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aujourd'hui que le roi a refusé nos propositions, je crois pouvoir user de la liberté qui nous est rendue pour me retirer de la combinaison. Je vous prie de me considérer comme en dehors de tout ministère proposé. J'aurais été charmé de me dire votre collègue, mais j'ai entrevu des difficultés qui me dégoûtent profondément de toute participation aux affaires. Les sacrifices que j'aurais eus à faire m'auraient été très-pénibles. Je profite donc volontiers de l'occasion qui me dégage, et je vous prie d'accepter l'expression de mon dévouement à votre personne. » Et le maréchal répondait ainsi à cette communication: « Mon cher monsieur Thiers, j'ai été appelé ce matin par le roi au moment où vous m'adressiez votre lettre. Le roi accepte toutes les conditions du programme qui lui a été remis : j'ai même été étonné, d'après ce qui s'était passé hier, de trouver sa Majesté dans une disposition semblable. Cette nouvelle disposition du roi me force à vous prier de passer chez moi. »>

Une fois le programme adopté par la couronne, il fallait encore le développer et le faire admettre par les hommes politiques dont on voulait composer le nouveau ministère. Une réunion dans ce but eut lieu aux Tuileries; elle se composait du maréchal Soult et de MM. Thiers, Dupin aîné, Passy, Dufaure, Humann et Villemain. M. Thiers désirait une intervention en Espagne en faveur de la

régente Marie-Christine et du gouvernement constitutionnel. Les affaires espagnoles prenaient, en effet, comme nous le verrons bientôt, une tournure de plus en plus défavorable pour la veuve de Ferdinand VII et les intérêts de la jeune reine Isabelle. Mais au seul mot d'intervention armée, M. Passy se révolta et développa avec vivacité les motifs de sa répulsion. Un second point, la présidence de la chambre des députés que M. Thiers demandait pour M. Odilon Barrot, fut également repoussé par M. Humann. Enfin, la discussion, tout en s'animant, s'envenima, et chacun se retira bien convaincu de l'impossibilité de la combinaison projetée.

On voulut alors essayer de rapprocher M. Thiers de M. Guizot par l'intermédiaire officieux de M. le duc de Broglie et former, s'il était possible, un cabinet de coalition. Il est vrai que la coalition elle-même paraissait déjà se dissoudre en présence des difficultés qu'elle avait créées; un rapprochement trèssensible s'était même produit entre M. Guizot et les centres conservateurs. Cette combinaison nouvelle n'aboutit donc pas, et l'embarras du roi s'accrut de ces avortements multipliés. La personnalité de M. Thiers était-elle le seul obstacle à la formation d'un cabinet homogène? On lui offrit une ambassade qu'il refusa aux applaudissements du centre

III.

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gauche, et les difficultés reparurent plus grandes encore, peut-être, que par le passé.

En France, un gouvernement constitutionnel ne saurait résister longtemps à des épreuves de cette nature. La situation devenait réellement périlleuse, et Louis-Philippe le comprenait bien. Le maréchal Soult, sur le renom militaire duquel il aimait à s'appuyer en cet instant, lui donna le conseil de former un cabinet provisoire composé, en quelque sorte, de simples chefs de service, hommes pratiques mais en sous-ordre, d'attendre ainsi la réunion prochaine des Chambres, et lorsqu'une majorité compacte se serait dessinée dans tel ou tel sens, de lui emprunter ses principaux meneurs pour leur confier le pouvoir. Le conseil était bon, sans doute, aussi fut-il presque immédiatement suivi, mais on avait compté sans la surprise de l'opinion publique singulièrement désappointée à la nouvelle de la composition de ce ministère essentiellement transitoire. Le 31 mars 1839, les ordonnances royales parurent. Elles appelaient M. de Gasparin au ministère de l'intérieur, M. Girod (de l'Ain) à celui de la justice, le duc de Montebello aux affaires étrangères, le général Cubières au département de la guerre, le baron Tupinier à la marine, MM. Parant et Gautier aux ministères de l'instruction publique et des finances. Il était évident que des

premiers scrutins de la Chambre des Députés sortirait la véritable et sérieuse combinaison du futur cabinet; mais tout le monde ne le comprit pas, et l'émotion fut assez vive dans Paris pour que des troupes dussent être mises sur pied en présence des rassemblements, préludes et avant-coureurs des scènes bien plus graves qui étaient sur le point de se produire.

Les Chambres se réunirent enfin et leur premier vote éclaira toute la situation. M. Thiers s'obstinait à porter M. Barrot à la présidence, ses adversaires mirent en avant le nom de M. Passy, manoeuvre habile des conservateurs qui eut le succès le plus complet. Deux cent vingt-trois voix appelèrent M. Passy à la présidence, tandis que M. Odilon Barrot n'en obtenait que cent quatre-vingt-treize. Les modérés l'emportaient; mais la coalition était dissoute. Une nouvelle tentative fut faite aussitôt par le roi pour la formation d'un ministère, dont M. Passy aurait été, pour ainsi dire le centre. Toutefois, les pourparlers se prolongèrent encore jusqu'au 12 mai 1839, et ce jour-là, un véritable coup de foudre vint, en réveillant soudainement le pouvoir, donner un brusque dénoûment à cette trop longue crise enfantée par la plus déplorable des intrigues parlementaires.

Le 12 mai 1839 était un dimanche; la population parisienne, tout entière au repos, avait déserté

le centre de la ville, soit pour aller goûter, hors des barrières, les plaisirs que lui promettait une belle journée de printemps, soit pour assister aux courses de chevaux qui avaient lieu au Champ-deMars. Soudain le bruit se répand que des hommes armés se sont montrés sur plusieurs points du quartier des émeutes et ont pillé des boutiques d'armuriers. Le fait était vrai; trois ou quatre cents insurgés appartenant à une société secrète qui, sous la dénomination de société des saisons, avait succédé à celle des droits de l'homme, tentaient un coup de main sous les ordres suprêmes de six chefs dont les plus connus étaient Barbès, Blanqui et Martin Bernard, noms que nous retrouverons plus d'une fois encore dans la suite de notre récit.

Cette poignée d'audacieux se porte d'abord, en traversant le pont Notre-Dame, sur le poste duPalais de Justice et l'enlève par surprise après une courte lutte dans laquelle un lieutenant de l'armée est mortellement blessé. Les insurgés s'élancent ensuite vers la préfecture de police, mais déjà elle a eu le temps de se mettre en défense, et voyant que de ce côté leur attaque ne saurait être couronnée de succès, ils marchent sur l'Hôtel de Ville dont ils désarment le poste ainsi que celui de la place du Marché-Saint-Jean; mais là devait s'arrêter leur triomphe passager. Des détachements de la garde municipale, à pied et à cheval, sortant de la

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