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inaction prétendue, réunissait en secret ses moyens d'attaque et de résistance. Achmet, le capitanpacha, s'occupait activement de fortifier les Dardanelles; Hafiz, généralissime des troupes turques, rassemblait une immense armée sur les frontières de Russie, pendant que, de son côté, Ibrahim-Pacha ajoutait aux fortifications d'Acre de puissants éléments de défense.

Le 21 avril 1839, Hafiz n'hésita point à prendre l'initiative des hostilités. Son avant-garde passa l'Euphrate et vint camper autour de Nezib. Vingt jours après, Méhémet-Ali, dissimulant avec un soin extrême la joie que lui causait l'agression de l'armée turque, adressait la note suivante aux consuls européens : « Le vice-roi a déclaré à M. le consul-général qu'il s'engage, dans le cas où les troupes du sultan qui ont franchi l'Euphrate, près de Bir, se retireraient de l'autre côté du fleuve, à faire faire un mouvement rétrograde à son armée, et à rappeler son fils Ibrahim à Damas; dans le cas où cette démonstration pacifique serait, à son tour, suivie d'un mouvement rétrograde de l'armée de Hafiz-Pacha au delà de Malatia, S. A. le vice-roi a ajouté, de son propre mouvement, que, si les grandes puissances consentaient à lui garantir la paix et à s'intéresser à lui obtenir l'hérédité du pouvoir, il retirerait une partie de ses troupes de la Syrie, et serait prêt à s'entendre sur

un arrangement définitif propre à garantir sa sécurité et adapté aux besoins du pays. »

Malgré la diversité d'intérêts qui existaient entre l'Angleterre et la France, le cabinet de Londres, ayant compris que la lutte qui se préparait devait inévitablement, l'armée turque éprouvant un revers, conduire les Russes sous les murailles de Constantinople, se rapprocha tout à coup de la France pour l'amener, à la faveur d'une démonstration plus qu'énergique, à garantir, en tout état de choses, la conservation de l'empire ottoman. Dans ce but, lord Palmerston fit, le 19 juin, au cabinet des Tuileries une proposition qui consistait à réunir dans la Méditerranée les pavillons français et anglais, avec ordre de forcer le détroit des Dardanelles si les troupes russes venaient à paraître sur le territoire turc.

Ce projet, d'une témérité évidente, ne manquait peut-être pas d'habileté, puisqu'il était à peu près certain que la Russie reculerait devant une démonstration aussi imposante, et que l'on enlèverait ainsi, pour l'avenir, toute force et toute validité au traité d'Unkiar-Skelessi; mais le gouvernement français accueillit cette ouverture avec inquiétude : sans en rejeter absolument l'esprit, il s'efforça d'en restreindre les proportions, et y substitua, toujours dans l'hypothèse d'une invasion russe, un projet ayant pour but d'obtenir de la Porte l'ad

mission instantanée des flottes anglo-françaises dans la mer de Marmara. Le cabinet anglais accepta ces modifications; toutefois, il n'y souscrivit qu'à regret, et, dès ce jour, il s'éleva entre les deux gouvernements des germes de défiance qui devaient les conduire promptement à une désunion éclatante.

Bientôt la diplomatie européenne apprit avec une vive émotion que les armées ottomane et égyptienne s'étaient, le 24 juin, rencontrées dans les plaines de Nezib. Les Turcs avaient été vaincus, dispersés, anéantis. Vingt mille fusils, cent quatre pièces de canon, neuf mille prisonniers, tel fut le résultat de cette mémorable défaite, dont Mahmoud, expirant1, n'eut pas à subir l'amertume. Tout faisait présumer qu'Ibrahim victorieux ne s'arrêterait point au pied du Taurus, et que ce défilé, frontière politique tracée entre l'Égypte et la Turquie, allait être franchi par son armée, lorsqu'un envoyé français, M. Caillé, arrivé trop tard pour empêcher la bataille de Nezib, mais assez tôt peut-être pour en prévenir les conséquences, atteignit le camp d'Ibrahim et enjoignit au pacha de s'arrêter, lui promettant, pour prix de sa soumission, l'appui et la médiation directe de la France.

Ce fut alors que se dessinèrent entre les cabinets

1. Mort le 30 juin 1839. Il avait succédé à son frère Mustapha IV le 28 juillet 1808.

de Londres et des Tuileries les dissidences les plus prononcées. Les Chambres françaises, à la suite de discussions brillantes qui les avaient rattachées étroitement à la pensée du gouvernement, venaient d'adopter pour principe dans les affaires d'Orient l'intégrité de l'empire turc, combiné avec le maintien de la domination de Méhémet en Syrie, c'est-à-dire la stricte exécution du traité de Kutaya. La Grande-Bretagne avait pris, au contraire, pour programme invariable la restitution de la Syrie à la Porte, et la pleine intégrité de l'empire. Elle faisait observer, en effet, que donner à la Porte Constantinople et l'Asie Mineure, tandis qu'on abandonnerait à Méhémet le Caire et la Syrie, avec le Taurus pour frontière, ce serait violer de la manière la plus éclatante l'inté– grité même qu'on prétendait vouloir garantir. Le Taurus n'était-il pas réellement la clef de la Turquie asiatique, et Méhémet-Ali ne menacerait-il pas, dès ce jour, Bagdad au midi, Diarbekir à l'est, Constantinople au nord?

Lord Palmerston avait développé ces considérations importantes dans une dépêche adressée à lord Beauvale, ambassadeur anglais à Vienne, et s'était appliqué à les rendre évidentes, en ralliant à ce projet, en dehors de la France, les autres grandes puissances européennes.

Cependant, une circonstance imprévue venait

de donner au vice-roi d'Égypte des ressources tout à fait inespérées. Achmet-Fethi-Pacha, ayant compris que la mort de Mahmoud, dont il avait été le favori, serait la ruine de son crédit et de sa fortune, avait fait sortir des Dardanelles la flotte ottomane, et l'avait conduite à Méhémet dans le port d'Alexandrie. La Porte, réduite dès lors à la plus entière impuissance, se trouva forcée d'accéder aux conditions posées par le vice-roi lui-même, c'est-à-dire l'hérédité reconnue de l'Égypte et de la Syrie. Toutefois, l'Europe prétendit intervenir dans cet arrangement, et, bien que le cabinet des Tuileries eût à défendre et à soutenir MéhémetAli un intérêt qui semblait alors évident, il n'hésita pas à signer, par l'entremise de l'amiral Roussin, de concert avec M. de Sturmer, lord Ponsonby, M. de Boutenieff et M. de Konigsmark, cette note en date du 27 juillet 1839 :

<< Les cinq ambassadeurs soussignés, conformément aux instructions reçues de leurs cours respectives, se félicitent d'avoir à annoncer aux ministres de la Sublime-Porte que l'accord des cinq grandes puissances touchant la question orientale est certain, et ils prient la Sublime-Porte, en attendant les fruits de leurs dispositions bienveillantes, de ne décider absolument rien sur la susdite question, d'une manière définitive, sans leur concours. »

Fort de cette déclaration publique, lord Pal

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