la conférence avait réduit à cinq millions de francs la rente annuelle que la Belgique devait payer pour sa part dans la dette commune; par une note en date du 14 janvier 1839, le gouvernement belge fit déclarer qu'il paierait les cinq millions dont on le grevait, mais uniquement à titre de compensation financière pour les territoires qu'il entendait conserver; il alla même jusqu'à offrir une somme de cinquante millions de francs une fois payée, proposition qui ne fut pas acceptée par les représentants des cinq puissances.

Ces derniers adressèrent enfin aux plénipotentiaires belges et hollandais un memorandum dans lequel se trouvaient formulées les décisions définitives de la conférence. Le dénoûment de la crise approchait. M. de Theux, ministre des affaires étrangères, vint, le 2 février 1839, énumérer devant la Chambre des Représentants les démarches faites par le gouvernement belge auprès des puissances pour reculer autant que possible l'exécution du traité. Ces explications furent mal accueillies par l'opposition, qui protesta, et la discussion devint des plus vives, bien que le ministre assurât qu'il conservait encore quelque espérance. Cette

attitude de l'opposition inquiétait à bon droit le gouvernement dans des conjonctures aussi graves. Il crut devoir proroger les Chambres, et, dans l'intervalle qui s'écoula jusqu'à leur réunion ultérieure, trois ministres, MM. de Merode, Ernst et d'Huart déposèrent leurs portefeuilles, ce qui aggravait encore la situation.

Toutefois, avant de se dissoudre, le cabinet n'avait négligé aucune des démonstrations qui pouvaient faire croire que la Belgique était prête à soutenir son droit par la force. Ainsi le ministre des finances demanda à la Chambre des Représentants de rendre exigibles par avance les six premiers mois de la contribution foncière, et son collègue de la guerre engagea au service de la Belgique le général polonais Scrzynecki. Cette dernière mesure ayant même paru offensante au cabinet de Saint-Pétersbourg qui, du reste, n'avait pas encore de représentant à Bruxelles, la Russie témoigna son mécontentement dans une note qu'elle adressa aux cours d'Autriche et de Prusse, et ces deux cours envoyèrent à leurs représentants diplomatiques un ordre de rappel, résolution qui fit éloigner le général polonais. Pendant ce temps, les négociants d'Anvers, Liége et Bruxelles faisaient parvenir au gouvernement des adresses nombreuses pour demander le maintien d'une paix si nécessaire à leurs intérêts mercantiles.

Enfin le 19 février 1839, le ministre des affaires étrangères vint soumettre à la Chambre des Représentants deux projets de loi dont l'un autorisait le roi à accepter le traité proposé par la conférence, dont l'autre indiquait les formalités que devaient remplir ceux des habitants du Limbourg et du Luxembourg qui voudraient conserver la qualité de belges. Les débats qui suivirent cette communication furent extrêmement orageux. La foule s'était portée dans les environs de la Chambre et faisait entendre la Marseillaise et la Brabançonne accompagnées de cris de guerre. L'agitation intérieure répondait à cette agitation du dehors, et un député, M. Dumortier, adressa au ministère les interpellations les plus violentes.

Le 28 février, la section centrale avait adopté le projet de loi à une majorité de trois voix seulement (42 contre 39), dix-sept représentants s'étant abstenus de voter. Le 18 mars l'ensemble des articles fut également adopté par l'assemblée, mais cette fois à la majorité de 58 voix contre 42. M. Gendebien, député du Luxembourg, quitta la salle immédiatement après ce vote, et fit connaître aussitôt au président qu'il donnait sa démission de représentant.

Porté devant le sénat belge, le débat devait être moins orageux M. de Baillet soutint la loi, le comte de Renesse la combattit, et enfin le projet

fut voté à une majorité considérable. La Belgique et la Hollande conclurent entre elles le traité définitif à la date du 19 avril 1839. Quelques jours plus tard il le fut également entre ces deux États, les cinq puissances et la Confédération germanique, dernier détail de cette longue et délicate affaire.

Si le règlement définitif d'une pareille difficulté fut accueilli avec une vive satisfaction par tous les cabinets de l'Europe, la France surtout, qui avait pris une large part dans la défense des intérêts nationaux du jeune État qui s'était élevé si près de ses frontières, devait accepter cette solution pacifique avec plaisir, préoccupée qu'elle se trouvait elle-même en ce moment des complications intérieures provoquées par la chute du ministère Molé.

Ces complications étaient grandes, en effet : fallait-il, par exemple, dans ce gouvernement imité du gouvernement britannique, agir comme on l'aurait fait en Angleterre en pareille circonstance, c'est-à-dire confier le pouvoir aux chefs des diverses nuances parlementaires qui avaient renversé le dernier cabinet? mais ces nuances étaient tellement tranchées que cela devenait impraticable. L'extrême droite comme l'extrême gauche s'étaient donné la main pour l'œuvre de destruction collective. M. Berryer, tout aussi bien que M. Laffitte, avait voté contre le ministère Molé;

et puis, autre difficulté non moins grave, comment contenter simultanément l'ambition des trois véritables chefs des fractions relativement modérées de la coalition, MM. Guizot, Thiers, Odilon Barrot? Ce dernier eût accepté la présidence de la Chambre, mais son nom effrayait la majorité conservatrice; M. Guizot eût bien voulu se charger de la présidence du conseil, mais alors que devenait M. Thiers? Une entrevue fut ménagée à ces divers personnages par leur état-major parlementaire sans qu'ils parvinssent à s'entendre. Le roi avait tout d'abord mandé auprès de lui le maréchal Soult, et l'avait chargé de composer un cabinet. Le maréchal voyant surtout dans la coalition le triomphe des idées du centre gauche, eut naturellement la pensée de former sous sa présidence un ministère de cette nuance parlementaire dans lequel il aurait réuni, pour ne citer que les noms principaux, MM. Thiers, Dupin aîné, Passy et Dufaure. M. Thiers exigeant que le roi acceptât un programme, Louis-Philippe, après quelques hésitations, avait fini par l'admettre. C'est qu'alors, il est bon de le remarquer, la prépondérance de M. Thiers était considérable. En veut-on une preuve? Avant que les hésitations du roi eussent cessé, M. Thiers écrivait au maréchal Soult : « Monsieur le Maréchal, j'ai fait pour servir avec vous des sacrifices que je ne regrette pas, car j'eusse été heureux de me trouver à vos côtés. Mais

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