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préfecture de police les refoulent vers les rues étroites dont l'Hôtel de Ville est entouré. Le peuple d'abord inquiet et ému des coups de fusil qu'il entend, demeure indifférent à l'émeute et la regarde passer. Le mouvement révolutionnaire a commencé à trois heures et demie; à cinq heures Barbès et Blanqui ne comptent pas un soldat de plus, tandis que le rappel de la garde nationale rassemble les légions citoyennes et que de nombreux détachements de l'armée viennent se masser sur les quais et sur les places.

Vers le soir, des barricades s'élevèrent dans les rues Beaubourg, Transnonain, Grenétat. Elles furent rapidement enlevées par la garde municipale et un assez grand nombre d'insurgés parmi lesquels se trouvaient les principaux chefs, furent arrêtés, soit sur le lieu même du combat, soit pendant la nuit, dans les retraites qu'ils s'étaient ménagées.

On compara l'émeute du 12 mai à un de ces orages d'été qui éclatent tout à coup dans un ciel pur, grondent un moment avec fracas et s'éloignent ou s'apaisent subitement sans laisser de grandes traces de leur passage. Cette étrange échauffourée eut du moins pour résultat de prouver une fois de plus au pays, comme au gouvernement lui-même, combien, dans un système constitutionnel, les crises ministérielles trop prolongées

peuvent troubler et surexciter les esprits en encourageant les espérances des factions. La formation immédiate d'un ministère fut la première conséquence de cette levée de boucliers républicaine à laquelle on ne savait exactement d'abord quelle origine attribuer, ce qui donna au prince Louis-Napoléon l'occasion, saisie avec empressement par l'infatigable prétendant, d'écrire la lettre suivante au rédacteur du journal anglais le Times: « Monsieur, je vois avec peine par votre correspondance de Paris qu'on veut jeter sur moi la responsabilité de la dernière insurrection. Je compte sur votre obligeance pour réfuter cette insinuation de la manière la plus formelle. La nouvelle des scènes sanglantes qui ont eu lieu m'a autant surpris qu'affligé. Si j'étais l'âme d'un complot, j'en serais aussi le chef le jour du danger et je ne le nierais pas après une défaite, » phrase dont la réalisation pratique devait avoir lieu dans un avenir très-rapproché.

Le maréchal Soult avait été chargé par le roi de composer d'urgence ce cabinet nouveau dont les circonstances rendaient l'avénement si opportun. Il en accepta la présidence avec le portefeuille des affaires étrangères. Le général Schneider fut appelé au département de la guerre. L'amiral Duperré à la marine; M. Passy aux finances; M. Duchâtel à l'intérieur; M. Dufaure aux travaux publics;

M. Teste à la justice; M. Cunin-Gridaine au commerce et M. Villemain à l'instruction publique.

Assurément la composition de ce cabinet en fusionnant l'élément doctrinaire avec le centre. droit et le centre gauche, offrait des garanties de force et de stabilité. Mais une grande difficulté extérieure l'attendait et le menaçait. C'était, comme nous allons le voir, la seconde phase de la question d'Orient.

Le 12 juillet 1839, la Cour des Pairs rassemblée pour juger les fauteurs de la tentative insurrectionnelle du 12 mai condamnait Barbès à la peine de mort, Martin Bernard à la déportation. Plus tard, jugeant une deuxième série d'accusés de ce même complot, elle frappait également Blanqui de la peine capitale. Quarante de leurs complices étaient punis d'une détention plus ou moins longue. Barbès1 et Blanqui obtinrent une commutation de peine. Louis-Philippe a été le prince le plus clément de son époque. Il avait horreur du sang versé.

1. La sœur de Barbès était allée se jeter aux pieds du roi qui, malgré l'avis des ministres, lui accorda la commutation de la peine de mort remplacée d'abord par les travaux forcés à perpétuité et ensuite par la déportation.

II

La question d'Orient, en se reproduisant tout à coup, ou, comme nous venons de le dire, en entrant dans une phase nouvelle, fit soudainement éclore entre les grandes puissances des germes d'antagonisme qui auraient pu compromettre sérieusement la paix du monde.

L'Europe entière se trouvait, en effet, plus ou moins directement intéressée dans cette question : la France par ses vives sympathies pour MéhémetAli; l'Autriche par la nécessité de défendre les embouchures du Danube contre l'ambition persévérante du cabinet de Saint-Pétersbourg; la Russie, elle-même, par la chance de réaliser, à l'égard de Constantinople, la pensée conquérante léguée par Catherine à ses successeurs. Quant à la GrandeBretagne, elle avait en Orient un double but à atteindre, un double rôle à remplir: s'unir à l'Autriche et à la France pour contenir l'essor du gouvernement russe, tout en frappant mortellement, s'il était possible, cet empire égyptien qui venait de s'élever progressivement sur la route de l'Inde, et semblait apporter dans cette partie du globe un puissant obstacle aux conquêtes commerciales de l'Angleterre. La prédilection, si hautement ma

nifestée, de Méhémet-Ali pour la France, à laquelle il avait emprunté des officiers et des savants, cette base première de tout grand établissement politique, était un nouveau grief aux yeux du gouvernement anglais. C'est sous l'impression de cette pensée rancunière que le cabinet de Londres avait, le 16 août 1836, conclu avec la Porte un traité de commerce dont l'application devait avoir pour résultat d'amener l'affaiblissement et la ruine du vice-roi, en tarissant, par la suppression des monopoles, la source presque unique de ses revenus. Seule, peut-être, la Prusse n'avait rien à compromettre ou à recueillir dans les événements politiques qui s'accomplissaient en Orient. Son rôle, tout passif, se bornait à empêcher, par une coopération prudente, qu'il ne vînt à surgir, entre les grandes puissances, un formidable conflit dans lequel elle ne pourrait manquer de se voir ellemême irrésistiblement engagée.

Les choses avaient pris d'ailleurs un essor tellement rapide qu'il n'était déjà plus possible de parvenir à les maîtriser. Mahmoud et Méhémet-Ali aspiraient tous deux à terminer dans quelque rencontre décisive un duel commencé depuis vingt années. Le premier voulait tout reconquérir ou tout perdre; le second prétendait obtenir, pour sa fortune naissante, la sanction de victoires nouvelles : chacun d'eux, malgré ses prétentions pacifiques et son

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